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Après une carrière de haut fonctionnaire puis de directeur des systèmes d'information de grandes entreprises pendant plus de seize ans -Sollac, Usinor, Renault- , Jean-Pierre Corniou a dirigé EDS Consulting...

Alstom : qu'est-ce qu'un industriel « français » ?


mardi 29 avril 2014

L'affaire Alstom oblige à nouveau à s'interroger sur la réalité de la souveraineté économique dans un monde ouvert. La notion de « base territoriale », à partir de laquelle l'entreprise se projette dans le monde, devient le principal critère.


Voir l'analyse complète sur le blog de Jean-Pierre Corniou.
Extrait :

Qu'est-ce que la souveraineté économique ?  C'est la capacité d'un territoire à attirer des capitaux et des talents pour faire prospérer des entreprises qui sauront, à parti de cette base territoriale féconde, construire une influence mondiale leur permettant de s'imposer dans la compétition par leurs produits et leurs services.

Dans un monde ouvert, elle n'est plus l'émanation de la volonté des Etats et de leurs gouvernants mais résulte d'un équilibre des forces qui vont conduire les acteurs économiques à effectuer des choix d'optimisation stratégique. Cette stratégie intègre de multiples paramètres qui vont déterminer les arbitrages dans la structuration des capitaux et dans la localisation des centres de décision, siège, centre de recherches et usines.  Choisir un territoire c'est faire le pari que les conditions d'exercice de la gouvernance de l'entreprise y seront les plus favorables compte tenu des multiples facteurs techniques, fiscaux, sociaux qui représentent la combinatoire des facteurs de performance d'une entreprise moderne.

Quand la gouvernance échappe au territoire...

Qu'est-ce qu'un industriel « français » ? C'est une entreprise qui a décidé de prioriser la France comme base d'opérations internationale et d'y exercer le pouvoir de décision qui va déterminer ses choix stratégiques et opérationnels.  Il est clair que le principal facteur qui anime les industriels d'origine française à vocation mondiale est la géographie des marchés. Ils vont chercher à optimiser les flux logistiques pour se rapprocher des marchés en développant une image mondiale compétitive. La logique nationale n'est plus qu'un facteur parmi d'autres et rien n'oblige une entreprise à vocation mondiale de conserver une structure du capital qui privilégie des détenteurs de capitaux nationaux.

Cela fait longtemps que les capitaux des entreprises françaises de taille internationale ne sont pas français. Cela fait longtemps que les activités sont dispersées dans le monde mais la présence symbolique des dirigeants dans un siège situé en France rassure les gouvernants sur la réalité du caractère français de l'entreprise. Pourtant, le fait que le PDG de Schneider Electric opère la direction du groupe à partir de Singapour n'a pas pour le moment remis en question la francité de cette entreprise devenu de fait multinationale, et plus précisément américano-chinoise par la polarité de ses activités. Que Renault soit une entreprise française, personne n'en disconvient alors même que 82 % de sa production se fait hors de France et que son PDG passe plus de temps dans son Gulfstream entre les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l'Inde que dans son bureau de Boulogne.

Le véritable problème commence quand la gouvernance échappe au territoire pour intégrer la vision globale de l'entreprise et effectuer des arbitrages qui n'ont plus aucune raison de privilégier la France comme territoire.  Le lien ténu entre l'activité mondiale d'un grand groupe, forcément polycentrique, et la territoire se distend alors et les gouvernants n'ont qu'une hantise :  c'est que la pression morale qui fait hésiter avant de ralentir l'activité en France, quand les dirigeants y opèrent et se font convoquer à l'Eysée, ne vole en éclat pour ne laisser la place qu'au brutal calcul économique. C'est très exactement ce quoi s'est passé quand Mittal a pris le contrôle d'Arcelor.

