Par Stéphane Lhomme
- Président de l'Observatoire du Nucléaire
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Stéphane Lhomme, 45 ans, est président de l'Observatoire du Nucléaire. De septembre 2002 à février 2010, il a été porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. Titulaire d'un DEA en sociologie,...
L'avenir du nucléaire s'assombrit sous l'ère Obama
Par Stéphane Lhomme
- Président de l'Observatoire du Nucléaire
mardi 23 juin 2009
Une grave menace pèse sur le nucléaire : sans subventions publiques, il n'est pas rentable. Et aux Etats-Unis, Obama a commencé à couper le robinet
Il serait naïf de prétendre que subitement, sous Obama, l'administration américaine soit devenue frontalement antinucléaire : elle ne s'oppose pas à la construction de nouveaux réacteurs et, plus généralement, aucun plan de sortie du nucléaire n'est envisagé aux USA, où 103 réacteurs sont actuellement en service.
Pourtant, l'avenir de l'industrie nucléaire est très sombre, dans ce pays comme d'ailleurs sur l'ensemble de la planète. Certes, cette affaire va se jouer sur des années, voire des décennies, mais la tendance est clairement au déclin, irréversible, pour l'atome.
Ainsi, dans son plan de relance face à la crise mondiale, Obama a attribué aux énergies renouvelables les 50 milliards de dollars attendus par l'industrie nucléaire, qui a pris à ce moment là un énorme coup de massue.
D'ailleurs, le 13 février 2009, dans une grande dépêche (1) titrée «Plan de relance: les gagnants et les perdants», l'Associated Press a classé dans les gagnants : «Les énergies alternatives : pas moins de 50 milliards de dollars (38,84 milliards d'euros) sont consacrés au renforcement de l'efficacité énergétique et à des programmes d'énergies renouvelables.»
Et dans les perdants : «Le secteur de l'énergie nucléaire : il ambitionnait de décrocher 50 milliards de dollars de garanties de prêts fédérales au titre des énergies économes en carbone, mais a été exclu des bénéficiaires du plan de relance. La victoire va donc aux écologistes.»
Mieux : au delà du seul plan de relance, c'est une option générale de l'administration Obama de soutenir prioritairement les énergies renouvelables. Du coup, les électriciens américains voient s'évanouir une bonne partie des fortes aides publiques promises par Bush en faveur de l'atome. Et, de fait, la vérité des chiffres apparaît : sans d'importantes subventions publiques, le nucléaire n'est pas rentable.
Ainsi, le 23 avril dernier, la société AmerenUE a annulé (2) un projet de réacteur EPR prévu dans le Missouri. Certes, pour sauver la face, il est question d'un renoncement «temporaire», mais cette décision est fondée sur des données économiques claires : le nucléaire est trop cher. CQFD.
Et, le 15 mai, c'est au tour d'Exelon d'annuler (3) deux projets de réacteurs prévus dans le Texas, et d'expliquer que l'ensemble de ses projets nucléaires est remis en question. Et toujours pour la même raison : trop cher !
Pour essayer de stopper cette spirale descendante, Areva et les groupes américains Duke Energy et Unistar Nuclear Energy ont annoncé le 18 juin être «entrés en négociations pour un projet de réacteur EPR dans l'Ohio». Mais discuter ne fait pas pousser le réacteurs et, surtout, ne les finance pas.
Il faut néanmoins noter que des aides publiques existent toujours aux USA pour le nucléaire. Ainsi, l'AFP note que «Areva se réjouit que le département de l'Énergie ait présélectionné quatre projets de centrales pour obtenir les 18,5 milliards de crédits fédéraux garantis». Pourtant, il y a encore deux ou trois ans, il était question de 30 nouveaux réacteurs aux USA. Puis de dix-huit, puis de douze. Finalement, si de nouveaux réacteurs sont réellement construits, ils se compteront sur les doigts des deux mains… ou même d'une seule.
Pendant ce temps, l'autorité de sûreté des USA, la NRC, prolonge la durée de vie des réacteurs en service, dont certains sont autorisés à aller jusqu'à l'age canonique de 60 ans. Passons - bien que ce soit une situation très grave - sur l'augmentation du risque de catastrophe avec ces réacteurs vieillissants. De toute façon, l'industrie nucléaire US ne fait que gagner du temps : tôt ou tard, il faudra bien fermer ces réacteurs, par dizaines. Le déclin de l'atome aux USA est inéluctable.
Ceci dit, si le risque nucléaire est immense, la part de cette énergie est en fait très faible : l'atome représente 20% de l'électricité des USA, c'est-à-dire moins de 4% de toute l'énergie consommée. Or, Obama a annoncé d'ambitieux programmes d'efficacité énergétique afin de réduire les gigantesques gaspillages : il n'y aurait en fait aucune difficulté à se passer rapidement des malheureux 4% représentés par le nucléaire.
