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Nicolas Bour (VNF) : le canal Seine-Nord Europe, un maillon entre Le Havre et Anvers


jeudi 04 octobre 2007

Ce projet de canal à grand gabarit a connu une accélération récente avec un soutien confirmé de l’Union européenne et des arbitrages du gouvernement français apparemment favorables.
Nicolas Bour, directeur de projet pour VNF (Voies Navigables de France), explique à Newsteam les enjeux d'un projet qui ouvrira un corridor fluvial susceptible de reporter une partie du trafic routier qui asphyxie aujourd’hui les autoroutes du nord de l’Europe.


default textLes promoteurs du projet attendent, à l’horizon 2020, un transfert de 4,5 milliards de tonnes-km de la route vers l’eau, soit une réduction de 220 à 280.000 tonnes de C02.

A ce titre, il est un projet indiscutablement « environnemental » qui devrait être salué comme tel lors du « Grenelle de l’environnement » prévu fin octobre par le gouvernement. La déclaration d’utilité publique devrait être faite à la fin de l’année, ouvrant la voie au montage financier, puis à l’ouverture de travaux en 2010, pour une mise en opération vers 2013.

Le projet est centré autour d’un nouveau canal à grand gabarit partant du nord de Compiègne, sur l’Oise, et débouchant près d Cambrai, sur le canal Dunkerque-Escaut. Il permettra donc de relier le bassin de  l’Oise et de la Seine au bassin de l’Escaut et du Rhin, et donc de connecter les ports du Havre, de Rouen et de Dunkerque aux 20.000 km de voies fluviales européennes à grand gabarit.
Au final, c’est donc Le Havre relié à Anvers et un très puissant corridor de circulation nord-sud européen s’il est relayé par le rail et par la route. Ce relais doit se faire via la dizaine de plateformes logistiques dites intermodales déjà prévues sur les différents  parcours.

A Newsteam, Nicolas Bour explique que les ports maritimes français sont mal reliés à leur hinterland contrairement aux ports de l’Europe du Nord. Résultat : les marchandises sortent à grand peine par camions ou rail alors que les ports du nord de l’Europe bénéficient d’axes naturels (le Rhin et l’Escaut) et de canaux et « sortent » plus de 40 % par voie d’eau.

Se pose ensuite le problème de la transformation logistique, c’est-à-dire de la répartition des marchandises entre modes de transport. Les grands centre de distribution européens sont au Benelux (1.000 aux Pays-Bas, 400 dans les Flandres), contre seulement 100 en France. Mais ils ne sont pas positionnés de façon optimum au Benelux. Ils sont tout près des ports, alors qu’ils seraient mieux près des lieux de transformation et de consommation. Ils saturent l’espace routier du Benelux et donc aussi les infrastructures routières du nord de la France avec les camions qui descendent avec des produits transformés.

Pour faciliter les transferts modaux, le projet associe au canal une dizaine de plate-formes logistiques multimodales, le long des différents secteurs.

Pourtant, au Havre, certains s’inquiètent de la concurrence du nouveau corridor Seine-Nord Europe et auraient préféré un axe ouest-est. « Aujourd’hui, tous les camions sur l’A1, c’est de la concurrence. On les voit pas, mais c’est un marché que Le Havre n’a pas. Si on positionne bien les plate-formes, Le Havre peut reprendre ces marchandises», répond Nicolas Bour.

Il souligne également que le canal facilitera l’implantation d’industries et que c’est une chance pour l’industrie agro-alimentaire qui pourra transformer sur place les grandes productions des régions du nord de la France.

Voici l'interview intégrale de Nicolas Bour
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M. Nicolas Bour, vous êtes directeur de projet de la liaison « Seine –Escaut » pour VNF (Voies Navigables de France).  C’est un grand projet de transport européen, qui ouvrira un corridor fluvial susceptible de reporter certains flux du trafic routier qui asphyxie aujourd’hui les autoroutes du nord de l’Europe. Projet de compétitivité des entreprises, projet environnemental, c’est aussi un levier d’aménagement du territoire. Comment la nécessité de cette liaison a-t-elle mûri, au bout de dizaines d’années d’études ?

