Par Stéphane Lhomme
- Président de l'Observatoire du Nucléaire
Auteur
Stéphane Lhomme, 45 ans, est président de l'Observatoire du Nucléaire. De septembre 2002 à février 2010, il a été porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. Titulaire d'un DEA en sociologie,...
Nucléaire : du "grand retour"...au grand déclin
Par Stéphane Lhomme
- Président de l'Observatoire du Nucléaire
mardi 12 janvier 2010
Les échecs essuyés par l'industrie du nucléaire réjouissent Stéphane Lhomme. Cependant, le porte-parole de "sortir du nucléaire" craint qu'en allongeant la durée de vie des centrales, on augmente également les risques d'un grave accident...
De nombreux médias ont continué en 2009, comme les années précédentes, à titrer sur le supposé "grand retour" du nucléaire, annonçant la construction à venir de dizaines, voire de centaines de nouveaux réacteurs. Pourtant, beaucoup de projets annoncés avec fracas ont été depuis annulés (bien plus discrètement), et ce phénomène s'est accéléré avec la crise financière mondiale.
Voici quelques exemples d'annulation de projets nucléaires :
- le 5 décembre 2008, l'Afrique du Sud a annulé les 12 réacteurs (dont des EPR) qu'elle prétendait construire
- le 25 mars 2009, Tepco (Japon) a "repoussé" la construction d’un réacteur
- Le 23 avril, l'américain AmerenUE a annulé un projet d'EPR dans le Missouri
- Le 29 juin, la province canadienne de l'Ontario a annulé le remplacement de deux réacteurs
- Le 30 juin, Exelon a annulé un projet de deux réacteurs dans le Texas
- Le 22 juillet, la Russie annonce qu'elle réduit de moitié ses projets de construction de réacteurs
- Le 23 juillet, Bruce Power annule le projet de six nouveaux réacteurs en Ontario
- Le 7 août, la Bulgarie a annulé les deux réacteurs prévus
- Le 10 août, TVA a annulé 3 des 4 réacteurs prévus en Alabama (le 4ème devrait suivre!)
- Le 20 novembre, la Turquie annule son projet d'une 1ère centrale nucléaire
La part du nucléaire dans l'électricité mondiale est en chute libre. Pendant que les nouveaux réacteurs nucléaires ne sont pas construits, les plus vieux ferment, et la part du nucléaire dans l'électricité mondiale ne cesse de décroître : elle est passée en 2008 sous les 14% (après avoir frôlé 20% il y a quelques années) et, même s'il faut attendre les chiffres définitifs, il est certain que cette chute a continué en 2009. Au final, le nucléaire est vraisemblablement passé (ou le fera sous peu) sous les 2% de la consommation mondiale d'énergie. On le voit, le nucléaire est finalement une énergie marginale sur Terre (avec, de fait, une contribution quasi nulle à la lutte contre le changement climatique et à l'approvisionnement énergétique), ce qui ne l'empêche pas de poser des problèmes dramatiques : risques, déchets radioactifs, prolifération à des fins militaires...
Quelques rares pays possèdent encore des réserves financières importantes qui leur permettent de financer la construction de réacteurs :
- C'est principalement le cas de la Chine qui construit actuellement une douzaine de réacteurs et pourrait en construire d'autres d'ici 2050. Mais ce programme, qui parait impressionnant vu de chez nous, permettra à la Chine de couvrir au mieux 5 à 8% de son électricité, soit à peine plus de 1% de sa consommation totale d'énergie.
- On peut citer aussi Abu Dhabi qui dispose aussi de "cash", mais qui a néanmoins choisi en décembre l'offre coréenne, principalement pour des raisons financières (l'EPR français était beaucoup trop cher, en plus d'être très incertain sur le plan de la sûreté) : de toute évidence, Abou Dhabi ne dépensera pas d'argent de façon inconsidérée dans le nucléaire.
D'autres pays sont supposés investir dans le nucléaire:
- Italie : les effets d'annonce de Berlusconi se heurtent à la réalité. Les populations locales et différentes régions font le nécessaire pour empêcher la construction de réacteurs, et le gouvernement Berlusconi en est réduit à mobiliser de lourdes sommes publiques pour essayer "acheter" le volontariat des communes et régions.
- Grande-Bretagne : EDF racheté British Energy 15 milliards mais n'a finalement plus d'argent pour payer les réacteurs EPR envisagés. Or, le gouvernement Brown réaffirme avec force qu'il n'y aura pas la moindre subvention publique. Par ailleurs, c'est l'autorité de sûreté britannique (rejointe seulement dans un second temps par les autorités finlandaise et française) qui a mis au jour les graves défauts de l'EPR français.