Au niveau planétaire, la situation est assez comparable : les 430 réacteurs en service couvrent seulement 2% de la consommation mondiale d'énergie, bien moins que les énergies renouvelables dont la part, en augmentation brutale, est déjà de 15%.
A titre d'exemple, les barrages ont produit en 2008 sur Terre plus que le nucléaire : 3200 Twh contre 2600. Et, selon Le Monde du 6 février, pas moins de 1200 grands barrages - ce sont les ouvrages de plus de 15 mètres de hauteur dont le réservoir contient au moins 3 millions de m3 d'eau - sont en construction (4) et devraient accroître de 19 % la capacité hydroélectrique mondiale. Comparativement, les quelques 30 réacteurs nucléaires en construction - pour la majorité en Chine - sont pratiquement négligeables.
Le phénomène est massif, les énergies renouvelables se développent partout de façon exponentielle : même la Chine annonce que, dès 2020, les seules éoliennes produiront plus que le nucléaire (5). Cette tendance va s'accélérer et, avec les choix clairs d'Obama, on peut pratiquement dire que la question du nucléaire est classée même si, nous l'avons vu, cela prendra
Il restera alors seulement à financer le démantèlement des centrales, et à s'occuper des déchets radioactifs pendant des millénaires : l'industrie nucléaire laisse aux générations actuelles et futures une véritable bombe à retardement. Raison de plus pour la contraindre à arrêter au plus vite ses activités…
(1) Voir ici
(2) Voir la dépêche
(3) Voir la dépêche
(4) Attention, il ne s'agit pas ici de promouvoir ces "grands barrages", qui posent effectivement des problèmes environnementaux : il s'agit de constater que le nucléaire est complètement marginalisé.
(5) Voir Chine-informations
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Si le nucléaire ne fonctionne pas sans subventions alors quelle énergie "écologique" fonctionne sans subventions? En France des tarifs de rachat très supérieurs à ceux de l'énergie nucléaire sont mis en place pour promouvoir le photovoltaïque et l'éolien. Vous pourrez argumenter que les subventions sont payées par les français au travers des organismes de recherches type CEA. Mais aux Etats-Unis si le nucléaire doit être un peu subventionné c'est pour être rentable par rapport aux centrales à énergies fossiles qui sont très nombreuses vu la ressource disponible. Mais le nucléaire restera encore beaucoup plus rentable que l'éolien et le photovoltaïque et surtout il assure une production disponible 24h/24.
D'autre part, l'efficacité énergétique ne consiste pas à supprimer une source d'énergie. Cela consiste à limiter la consommation par des plans de réhabilitation thermique par exemple ce qui entraine une limitation de la demande énergétique. Cependant, à mon avis, l'idée d'Obama est aussi de limiter les émissions de CO2 et dans cette idée ce ne sont pas les 4% de nucléaire qu'il supprimera en premier s'il arrive à améliorer l'efficacité énergétique mais plutôt les centrales à charbon très pollueuses.
[Réponse de l'auteur]
Ce n'est pas Obama qui va éliminer les pauvres 4% de l'énergie américaine qui sont couverts par le nucléaire. Non, ce sont les électriciens US : là bas, l'atome n'est pas une idéologie (contrairement à la France), c'est juste un business. Et un business qui coûte plus qu'il ne rapporte n'a aucun avenir. CQFD
Par ailleurs, dire que les éoliennes vont produire plus que le nucléaire en Chine, c'est pour l'instant très loin d'être le cas. Par ailleurs, la question qui se pose, plutôt que de prendre le nucléaire pour cible, c'est : est ce que les éoliennes seules pourront prendre le relais des centrales à charbon qui représentent 80% de la production de la Chine?
Le débat n'est pas le bon : le nucléaire et les énergies renouvelables ne doivent pas être en concurrence. L'ennemi, ce sont les émissions de CO2 contre lesquelles le nucléaire ET les énergies renouvelables doivent être développés en parallèle pour lutter contre le réchauffement climatique.