Aujourd’hui il y a un déséquilibre majeur entre l’arrivée et la sortie des marchandises par voie maritime d’une part et la consommation réelle du territoire français d’autre part.
En chiffres très globaux, 2 millions et demi de containers arrivent dans les ports maritimes français, au Havre, à Marseille, à Dunkerque. On peut estimer qu’on en consomme 7,5 millions. On a donc à peu près 5 millions de containers - 50 millions de tonnes de marchandises - qui sont chaque année détournés des ports français et qui viennent par les ports du nord et les ports italiens ou ibériques.
La raison en est simple : nos ports maritimes sont mal reliés à leur hinterland par des infrastructures à grande capacité contrairement aux ports de l’Europe du Nord

En effet, le transport maritime  a besoin d‘une massification à la sortie du port. Prenons le cas d’un porte-containers qui laisse 3.000 « boîtes » au Havre. Elles sont évacuées par dix barges (de 300 boîtes seulement) sur la Seine, qui ne dérangent personne quand elles passent, 2000 camions qui bloquent à la fois le port  et les autoroutes et 45 trains complets qui passent sous les grues et qu’il faut remplir boîte par boîte. Le problème majeur du Havre, c’est donc qu’il a aujourd’hui un « mix » avec 85% de part routière, ce qui est déséquilibré par rapport aux autres ports de la rangée Nord..

Les ports de l’Europe, quant à eux, sont moins enclavés …

Les ports du nord de l’Europe bénéficient d’axes naturels (le Rhin et l’Escaut) et sortent plus de 40 % par voie d’eau. Donc les boîtes qui arrivent à Rotterdam et Anvers vont sortir vite et de façon massifiée par les fleuves et les canaux.

Ensuite il y a le problème de la transformation logistique, c’est-à-dire de la répartition des marchandises entre modes de transport. Les grands centres de distribution européens sont au Benelux (1.000 aux Pays-Bas, 400 dans les Flandres), beaucoup plus qu'en France (une centaine). Mais ils ne sont pas positionnés de façon optimum au Benelux. Ils sont tout près des ports, alors qu’ils seraient mieux près des lieux de transformation et de consommation. L’exemple typique c’est la plate-forme de Nike : placée sur le canal Albert en Belgique, elle est alimentée à 99% par la voie d’eau à la sortie du port d’Anvers, mais elle sort ses marchandises à 99 pc par la route. Encore Nike a-t-il de la chance. Il y a plein de centres de distribution dans le Benelux qui sont alimentés en amont par la route. Ils saturent l’espace routier du Benelux et saturent aussi les infrastructures routières du nord de la France avec les camions qui descendent avec des produits transformés.

Donc il y  ce déséquilibre logistique et ce manque de connections des ports maritimes français.

C’est pour cette raison que nous proposons pour Seine-Nord une approche globale. A cette infrastructure offerte - le canal -,  il faut tout de suite associer ces plate-formes logistiques multimodales. Qui permettra de repositionner une large part de cette valeur ajoutée en France

Comment seront-elles placées ?

On en a 4 sur Seine-Nord Europe déjà localisées, en étroite concertation depuis octobre 2004 avec les collectivités locales et les autorités consulaires:
 
- Cambrai-Marquion au nord du tracé. C’est la localisation idéale : suffisamment éloignée de Lille pour ne pas congestionner cette métropole, une position sur un axe nord sud, mais aussi est-ouest (transmanche) et nord-nord est. Elle intéresse les Anglais, elle intéresse les Belges. Il y aura 160 ha sur les 360 prévus au total, une vocation logistique et également industrielle, car  il faut positionner les industries au bord de la voie d’eau. C’est là qu’elle sera compétitive en apportant leurs produits et « évacuant » leur production au moindre coût et sans transbordement supplémentaire..

- Nesle, position très naturelle sur un axe ferroviaire qui vient du Havre puis en direction de l’Est et du Sud-Est qui ne sont pas desservis par la voie d’eau, près de l’autoroute, avec une vocation fortement agro-industrielle.

