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Après une carrière de haut fonctionnaire puis de directeur des systèmes d'information de grandes entreprises pendant plus de seize ans -Sollac, Usinor, Renault- , Jean-Pierre Corniou a dirigé EDS Consulting...

Automobile : une crise structurelle à résoudre


mercredi 10 octobre 2012

L'industrie automobile ne fait que vivre ce que vivent toutes les activités en ce début du XXIe siècle : la fin d'une époque et le début d'une autre. Crise du désir, crise de l'usage, nouvelle conception de la mobilité : autant de nouveaux problèmes à résoudre.


Le site de Jean-Pierre Corniou

A en croire la presse unanime, les salons s'enchainent depuis 2008 dans un contexte de crise sévère du marché. Les dirigeants des constructeurs française tempêtent, menacent d'auto-disparaître " sous leur forme actuelle" si on ne baisse pas le coût du travail. Les salariés se battent pour conserver leur emploi et un gouvernement impuissant, mais vindicatif contre "les constructeurs étrangers", air connu, leur promet de faire quelque chose...

C'est donc un Mondial curieux qui ne donne pas envie d'acheter des voitures car tout le monde parle d'autre chose que du produit lui-même. Pourtant il y a dans ce Mondial de vraies innovations, la voiture électrique connectée devient enfin une réalité, l'hybride est omniprésent, et abordable, les moteurs thermiques sont de plus en plus petits et consomment moins, et les supercars dans leur niche dorée continuent à faire rêver.

Mais ce mot cinglant - crise - ne résume ni n'explique ce que l'industrie automobile vit actuellement. Faute de diagnostic robuste, la thérapie ne peut qu'échouer. Car l'industrie automobile ne  fait que vivre ce que vivent toutes les activités en ce début du XXIe siècle, une mutation plus ou moins violente qui marque la fin d'une époque et le début d'une autre...

Chute des volumes

En premier lieu, la crise au sens quantitatif de la baisse des ventes, ne sévit en 2012 vraiment qu'en Europe. Mais la chute est sévère. Il se vend en 2012, au vu des données des huit premiers mois, 7,1 % de véhicules en moins par rapport à 2011. Mais c'est 18% de moins qu'en 2007, soit près de 2 millions de voitures disparues. La Grèce et le Portugal plongent de plus de 40% et même l'Allemagne est en rouge. La Chine, avec + 4%, la Russie, le Brésil ont vu leurs ventes continuer à augmenter même si le rythme se ralentit, et la production mondiale devrait croitre de 3% en 2012 comme en 2013.

Crise du désir d'automobile

La crise de l'automobile est en fait un phénomène plus large et plus ancien. C'est la crise du désir d'automobile. Automobile plaisir ou automobile pratique, depuis quinze ans, la voiture est passée subrepticement du statut de plaisir digne de tous les sacrifices financiers à celui d'objet à l'utilité froidement mesurée en termes de rapport coût/valeur. Ce phénomène s'étend dans tous les pays matures, y compris au cœur même de la civilisation automobile, les Etats-Unis. Une étude montre que partout l'attrait de l'automobile individuelle diminue.

 Ceci se traduit par de multiples symptômes convergents sur lesquels les constructeurs automobiles sont restés étonnement aveugles. En premier lieu le kilométrage annuel parcouru diminue régulièrement. En France il a baissé entre 1980 et 2010 de 3500 km par an, et ne cesse de baisser chaque année. Ensuite le taux de renouvellement des véhicules se ralentit. Le consommateur garde plus longtemps sa voiture (8 ans contre 5,5 dans les années 80) car elles ont gagné en fiabilité et en confort, et aucune innovation spectaculaire ne les conduit à anticiper un renouvellement. Les modèles les plus récents n'ont rien de véritablement révolutionnaire et l'hyper-segmentation des gammes jette un sérieux doute sur la valeur de revente. Les cas d'échecs des nouveaux modèles se multiplient.

Même les réels progrès de consommation ne suffisent pas à déclencher l'achat car un simple calcul permet de montrer qu'un gain de consommation de 4 litres pour 100 km de, ce qui est un cas extrême, ne génère qu'un gain annuel de 540 € pour 9000 km parcourus. Le retour d'investissement justifie difficilement un nouvel achat, ce qui d'ailleurs pénalise même le véhicule électrique. Seules les mesures gouvernementales prises en 2009-2010 ont artificiellement gonflé le marché, aux frais des contribuables, poussant les automobilistes à renouveler plus vite leur voiture pour bénéficier d'un effet d'aubaine. Mais on a ainsi fabriqué une bosse de surconsommation de l'ordre de 500000 véhicules pour la France que le marché va mettre dix ans à résorber.

Crise de l'usage

Les mauvaises nouvelles pleuvent sur l'automobiliste depuis des années. Le centre des villes leur est, sinon interdit ou payant, a minima déconseillé avec de multiples mesures dissuasives : plans de circulation restrictifs, stationnement au coût prohibitif, amendes. La circulation sur route subit également de multiples contraintes, et l'application désormais stricte des limitations de vitesse, qui donne d'excellents résultats en matière de sécurité routière, retire un argument majeur aux constructeurs promoteurs du « plaisir de conduire ».

