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Grandes infrastructures : comment résoudre les oppositions territoriales ?


lundi 02 juillet 2007

Confrontée à une forte opposition au projet de liaison Lyon-Turin, l’Italie a mis en place une technique originale de résolution des conflits. Mario Virano explique. Côté français, Gérard Leras (conseiller régional « verts ») souhaite une refonte des procédures d’enquêtes publiques (audios disponibles).


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Ecoutez l'audio de Mario Virano
 
Ecoutez l'audio de Gérard Leras
 

default textMario Virano, vous êtes président de l’Observatoire technique de la vallée de la Suse. Dans cette vallée des Alpes italiennes, au débouché du long tunnel qui s’inscrira dans le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin, de fortes oppositions se sont exprimées. D’abord attachées à des questions locales, elles ont pris la dimension d’une contestation générale du projet. La protestation a enflé jusqu’à provoquer des violences avant d’être canalisée grâce au travail de l’« observatoire technique ».
En France, toute le monde a été d’accord sur la liaison Lyon-Turin, écologistes compris. Pourquoi cette contestation politique et même culturelle, en Italie ?


Je pense que cette opposition est née d’un défaut d’information, de communication. On a fait beaucoup de publicité, mais on n’a pas fait d’information de façon suffisante. On n’a pas eu la patience et l’humilité d’écouter les questions. Il y en avait beaucoup, et, dans la plupart des cas, il s’agissait de petites questions. Il était nécessaire d’écouter beaucoup et de donner de vraies réponses.
On a eu aussi beaucoup d’opposition d’intellectuels et on a engagé ce débat de nature culturelle avec des réponses bureaucratiques.
Donc beaucoup d’éléments mêlés qui ont créé un nœud difficile à couper.

On a donc créé un « observatoire technique », que vous présidez. Comment est-il constitué ?

L’observatoire a été décidé par le précédent gouvernement et maintenu par l’actuel gouvernement de Romano Prodi. Y participent une trentaine de personnes représentant tous les ministères concernés, la  province, les régions, la ville de Turin, les communes du territoire de la vallée de Suse. Ils sont représentés par des techniciens, pas directement par les élus.
Nous avons décidé d’avoir quatre thèmes de discussion afin d’examiner :
- la capacité de la ligne existante car beaucoup disaient qu’elle suffisait
- la demande globale de trafic sur l’arc alpin, à la fois  par route et par chemin de fer
- le nœud des transports autour de Turin, qui est très compliqué
- les alternatives de tracé dans la vallée de Suse
Une méthode de travail a été instaurée. On se réunit toutes les semaines, sans exception, même si c’est Noël ou Pâques. Nous n’avons sauté aucune semaine. On a accepté que, chaque semaine, on prenne quelques décisions, on fasse un petit pas, et qu’on ne revienne jamais en arrière. On avance toujours. Sauf si quelqu’un dit +je me suis trompé+. Mais alors il en porte la responsabilité. cela ne s’est jamais produit.

Où en êtes vous dans vos travaux?

Nous avons eu un accord sur l’évaluation de la ligne historique et un  accord sur l’arc alpin. Nous arrivons à la fin du travail sur le nœud de Turin et nous sommes prêts à examiner les alternatives de tracé dans la vallée de Suse. Ce sera le travail des prochaines semaines.

Vous avez ainsi instauré une méthode de résolution des conflits ?

Oui, je crois que si nous sommes capables de conclure nos travaux sur un succès, nous tous ensemble, maires, techniciens, tout le monde, nous pourrons dire qu’en Italie rien ne sera plus comme auparavant. Cette méthode est devenu un paradigme pour examiner et résoudre des questions très compliquées –comme les grandes infrastructures dans un monde devenu glocal, c’est-à-dire global et local.
Une autre remarque : on  croyait que l’infrastructure était la chose la plus importante en absolu. Elle est importante, mais pas toute seule. Au delà, il y a la politique de rééquilibrage modal, le respect de l’environnement, du développement régional. De ce point de vue, même les questions financières prennent une autre importance.
Aux populations, aux citoyens, on ne doit pas seulement parler de portefeuille. Il faut parler imagination. Il y a une importance de symboles. Le symbole de l’intégration européenne, le symbole de l’environnement des Alpes. Des choses qui parlent au cœur, pas seulement au portefeuille.