[Réponse de l'auteur]
1) Les promoteurs du nucléaire assènenet continuellement un seul "argument" : le nucléaire permettrait de lutter contre le réchauffement climatique. Donc, il est absolument LEGITIME de ramener le nucléaire à ce qu'il est : 2% de la consommation mondiale d'énergie. Oui, vous avez raison : le nucléaire est incapable d'influer sur les autres secteurs, il ne joue que sur la seule électricité, et il ne fait que 16% de l'électricité mondiale. Donc, nous sommes bien d'accord : la contribution du nucléaire à la lutte contre le changement climatique est QUASI NULLE. (Qui plus est, faut-il le rappeler, le co2 ne représente que la moitié du problème : ne pas oublier le méthane et autres GES.) 2) Le nucléaire couvre 0,3% de la consommation d'énergie en Chine, et si tous les réacteurs annoncés par Pékin sont réellement construits (ce qui est fort improbable), le nucléaire couvrira royalement 0,7% de la consommation d'énergie dde la Chine. Et pourtant, on trouve encore des gens pour prétendre que les chinois font du nucléaire "pour lutter contre le réchauffement climatique" oou "pour assurer leur indépendance énergétique". Un seul commentaire possible : ha ha ha ! 3) Bien sur que le nucléaire et les renouvelables sont en concurrence : a) le nucléaire est extrèmement dangereux et polluant, pas les renouvelables b) l'argent mis dans le nucléaire n'est pas mis dans les renouvelables Les faits sont tétus mais les pronucléaires ont un "argument" majeur : les publicités incessantes d'EDF et d'Areva et les dicours de sarkozy : en répétant des milliers de fois des choses fausses, elle deviennent "vraies". Bravo. SL
[Réponse de l'auteur]
Les antinucléaires ne procèdent jamais par anathèmes : nous produisons toujours des arguments solidement étayés, d'autant plus étayés qu'ils sont basés sur les chiffres officiels (en particulier Agence internationale de l'énergie). Cela suffit amplement à démontrer que le nucléaire couvre une part infime de l'énergie mondiale et, qui plius est, une part en déclin (ce qui contraste totalement avec les innombrables reportages et dossiers sur un supposé "grand retour du nucléaire". Pour le reste, nous sommes presque d'accord : il faut choisir les énergies renouvelables (et les économies d'énergie) et TOUT RETIRER au nucléaire : il a obtenu monts et merveilles pendant 50 ans, ça suffit ! Donc, pour un euro mis dans les renouvelables, il faut... zéro euro pour le nucléaire.
Au passage, la lutte contre le réchauffement climatique n'est pas le "seul" argument pour le nucléaire. Entre autres, ne vous êtes vous jamais demandé pourquoi l'électricité était moins cher en France que chez nos voisins européens?
Que le débat soit clair : le nucléaire, comme toutes les autres énergies, a ses défauts. Ce n'est pas une raison pour faire des comparaisons sorties du contexte. Les énergies renouvelables sont indispensables dans notre mix énergétique mais les premières centrales à bannir sont celles à charbon si nous voulons limiter le réchauffement climatique, pas les nucléaires.
Pour entrer dans le vrai débat, lisez l'article "Que faire des déchets nucléaires ? Rien pour l'instant". Extrait :
Le Pr Moniz a cité des études approfondies du MIT, publiées dès 2003, qui mettent en évidence que si l’on veut contribuer de façon sérieuse à la lutte contre le climat, le monde a besoin de nouvelles centrales nucléaires d’une capacité d’au moins 1 terawatt (1 million de mégawatts). Avec la politique actuelle, nous ne sommes pas dans cette trajectoire. Une nouvelle version de l’étude de 2003 est disponible sur le site du MIT Energy Initiative. Nous avons besoin d’un solide programme de recherché (500 millions de dollars par an) sur les cycles avancés du combustible et d’autres aspects de la technologie nucléaire, a indiqué le Pr Moniz.
Cet article est paru dans MIT Tech Talk, le journal officiel du Massachusets Institute of Technology
[Réponse de l'auteur]
Hé bien oui, c'est important de savoir de quoi on parle AVANT de parler. Un pronucléaire qui, pour seule "preuve", cite un institut pronucléaire, ça ne convainc personne. Le nucléaire est en phase terminale. Non, nous sommes lucides, ce n'est pas à cause des manifs antinucléaires (que nous avons néanmoins raison de faire). Pas non plus à cause des risques et des déchets : simplement parceque le nucléaire est à la fois trop cher et trop marginal.
Faisant partie des personnes capables de conduire une centrale nucléaire, j'en mesure toute la complexité. Cela m'amène aux coûts de R&D du nucléaire...
Je pense que si ces sommes avaient été investies dans le renouvelable, la donne serait bien différente. Mais le débat n'est déjà plus là à mon avis. Aujourd'hui il est URGENT (trop tard ?) de rattraper les 50 années perdues si nous voulons limiter les dépenses colossales inhérentes aux conséquences de nos choix passés.
Je pense que le nucléaire a pu être un moyens acceptable de transition, mais il est temps de concevoir quelque chose de bien plus durable...
Et pour les pro-nucléaire, je ne vous souhaite pas d'avoir les même cancers que ceux exposés aux déchets...même si vous comprendriez alors mieux tout ce qui est en jeu avec cette technologie.
PS : Pour ce qui est de l'étude du MIT, il faut pas confondre intelligence et clairvoyance. Les chiffres n'ont pas toujours raison.