- USA : le 15 octobre 2009, l'autorité de sûreté des USA, la NRC, à recalé le réacteur AP 1000 de Westinghouse, jugé inapte à résister à différents évènements climatiques ou à un crash d'avion. Cette information, largement ignorée chez nous, est un véritable… séisme aux USA. Cela renforce d'ailleurs la probabilité que l'EPR soit lui aussi recalé (le verdict doit être annoncé en février 2012). Plus généralement, même si l'administration Obama n'est pas à proprement parler antinucléaire, le départ de Bush et la non élection de Mc Cain (qui annonçait 45 nouveaux réacteurs aux USA) est un coup terrible pour le lobby atomique.
- Inde : grâce au forcing incroyable de Bush et de Sarkozy fin 2008, l'Inde a obtenu de l'AIEA et du NSG les dérogations nécessaires pour pouvoir acheter des équipements et matières nucléaires, en contradiction totale avec toutes les règles de non prolifération (l'Inde n'est pas signataire du TNP). Pourtant, les projets nucléaires de l'Inde patinent, principalement pour des raisons financières.
-Le cas de l'Allemagne: la victoire de la coalition droite-libéraux aux élections générales de septembre 2009 devait se traduire par l'annulation du plan de sortie du nucléaire. Depuis, c'est la "gueule de bois" pour… l'industrie nucléaire : il est possible que quelques réacteurs obtiennent une prolongation de leur durée de vie, mais aucun nouveau réacteur n'est prévu et la fin du nucléaire en Allemagne n'est pas remise en cause : Angela Merkel a pris acte de ce que l'opinion publique allemande reste radicalement antinucléaire…
Allongement de la durée de vie des réacteurs… et donc aggravation des risques
L'effondrement du "grand retour" du nucléaire, c'est-à-dire l'annulation de nombreux projets de nouveaux réacteurs, aura pour première conséquence l’allongement, le plus longtemps possible, de la durée de vie des réacteurs actuels.C'est ainsi qu’ avec une certaine mauvaise foi, et pour ne pas reconnaître qu'il avait annoncé à tort un "grand retour", le spécialiste énergie du Monde titrait le 21 octobre dernier "Le retour en grâce du nucléaire passe d'abord... par l'allongement de la durée de vie des centrales" !!
Comme expliqué, il n'y a en réalité aucun "retour en grâce" du nucléaire, mais par contre, hélas, le processus de prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels est enclenché, avec les conséquences que l'on imagine en termes d'aggravation du brisque d'accident.
La semaine prochaine, nous nous intéresserons au cas particulier de la France. A suivre...
Plus d'actualités
-
15:42
Déchets nucléaires : nouvelle étape vers le stockage géologique
-
16/11/15
Les Etats-Unis ne délaissent pas leur puissance nucléaire
-
02/11/15
De 1973 à nos jours : qu'est-ce qui motive le choix du nucléaire ?
-
29/09/15
10 milliards d'euros pour l'EPR de Flamanville : pas si cher que ça !
-
17/09/15
La canicule du mois d'août a fait bondir la production nucléaire
"Les échecs essuyés par l'industrie du nucléaire ne réjouissent pas Stéphane Lhomme".
Stephane Lhomme devrait etre content de sous ces contres-temps!!! La preuve... il parle de lui à la troisieme personne ! Allez... encore un effort et bientot ce sera la premiere personne du pluriel!!!
J'attends avec impatience les commentaires sur la France!
Pour la sérénité de l''information", il aurait été instructif de dresser également la liste des centrales qui ont été commandées pendant la même période. L'information n'est évidemment pas l'objectif de Sortir du Nucléaire, qui vise la propagande et le sensationnel. "Grand déclin", "en chute libre"... C'est théâtral. C'est même tragi-comique. La réalité des choses est tellement plus complexe, et tellement plus passionnante que les slogans simplistes et les interprétations biaisées.
[Réponse de l'auteur]
Je ne partage pas du tout la remarque "il aurait été instructif de dresser également la liste des centrales qui ont été commandées pendant la même période". En effet, et c'est d'ailleurs au centre de la question traitée, il y a une différence ENORME entre commander une centrale... et la construire vraiment. C'est d'ailleurs pour ça qu'on a régulièrement droit à des reportages qui parlent des 200 ou 300 réacteurs qui "vont être construits dans les années à venir", alors qu'en fait la très grande majorité ne verra jamais le jour. Et heureusement !