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Le fond du débat bonus-malus : taxer ou pas ?


mardi 05 mai 2009

Le débat engagé sur « la chaîne Energie » sur l’efficacité du bonus-malus de Borloo sur l’automobile pose en fait la question de la légitimité des taxes sur l’environnement


Au-delà des batailles de chiffres, le débat engagé entre Rémy Prud’homme (Le bonus-malus de Borloo a augmenté les émissions de CO2) et Pierre Mulin (Bonus-malus automobile : bon ou mauvais ?) recouvre une question de fond : les taxes sur l’environnement sont-elles légitimes, quelle doit être leur assiette, quelle est la limite juste et tolérable par les citoyens ?

Voici deux points de vue. Celui de Dominique Bidou : il plaide pour une approche souple et passe en revue les différentes formules de taxes, notamment celle, assez nouvelle, du « pay as you drive ». Celui de Pierre Mulin qui part du coût du bonus-malus et se demande combien de fois il faudra répéter ce genre d’opération. Son estimation : 2.500 fois !

Tout est dans la manière de procéder, estime Dominique Bidou. Le système marteau pilon, ou rouleau compresseur, a le mérite de la simplicité, mais son large spectre peut provoquer des dégâts collatéraux. Il vaut mieux du sur mesure, si on en a les moyens.

La formule « pollueur-payeur ». Il s’agit en général de taxer des comportements défavorables, pour trouver l’argent nécessaire pour faire des travaux préventifs, ou bien remettre en état ce qui a été dégradé. Pourquoi, en effet, une personne respectueuse de l’environnement devrait-elle payer pour celui qui s’en fiche ? Pour éviter de créer des prélèvements supplémentaires, l’idée a germé du bonus-malus. L’argent payé par les uns doit compenser les efforts consentis par les autres, l’Etat assurant le prélèvement, les subventions, et les ajustements nécessaires. Certains reprochent des effets pervers à ces dispositifs. Le pollueur étant le payeur, n’achète-t-il pas le droit de polluer ? Le riche pourrait ainsi dégrader l’environnement sans vergogne, le pauvre étant proportionnellement beaucoup plus taxé, eu égard à son pouvoir d’achat. Et tout compte fait, cette recette n’est-elle pas une aubaine pour l’Etat, toujours en quête d’argent ?

La formule « Pay as you drive ». Que faut-il taxer ? La possession d’une voiture, ou son utilisation ? Les deux, bien sûr, la première avec la TVA et de nombreux frais fixes, comme les assurances elles-mêmes taxées, la seconde avec la TIPP et les consommations courantes, entretien, huile, etc. Les assureurs étant en concurrence, ils offrent des formules à la carte, pour ajuster le prix au risque réel. L’électronique moderne permet de proportionner le tarif au nombre de kilomètres effectivement parcourus ? C’est le contrat pay as you drive. Une voiture qui ne roule pas occupe de l’espace, mais elle ne fait pas de bruit, ne pollue pas l’air, n’use pas les routes, ne provoque pas d’accident. Faut-il la taxer autant que sa sœur jumelle qui roule des milliers de kilomètres chaque mois ?

TVA modulée pour la location. La location pourrait être favorisée. Non qu’une voiture louée pollue moins qu’une en pleine propriété, mais la location favorise un usage plus adapté de la voiture. La location d’un bien, au coup par coup, est une décision à prendre à chaque fois, ce qui permet d’ajuster le tir en fonction des circonstances. Je suis seul, sans paquets, dans une ville bien desservie par les transports en commun, pourquoi louer une voiture, qui coûte très cher ? Alors que si j’ai ma voiture qui m’attend, avec mes petites affaires, ma radio, mes habitudes, la tentation est forte de toujours la prendre. S’il faut un signal prix pour favoriser la location de la voiture plutôt que son achat, la souplesse de l’usage plutôt que la rigidité de la possession, la TVA pourrait-elle être modulée ?

TVA luxe. A l’inverse, on pourrait se dire qu’une grosse cylindrée est un luxe. C’est une affaire de statut social, un bijou que l’on s’offre. Le nombre de kilomètres parcourus n’a pas d’intérêt pour établir la base d’imposition. Une TVA luxe pour les grosses bagnoles, à moins de pouvoir justifier son usage. Le médecin de campagne peut garder une TVA ordinaire pour sa 4x4, alors qu’il n’y a pas de raison de ne pas surtaxer la même 4x4 achetée par un couple parisien.

