Après Bali : les « Bingo » entrent en scène…
dimanche 23 décembre 2007
Claire Tutenuit, déléguée générale d’Entreprises pour l’environnement (EPE), revient sur la conférence de Bali, premier point d'étape de l'après Kyoto. Elle est interrogée par Debat&co (www.debateco.fr), le portail de débat initié par l’Institut de l’entreprise, et salue l’entrée en scène des nouveaux « Bingo »….
Claire Tutenuit (EPE)- Elles ne sont guère engagées encore, mais vont s’engager maintenant, un groupe de travail ad-hoc a été constitué. Les calendriers en sont compliqués par la prochaine élection présidentielle américaine : bien que tous s’accordent à dire que, démocrate ou républicain, le prochain président changera d’attitude, ce n’est pas encore le cas, et toute avancée sans les Etats-Unis devrait être renégociée plus tard. D’où la conclusion retenue, logique, de ne pas afficher de chiffre de réduction dès à présent. Néanmoins, il y a un réel progrès : le débat n’est plus sur "si" il faut réduire les émissions, mais "comment et combien". Autre indicateur positif : les entreprises sont mobilisées dans le sens de la réduction, et sont appelées par les négociateurs à travailler dans le sens de la négociation. On a d’ailleurs vu apparaître une nouvelle catégorie d’organisations non gouvernementales : les BINGO (Business and Industry Non-Governmental Organisations), associations d’entreprises de pays et de secteurs très variés décidées à faire avancer la négociation autant que possible, pour créer les conditions d’une économie faiblement émettrice.
Débat&co - La simple évocation d'objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre a failli faire échouer la conférence. Or sans contrainte, peut-on raisonnablement espérer un résultat ?
Claire Tutenuit - Bien sûr, il serait simple d’avoir une contrainte ; mais il faut se rappeler que l’ONU n’a pas de réel pouvoir de coercition sur les Etats membres : le rôle de cette négociation est d’aboutir à un accord entre Etats souverains, sur lequel chacun est libre de s’engager ou non, et s’engagera si les autres s’engagent à un niveau qu’il juge juste. Une fois les Etats engagés les uns envers les autres, et envers l’ONU, les gouvernements ont la possibilité de créer des contraintes sur leurs ressortissants (entreprises et citoyens) pour respecter ces engagements. Il y a donc deux catégories de questions :
- quel doit être le maximum d’émissions totales humaines du monde, à horizon 2020, 2030 ou 2050, pour que la température moyenne sur Terre n’augmente pas de plus de 2°C, ce qui est considéré comme le seuil de transformations irréversibles. Il faudrait d’abord arriver à une vision commune de ce plafond, ce qui n’est pas encore acquis ;
- comment partager la charge de la réduction des émissions entre pays (burden-sharing, ou charge du fardeau), quel doit être l’engagement de chaque pays ? Il y a là de très fortes tensions : les pays en développement en appellent à la responsabilité des pays développés, qui ont émis pendant deux siècles ; ceux-ci réalisent que les pays émergents (Chine, Inde en particulier, mais aussi Moyen-Orient, Afrique, Maghreb,…), par leur démographie et leur aspiration au développement, sont le principal facteur de croissance des émissions mondiales ; vers où doit-on aller ? Qui doit faire quel effort ? Qui doit payer pour la réduction des émissions des pays émergents ?
Les réponses à ces questions sont liées, ce qui explique que les Etats-Unis trouvent difficile de parler chiffres dès aujourd’hui pour certains pays et pas pour tous.
A terme il y aura donc des systèmes contraignants mais acceptés. La question se posera d’ailleurs à un certain moment des sanctions à appliquer en cas de non-respect par un Etat de son engagement.
Une fois l’accord signé, il y aura bien sûr des contraintes exercées par les Etats sur les personnes et sur les entreprises de leur territoire.
Débat&co - La lutte contre le changement climatique doit s'organiser dans le cadre des Nations unies. Mais pas seulement...
Claire Tutenuit - Oui, il y a d’autres enceintes et forums, et tous les acteurs, institutions publiques, consommateurs et entreprises peuvent s’engager dans des actions concrètes : les Etats-Unis réunissent ainsi les Major Emitting Members, pays les plus émetteurs, le G8 y travaille en associant les plus grands autres pays, l’Agence internationale de l'énergie a des scénarios qui permettent d’imaginer des solutions énergétiques à ce défi. De très nombreux progrès seront à faire, dans deux directions : la technologie qui permet de développer des énergies, produits et services moins émetteurs, et des mécanismes de régulation publique et économique pour orienter les comportements et les investissements. Tout le monde peut y contribuer, dans tous les pays, et c’est ce que fait l’Europe qui s’est engagée à réduire ses émissions dès avant un nouvel accord ; mais tout s’inscrira in fine dans la négociation des Nations unies.
De ce fait d’ailleurs, puisque la négociation internationale sur le partage du fardeau va s’ouvrir, les acteurs ont un certain souci de ne pas faire trop vite des progrès trop rapides qui rendraient une réduction ultérieure plus difficile. Chaque pays sera donc soucieux de faire reconnaître ses actions précoces comme un premier pas dans la réalisation d’engagements encore à prendre, et l’année de référence à partir de laquelle on va compter les réductions sera un point important dans la négociation. L’année de référence doit-elle être 1990 comme dans le protocole de Kyoto, 2005 ? Encore une question pour les négociateurs…
Propos recueillis par Charlotte Cabaton pour Débat&co
Claire Tutenuit est normalienne, agrégée de mathématiques et ingénieur au corps des Mines. Après cinq ans au Ministère de l’Industrie, elle a rejoint la Compagnie Générale des Eaux, puis le groupe Matra. Consultante depuis 2001, elle a conseillé plusieurs groupes industriels. Depuis 2005, elle est aussi déléguée générale d’Entreprises pour l’Environnement, association de grandes entreprises qui travaillent ensemble pour mieux intégrer l’environnement dans leur stratégie et leur gestion courante.
photo© Michael Mulkens - Fotolia.com
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