Le prix du carburant, le coût du malus écologique, le prix des assurances comme des pièces détachées occupent régulièrement la scène médiatique pour démontrer que ces coûts induits ne font que progresser plus vite que le pouvoir d'achat. Plus encore, les doutes sur l'innocuité sur l'environnement et la santé des rejets -particules du diesel, CO2, NOx- sont scientifiquement dissipés. Chère, la voiture est de moins en moins indispensable pour une fraction croissante de la population. Celle des villes dispose d'une offre de transports publics de plus en plus attractive. Les villes, même moyennes, sont dotées de métros, de tramways et de bus modernisés. Automobile n'est plus synonyme de mobilité pour les jeunes générations qui préfèrent à l'investissement automobile l'usage pertinent de toutes les formules qui leur sont proposées, dont le covoiturage qui grâce au web connait un succès retentissant. L'autopartage se développe partout avec des enseignes comme ZipCar, Autolib', Mobility.

Et les voyages plus lointains sont le domaine de prédilection de iTGV ou de EasyJet. Car le vrai concurrent de l'automobile est bien le web. La mobilité d'aujourd'hui se joue des distances et des embouteillages pour emprunter, selon l'expression d'Al Gore, les « autoroutes de l'information », devenues « réseaux sociaux ». Le web rapproche, permet de gérer aussi bien les affaires que les activités ludiques et les relations inter-personnelles. On ne se déplace plus qu'à bon escient et de façon rationalisée en exploitant grâce aux données partagées le canal le mieux adapté et le moins cher.

Vers un système de mobilité intelligente

Ce n'est donc pas une crise de l'automobile, mais une mutation profonde qui attaque d'abord son cœur historique, Europe, Etats-Unis, Japon, mais ne laissera pas à l'écart des pays comme la Chine, soucieuse de la maitrise de son développement urbain et du développement de sa propre industrie automobile. Il faut donc repenser le modèle et imaginer l'automobile comme une composante d'un service de mobilité en réseau. Il est temps que Renault et PSA se rapprochent, par exemple, d'Alstom, de la RATP, de Veolia, mais aussi de Bolloré et d'Orange pour inventer ce nouveau modèle de mobilité intelligente.

Hélas, ceci ne règle certainement pas les problèmes d'emploi à court terme en Europe. La mutation ne fait que commencer.