Il y a donc bien des manières de procéder, de fonder une fiscalité écologique. L’empirisme, l’observation des effets des choix retenus, les orientations générales d’une politique, vont guider les décideurs vers la meilleure formule. Mais un argument doit être évacué fermement. Celui qui consiste à refuser de créer par principe toute nouvelle taxe justifiée au titre de l’environnement. Ne rien faire consiste à adopter et renforcer une forme de taxe discrète mais perverse. Les personnes victimes des nuisances en payent quand même les conséquences. C’est le régime du pollué payeur, de la double peine. Créer une taxe ne fait que révéler la charge, et c’est la faire payer par ceux qui la provoquent et non par ceux qui en sont victimes.

De son côté, Pierre Mulin est revenu sur son désaccord avec Rémy Prud’homme au sujet du coût du bonus-malus automobile, en faisant un calcul étonnant. Il écrit :

M. Prud’homme voit dans cette mesure de l’argent dépensé qui finalement augmente le nombre de voitures, puis la circulation et in fine les émissions de CO2, ce qui est contre-productif,
J’y vois pour ma part une (faible) accélération d’une des transformations nécessaires du parc automobile, qui en bonus allège (très légèrement) la facture de carburant.
Ces baisses (celles de ma vision des choses) correspondent à 0,14% des émissions du transport ou encore 0,03% de l’ensemble des émissions françaises. On est bien loin de 75% à atteindre !

Ceci dit, avec environ 2 500 mesures de cette ampleur (et sous réserve de ne pas augmenter les émissions en même temps, bien sûr !), on atteindrait l’objectif de –75% d’ici 2050. Comme on a environ 40 ans pour y parvenir, on arrive à ce qui me semble être le vrai sujet au delà des désaccords.

Revenons donc à l’aspect économique : si l’on repart des 300 millions que coûte cette mesure, l’atteinte des objectifs nationaux coûterait (à partir de ces données) 2500 x 300 millions sur 40 ans, soit 18 milliards d’euro (d’aujourd’hui) par an. C’est environ 1% du PIB. J’espère que Sir Nicholas (Stern) me pardonnera ce raccourci qui permet de se faire une idée des ordres de grandeur, mais pas de la complexité de la situation.

Le Français vont devoir contribuer significativement à cet effort que l’Etat ne pourra pas assumer seul sans révolutionner l’ordre établi (cette somme correspond en effet à peu prêt au budget annuel de la recherche et de l’enseignement supérieur) !

Ramenée au nombre d’actifs (environ 28 millions en France), elle représente un effort d’environ 650 € tous les ans. On ouvre alors la porte sur un autre débat déjà documenté par les spécialistes mais que chacun d’entre nous doit s’approprier pour en mesurer les enjeux puis s’engager. Vaste programme !


Le blog de Rémy Prud'homme
Le blog de Dominique Bidou


Photo copyright Ioannis Kounadeas - Fotolia
2 commentaire(s)
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Commentaire par alrog
mardi 05 mai 2009 08:45
On peut se poser plus généralement le problème de l'évaluation quantitative des mesures politiques. Une évaluation sérieuse doit être confiée à des experts indépendants (ou dont les dépendances aux acteurs sont connues de tous) avec des compétences techniques établies en statistique, économétrie. Il est même indiqué de concevoir ("designer") les mesures au départ pour qu'elles soient évaluables.

Le secteur de l'environnement et de la MDE brillent en France par la quasi-absence de travail d'évaluation sérieux et corrélativement par l'ampleur des partis pris et de la mauvaise foi sur ces questions. De nombreuses mesures coûteuses et complexes ne conduisent à aucun résultat, ou à des résultats négatifs. Tout reste donc à faire.

Le marketing politique ("Grenelle" de ceci ou cela) va souvent dans le mauvais sens. Les pollueurs intelligents et bien informés soutiennent astucieusement les mesures les plus inefficaces et obtiennent à peu de frais une image "verte" (ou "citoyenne", "responsable", etc).
[2]
Commentaire par Antoine Bassard
mardi 05 mai 2009 23:29
Dominique Bidou va faire des heureux : les inspecteurs des finances de Bercy ! Les membres de ce corps d'élite adorent fabriquer de nouveaux modes de fiscalité, souples donc compliqués. Plus c'est "sur mesure", plus ils s'éclatent. Les exceptions font leurs délices, les taux progressifs les ravissent. Le résultat n'est généralement compris que par eux et une taxe, selon le vieux principe français, reste en place pour l'éternité. Elle est seulement, de temps en temps, recouverte par une autre encore plus hermétique. Le soleil brille sur Bercy et le MEDAD...