Les faiblesses et les atouts de la France

Or ce calcul économique met à nu la réalité de l'attractivité de la France comme territoire où l'entreprise est valorisée. Et c'est bien là que l'inquiétude est fondée. La France par l'imprévisibilité de son système fiscal, par l'instabilité chronique des réactions de ses dirigeants vis-à-vis de l'entreprise inquiète plus qu'elle ne rassure par son instabilité émotionnelle dans ses relations avec l'entreprise ! Cette allergie structurelle aux entrepreneurs et à l'entreprise, toujours entachés d'une sorte de péché originel dans un pays qui a toujours adoré les fonctionnaires et les rentiers, et dont trois des plus grandes écoles sont des écoles de fonctionnaires, est devenu un handicap qui conduit les entrepreneurs du monde entier à hésiter avant d'investir dans un pays qui est placé, selon les classements, entre les 20e et 30e pays pour leur capacité d'accueil économique.

Elle a toutefois de nombreux atouts, dont une main-d'oeuvre de grande qualité, des ingénieurs internationalement reconnus, un système de formation initial de qualité, un système de soins unique. Vivre en France pour des cadres internationaux est agréable et ils ne s'en privent pas. Vendre la France comme territoire d'accueil des capitaux étrangers pour y fixer les activités à plus forte valeur ajoutée ne se fait pas trop difficilement dès lors qu'on sort de l'affectivité voire de la menace. Il faut que ce pays, dans toutes ses composantes, fasse savoir qu'il aime l'entreprise et n'apparaisse pas comme une sorte de père Fouettard bougon et repoussoir.

Dès lors le jeu naturel des alliances, des fusions et acquisitions, qu'il est impossible d'arrêter, pourra jouer dans les deux sens se fera non pas au détriment des intérêts nationaux mais dans une logique de coopération équilibrée. Ne plus gémir, agir !
 

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5 commentaire(s)
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Commentaire par Gépé
mercredi 30 avril 2014 07:16
Ne plus gémir, agir! Oui, mais que faut-il faire? Pour ma part, je pense que la solution concerne le role de l'énergie dans le développement de l'économie. Personne n'en parle, en tout cas pas au gouvernement ni à l'assemblée. Il y a le travail, le capital, et l'énergie. Qui veut en parler?
[2]
Commentaire par Gépé
mercredi 30 avril 2014 08:50
L'énergie utilise du capital(l'outillage) pour réduire le travail(les gains de productivité). Il y a bien une relation entre l'énergie, le capital et le travail. Les charges dites sociales doivent être réparties sur le travail, le capital ET l'énergie. C'est au minimum une TVA sociale ou mieux une taxe sur l'énergie Ou est mon erreur?
[3]
Commentaire par JPCorniou
mercredi 30 avril 2014 09:06
La dimension énergétique de la compétitivité industrielle est en effet un élément majeur du dossier. En principe notre parc nucléaire nous donne un avantage pour toutes les industries électro-intensives. Globalement nous payons beaucoup moins cher notre électricité que l'Allemagne. Les dépenses de protection et de solidarité sociale ne devrait plus compter de la réduction de la part du travail direct dans la combinaison des facteurs de production être assises sur le seul facteur travail, mais sur la valeur ajoutée.
[4]
Commentaire par Gépé
mercredi 30 avril 2014 09:31
Réponse à l'auteur. Une contribution de la valeur ajoutée pénalise encore le travail et décourage l'investissement en affectant le capital. Une contribution de l'énergie favorise le climat, et par le jeu du double dividende, permet de réduire le chomage et de favoriser la croissance de l'économie. Et en plus, elle permet de réduire la dette en réduisant nos importations. Il faut faire la synthèse des travaux du conseil d'analyse économique, du CIRED, de Rexecode, de la fondation Nicolas Hulot. Qui serait capable d'organiser cette synthèse? Merci. Le Président Hollande a bien envisagé d'utiliser une taxe carbone pour alimenter le CICE; c'est un premier pas, mais il faut faire plus.

[Réponse de l'auteur]
Merci pour cette reactivité qui permet d'approfondir le débat ! N'oubliez pas que l'industrie ce n'est hélas que 10% du PIB... les activités de service ne sont pas grosses consommatrices d'énergie. En tous cas ce n'est pas discriminant, sauf pour le transport. Aux frontières de l'Europe il fauterait effectivement taxer le contenu carbone des importations.
[5]
Commentaire par Gépé
mercredi 30 avril 2014 13:01
L'industrie, ce n'est plus que 10% du PIB, et bientôt ce sera le cas des services comme la SNCF et le besoin de fabrication des TGV, puis AIR FRANCE et les autoroutes. Il faut réagir.
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