- Dans le Noyonnais et Péronne-Haute Picardie, 2 plates-formes à vocation logistique et à l’intersection de plusieurs axes autoroutiers. Et au débouché de l’Aisne alimentant les bassins d’emplois de Chauny et Tergnier

Mais, et nous l’avons dit aux Normands, il n’y a pas que cette portion. Seine-Escaut, c'est un vaste hinterland sur l'axe le Havre-Gand. Il faut tout de suite structurer l’ensemble, c’est-à-dire démarrer la structuration  logistique de la Seine et de l’Oise. Dans le contrat de projet 2007-2013, nous avons inscrit la plate-forme de Longueil-Sainte-Marie, au sud de Compiègne, donc à une dizaine de kilomètres au sud du futur canal. Elle existe mais est purement routière. Elle tourne actuellement le dos à l’Oise, ce qui est normal puisque c’est aujourd’hui un cul-de-sac. Demain, ce ne le sera plus.
Deux autres ont été mises dans les contrats de projets : Rouen-sud et Pîtres-le-Manoir dans l’Eure. Sans compter celles que propose le Port autonome de Paris à Limay, Achères et Bonneuil.

Avec la visibilité que va procurer Seine Nord Europe, il faut que les sociétés viennent investir sur ces plate-formes, il faut des terminaux de containers privés. C’est cela qui fait la force économique de l’Espagne. Toute l’activité portuaire en Espagne est faite de cela.

Ces plateformes sont par essence multimodales, c’est-à-dire qu’elles connectent les voies de chemin de fer, les autoroutes, et, dans le cas présent, les voies d’eau.  Comment sont-elles gérées ?
 
Aujourd’hui, le fleuve est un maillon uniquement . Il doit y avoir les maillons routiers et ferroviaires. La voie d’eau ne peut aller partout. Elle doit aller en particulier vers le centre des villes, là où elle rentre facilement sans conflit avec les sillons passagers de la route et du rail. Les plates-formes de Seine-Nord Europe, toutes trimodales, ont été développées avec RFF et la SNCF pour garantir la qualité des interfaces entre le rail et la voie d’eau. Ces plates-formes portuaires intérieures sont une chance pour le fret ferroviaire qui y trouvera une massification nécessaire pour l’économie de son activité. L’exemple du port de Duisburg en Allemagne en est un exemple majeur avec 50 millions de tonnes traitées par la voie d’eau et 20 millions par le rail vers 90 destinations européennes.
En France la liaison ferroviaire-fluviale est peu développée, malgré l’obligation qui avait été prévue dans les concessions ferroviaires mais non appliquée au XIXeme siècle de créer des « gares d’eau ».
En France chacun cultive son mode de transport dans son coin. On parle intermodalité mais on ne le fait pas.
Et, à l’occasion de Seine-Nord, il faut faire émerger autour de ces plates-formes des opérateurs multimodaux européens de transports. J’insiste sur « multimodaux » et « européens ».

Quelles sociétés peuvent jouer aujourd’hui un tel rôle ?

Ce sont des sociétés comme Véolia (qui fait du maritime sur la Corse, du ferroviaire, du fluvial), comme la SNCF (qui doit avoir une vocation internationale et doit pouvoir « tirer loin »), ou les opérateurs routiers. Certains parmi eux voient Seine-Nord Europe comme un concurrent. C’est une erreur si on raisonne en opérateurs multimodaux.Les plates-formes fournissent un trafic pour les opérateurs routiers pour une desserte plus fine au niveau régional ou interrégional
J’insiste sur cette combinaison. On parle des autoroutes de la mer entre l‘Espagne et la France, pour déconcentrer les Pyrénées et les axescNord-Sud. Un coordinateur européen est en voie d’être nommé pour les autoroutes de la mer et un autre pour les voies d’eau européennes, Karla Peijs, ancien ministre néerlandais des transports.
Oui, il faut foncer sur les autoroutes de la mer. Car avec l’axe Seine, les liaisons ferroviaires  et Seine-Nord, vous aurez un axe de distribution européen très puissant. Un projet d’autoroutes de la mer jusqu'à Rouen, pour ne pas saturer Le Havre, serait connecté à tout le réseau européen.