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8 commentaire(s)
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Commentaire par brmomo
mercredi 10 octobre 2012 15:09
article intéressant. il y a un point avec lequel je ne suis pas daccord c est le fait que les vehicules actuels soient plus fiables. on arrive à faire un nombre élevé de km mais c est le résultat d une évolution complète de la notion d'entretien.avant on ne changeait que les pièces dites d usure. maintenant figurent des changements systématiques de pièces qui autrefois avaient la durée de vie du vehicule. bien sûr ramené au km parcouru cela coûte bien plus cher, c est le but. de la même manière personne ne peut plus contester le fait que dans l automobile on utilise beaucoup l obsolescence programmée et beaucoup de pièces sont remplacées parceque leur panne imminente et prévue est détectée toujours au cours de ces entretiens ou l'électronique et l'informatique règnent. je pense que c est surtout le manque de moyens qui fait que on garde son vehicule plus longtemps.
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Commentaire par Hervé
mercredi 10 octobre 2012 20:50
Bon article dans son ensemble sauf peut être la chute qui n'est pas vraiment trés claire. Vous songer a faire du ferroutage ou de la location? J'ajouterais aussi que dans les villes mal desservies par les transports en commun, jusque à présent le parc automobile était en expansion constante (une voiture par foyer, puis 2 puis 3 puis...) Maintenant chaque habitant en age de conduire a sa voiture voire plusieurs. Donc, le marché se limite au renouvellement. C'est aussi un facteur aggravant. Je ne suis pas vraiment d'accord avec Brmomo même s'il a en partie raison. Les voitures se sont énormément fiabilisée, mais aussi complexifiées. Je viens d'atteindre 390000Km et 1 seule panne sérieuse capteur point mort haut HS+ 2-3 broutilles: radar de recul, nettoyage EGR et le turbo un peu encrassé mais ça avance quand même). Les pièces qui cassaient habituellement a gros kilométrage (cardan, roulement...) sont encore d'origine. J'ait fait changer le calorstat préventivement pour pas être embêté. Franchement quand on voit le bordel qu'il y a dans un véhicule actuellement, c'est super fiable!
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Commentaire par brmomo
jeudi 11 octobre 2012 11:02
c est vrai que l on peut être daccord sur presque tout et que le ressenti global soit très différent.c est tout à fait vrai que la partie mécanique des véhicules a fait des progrés extraordinaires et que toutes les pièces (cardans, bloc moteur etc) sont devenus irréprochables. je pense que ce sont des pièces où cela coûterait plus cher de leur construire une durée de vie contrôlée que de les faire parfaites.c est tout le reste que Hervé appelle à juste titre le bordel qui est exploité à fond. bien sûr que on a plus à changer de cardans à 150000 km mais vous avez systématiquement à changer une courroie de distribution à 100000. lorsque on regarde le détail de la fabrication des bobines d' allumage on ne comprend pas pourquoi la piste du primaire est gravée avec une zone étroite sauf si on a fait un peu de microélectronique. cette zone est un point de faiblesse volontaire qui permet une durée de vie de 1500h environ. il y a beaucoup de points comme cela qui expliquent pourquoi l automobile , malgré les énormes progrés d usinages rapporte de plus en plus d argent.
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Commentaire par Jean-Pierre Corniou
jeudi 11 octobre 2012 11:28
Merci aux derniers contributeurs qui démontrent que l'automobile demeure un sujet d'intérêt général par la pertinence de leurs remarques. Nous sommes effectivement confrontés à un marché de renouvellement où l'innovation n'est plus véritablement clivante quand elle n'est pas franchement ridicule, virant à la gadgetomanie. Une voiture est d'abord un engin fiable, bien conçu pour rouler, sûr, consommant le moins possible d'énergie et le succès de Dacia démontre que quand les fondamentaux sont réunis de façon agréable la demande suit. Fiabilité et coût de possession deviennent les critères majeurs de choix. Quant à l'avenir, il s'articule autour de quelques idées simples : intégration de la voiture individuelle dans un système global de transport où le coeur est assuré par des moyens lourds à débit élevé, le ferroutage hélvétique étant un bon exemple, usage de la voiture pour les zones diffuses, où l'électrique est une bonne réponse,meilleure usage des capacités des voitures individuelles (autopartage, covoiturage)... J'aborde de façon plus détaillée chacune de ces solutions dans le livre " 7 milliards de terriens, 1,2 milliard d'automobiles, la cohabitation est-elle possible ? " qui sort le 12 octobre chez Lignes de repères.
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Commentaire par brmomo
jeudi 11 octobre 2012 16:04
à monsieur Corniou quand vous parlez de coût de possession , je pense que dedans figure la maintenance. j ai un problème avec cette ligne parceque en général elle est importante et mal connue à l achat. j avais remarqué une autre évolution du monde de l automobile qui est de ne faire que des modèles à durée de vie brève . il en résulte un manque de recul. qui peut dire d un véhicule "c est une bonne voiture"? peut être vous pourrez me dire où mon opinion péche par rapport au véhicule électrique.je ne parle pas de son intérêt au niveau du particulier, ni de la pollution(à court terme) qui est évident. je ne parle que des conséquences au niveau de la société où l'usage de tels véhicules serait généralisé. une voiture électrique dans son usage prévu demande environ 30 kwh par jour. un foyer ou une telle voiture est adoptée voit sa consommation d'énergie électrique doubler. si des millions de tels véhicules sont mis en service (cela peut être rapide avec une volonté politique) quel pays supporterait de devoir doubler ses centrales? (il est clair pour moi que les énergies éoliennes et photovoltaiques ne sont pas capables de fournir cette énergie électrique) ce sont vraiments des problèmes complexes. je suis daccord avec vous en disant que une solution est de diminuer le transport individuel. cordialement
[6]
Commentaire par Hervé
jeudi 11 octobre 2012 20:04
@ brmomo Un véhicule électrique en usage urbain consomme de l'ordre de 15Kwh au 100. Comme peu de gens font plus de 100 bornes par jour, la conso est en ordre de grandeur de l'odre d'un chauffe eau. Si vous remplacez tout le traffic automobile par des VE en France (immaginons que ce soit possible) la consommation annuelle représenterait 80Twh (pour 20Kwh/100), soit environ 1/5 de la production du parc nucléaire actuel. Sachant qu'en plus ça recharge la nuit ou il y a surproduction, il est peut peut probable qu'il soit necessaire d'ajouter des centrales. Mais cela n'est pas possible car les batteries n'ont pas l'autonomie suffisante pour assurer les longs parcours. Le VE se cantonnera pour le moment a la ville et ses abords, en tant que seconde voiture ou hybride rechargeable.
[7]
Commentaire par brmomo
vendredi 12 octobre 2012 08:08
merci Hervé de votre réponse. je pense moi aussi que le ve sera réservé aux déplacements urbains. je suis vraiment surpris par votre consommation annoncée de 15 kwh aux 100. je croyais être raisonnable avec le double sachant que en ville l essentiel des freinages sont "d urgence"cad avec une récupération d'énergie très partielle (c est surtout le frein mécanique qui joue). je ne connais pas par contre les puissances des clims réversibles installées sur les ve. votre chiffre de 15 kwh de consommation de chauffe eau par jour montre combien nous avons de progrés à faire dans les économies d'énergie puisque il s agit de vider complètement chaque jour un chauffe eau de 250 littres dont l eau a été portée de 15°c à 65°c(voilà un bon argument pour le solaire THERMIQUE) cordialement
[8]
Commentaire par prorisque
mardi 23 octobre 2012 07:39
seule solution serait pluttot viable à envisagée, construire une ligne de véhicule "4x4 flottable, robuste_mis lourd_confortable_technologique"; ainsi les assurances/secours/hopiteaux/familles, s'économiserons bien dus soucis
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