Tout le monde a-t-il bien accepté ?

Tout le monde a accepté la méthode. Pas tous ensemble, certains avant, d’autres après. Il
il y a seulement une petite minorité irréductible, qui ne veulent aucun accord et craignent le dialogue. Ils ne se réfèrent pas aux partis traditionnels, ils représentent ce que nous appelons des centres sociaux, quelques groupes, ou quelques enclaves de la vallée de Suse qui ont presque une mentalité « amish » .


default textGérard Leras, vous êtes membre du groupe des « Verts » à l’assemblée de la région Rhône-Alpes et président de sa commission "Transports et déplacements". En France, il y a eu un consensus quasi général sur le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin. En Italie, on a vu une forte opposition. Comment l’expliquez vous ?

En Italie, le projet a été vécu pendant longtemps comme un projet « grande vitesse » pour voyageurs principalement. Or la seule justification du Lyon-Turin, c’est de mettre des marchandises sur le rail. Cette politique de report modal de la route vers le rail, les Italiens ne la voient pas, elle ne leur a pas été présentée. Donc il n’y avait aucune raison qu’ils acceptent les nuisances de 12 ou 15 ans de chantiers.

Mais chez nous, on ne voit guère non plus cette politique d’ensemble. Rien n’avance en termes d’euro-vignette, et on n’a pas du tout de la volonté réelle de reporter les marchandises de la route vers le rail. On ne présente pas les choses correctement à l’ensemble des populations concernées, par exemple pour le contournement de l’agglomération lyonnaise.

Si on  ne fait pas véritablement un travail d’application  des dispositions européennes, une véritable politique de report des marchandises de la route vers le rail, si les projet d’infrastructures ne sont pas expliqués, alors on s’expose à des problèmes « à l’italienne ».

Que faire pour améliorer cette situation en France ?

On a deux problèmes législatifs majeurs. Après, il y a la méthode. Mais il faut d’abord les conditions légales

Premier problème.  Aujourd’hui, les procédures d’enquête publique et de déclaration d’utilité publique ne font pas la part des choses entre ce qui relève d’une part  de l’intérêt d’un projet et de la possibilité d’un projet alternatif, et d’autre part de l’étude des impacts locaux, de l’indemnisation des propriétaires, des nuisances, etc
Tant que l’on aura une procédure qui mélange ces deux aspects -opportunité du projet et étude des impacts locaux -  on aura des réactions localistes, des réactions de propriétaires qui veulent plus, etc.. pas un débat sur le fond.
C’est ce que fait un peu la procédure de débat public qui existe depuis la loi Barnier, mais elle ne s’applique qu’à de très grandes infrastructures, dans des conditions très précises. Tout un pan échappe à cette loi.

Deuxième problème. Il est anormal que des réalisations comme les « descenderies » actuellement ouvertes en Maurienne (ndlr : puits qui descendent en quelques points vers le niveau du futur tracé du tunnel), qui sont des travaux extrêmement importants, soient présentées comme des avant-travaux, des études. Les populations ne le vivent pas du tout comme des travaux annexes ou secondaires. Il est anormal que les procédures d’enquête publique ne s’appliquent pas à ces travaux dits préliminaires.

Bref, il faut refonder le droit  qui concerne les débats public, les enquêtes publiques, les déclarations d’utilité publique, car ce qui existe aujourd’hui est notoirement insuffisant et déphasé par rapport au traitement démocratique normal de ces questions.


Propos recueillis par Yves de Saint Jacob