Mais au Havre, certains s’inquiètent de la concurrence. Seine-Nord Europe ne va-t-il pas avantager les ports du Benelux en fluidifiant l’axe européen du nord au sud ?  Ne vaudrait-il pas mieux développer un axe ouest-est ?
 
La concurrence sera peut-être plus visible. Aujourd’hui, tous les camions sur l’A1, c’est de la concurrence. On les voit pas, mais c’est un marché que Le Havre n’a pas. Si on positionne bien les plate-formes, Le Havre peut reprendre ces marchandises. La compétitivité, ils l’auront si on structure bien les liaisons.

On a aussi inclus dans le projet, à plus long terme, l’écluse fluviale du Havre, dont l’absence handicape le port. Aujourd’hui, on fait du « brouettage ». La boite qui sort à Port 2000, le nouveau développement du Havre, est chargée sur un train, fait 5 ou 6 km et est remise à un  autre point du port ou elle est reprise par un bateau fluvial. Cela coûte 40 euros par container. Ils ne pénalisent pas l’utilisateur final, car ils sont subventionnés. Ce n’est pas un gros montant, mais quand on parle en millions de containers….Il vaut mieux construire l’écluse- cela va coûter 3 euros par boite. La compétitivité du port du Havre est dans l’hinterland créé par Seine-Escaut à moyen terme. On amène un outil dont les ports ont besoin. On ne peut pas laisser ces millions de containeurs dont je parlais en commençant traités ailleurs qu’en France Cette valeur ajoutée, il faut la faire en France.

Le positionnement d’un canal et de plate-formes, c’est aussi des facilités pour les zones industrielles et donc l’implantation d’industries le long de la voie d’eau. Seine-Nord va-t-il jouer ce rôle ?

Oui, notamment en ce qui concerne l’agro-industrie. Vous avez vu la montée des cours du grain, la nécessité de ne pas vendre que du grain mais de faire aussi de la valeur ajoutée avec tous les secteurs agro-industriels et bien sûr valoriser les produits végétaux utilisés pour les nouveaux carburants. Nous sommes au cśur des grandes zones de production agricole, il faut mettre le long du canal une armature agro-industrielle afin  de transformer les produits. On pourra transporter les produits finis qui auront les coûts les plus bas. Les producteurs ont là un outil fabuleux.

Et il y a le tourisme. Dans les comptes globaux de la France, on s’aperçoit que la fonction transports ne compte que pour 40% dans les résultats de la voie d’eau. La gestion hydraulique et le tourisme, avec toutes ses activités dérivées,  représentent 60%. Les recettes des péages, qui sont fixés très bas, proviennent à 90 % du tourisme. Le tourisme fluvial, ce sont les bateaux croisière de 100 mètres de long, avec une centaine de cabines, ou bien les bateaux individuels, qui sont plus appréciés par les étrangers que par les Français. Avec Seine-Nord Europe, on peut aller d’Amsterdam à Honfleur.
Il faut regarder ce projet à la fois comme un projet de transport et un projet d’aménagement du territoire.

Alors que le trafic fluvial connaît une croissance constante en Europe, y a-t-il d’autres grands projets dans les cartons ?

Les projets fluviaux il faut les faire mûrir. Seine Nord Europe a mis 30 ans pour mûrir, ce qui est long mais on l’avait d’abord placé au mauvais endroit pendant 18 ans sur le canal de saint Quentin. Idem pour la liaison Rhin-Rhône abandonnée.
Saône-Moselle, c’est trois fois le coût de Seine-Nord , pour 60 % de son trafic. Mais des études en amont sont faites, pour voir si cela est faisable, pour chiffrer et pour préparer le terrain, et Seine-Nord Europe contribue à préparer le terrain en redynamisant une activité contrainte en France par des bassins fermés et en redéveloppant une flotte européenne à grand gabarit.

Propos recueillis par Yves de Saint Jacob


 
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