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sgsf
Electricité : une approche réaliste des coopérations nord-sud
vendredi 13 décembre 2013
L'association Med-TSO regroupe les opérateurs de transport d'électricité des rives nord et sud de la Méditerranée. Son vice-président Pierre Bornard explique sa volonté de « réalisme ambitieux ».
43 ministres de l'énergie des pays du pourtour méditerranéen se sont réunis cette semaine à Bruxelles. Ils ont examiné le projet de Med-TSO pour l'intégration des systèmes électriques euro-méditerranéens. Quelles en sont les grandes lignes ?
Créée en mai 2012, Med-TSO a l'ambition de rapprocher les infrastructures électriques des pays de la Méditerranée, au nord et au sud, et d'harmoniser leurs règles techniques et de marché. C'est-à-dire suivre les traces de l'association qui existe au nord depuis plusieurs années, l'ENTSO-E. Grâce à elle, les pays européens se sont mis d'accord sur des règles communes de connexion : cela paraît simple, mais il a fallu par exemple harmoniser une quinzaine de cahiers des charges différents concernant les éoliennes... Aujourd'hui, il y a en Europe compatibilité entre les plus grandes centrales et les plus petits panneaux photovoltaïques. Peu à peu, nous visons à y arriver sur tout le pourtour de la Méditerranée et à développer les coopérations techniques et économiques.
Bien sûr, il y a une grande différence entre les deux rives. En Europe, il y a une grande harmonisation du secteur, avec des taux de croissance faibles de la consommation, autour de 1% par an. En revanche, la rive sud connaît depuis plusieurs années une augmentation considérable de sa consommation électrique, avec des taux de 8%, et donc des besoins en investissements énormes. Il y a donc une complémentarité.
Vos projets envisagent notamment de développer les liaisons physiques entre ces deux marchés. Quelle en sera l'ampleur?
Med-TSO ne fera pas de prévisions utopistes. J'ai entendu dans le passé des projections portant sur 15.000, voire 50.000 MW de capacité échangée. Ce n'est pas réaliste. On va faire des choses mais pas à cette échelle qui n'est pas raisonnable.
Nous prévoyons par exemple à terme des échanges de 3500 MW entre le Maghreb et l'Europe, 600 MW entre l'Egypte et la Turquie. C'est un réalisme ambitieux. Vous voyez par où il faut passer pour relier Egypte et la Turquie, ce n'est pas gagné d'avance...
D'autre part, le financement n'est pas facile. En gros, pour un projet de liaison nord-sud, il faut compter un délai de 8 à 10 ans et un investissement d'un ordre de grandeur d'1 milliard. Quel investisseur privé s'engagera dans un investissement qui sera rentabilisé économiquement entre 2022 et 2037, avec des risques politiques et des incertitudes économiques liées à la diversité des transitions énergétiques. Même pour un opérateur public, un projet de ce type a un tel impact sur les consommateurs qu'il faut que ce poids soit assumé politiquement. Un des intérêts de Med-TSO est de favoriser les décisions des opérateurs et des Etats.
Si les liaisons voient le jour, dans quel sens marcheront-elles ?
Dans les deux sens bien sûr. Le temps où l'on avançait l'idée de couvrir le Sahara de centrales solaires pour alimenter les pays du nord de l'Europe n'est plus. Vu la consommation des pays de la rive sud, il y aura un sens nord-sud aussi bien que sud-nord. D'ailleurs la liaison qui fonctionne sous le détroit de Gibraltar est aujourd'hui essentiellement dans le sens Espagne vers Maroc.
De telles interconnexions ne sont d'ailleurs pas seulement nord-sud. Elles touchent les voisins. S'il y a une liaison entre la Tunisie et la Sicile, l'Algérie sera concernée. C'est le rôle de Med-TSO d'établir des règles du jeu qui vont permettre un bénéfice non seulement aux deux pays connectés mais à toute la région. On ne promet pas un grand marche unique de l'électricité, qui est très loin. Mais on promet des progrès très pratiques avec des règles du jeu.
Regroupez-vous tout le monde ?
La dernière assemblée générale de Med-TSO, cette semaine, a formellement admis les sociétés de transport israélienne et palestinienne. Ce n'est pas si fréquent d'avoir les deux côte à côte. Nous avons tout le pourtour, sauf la Syrie et le Liban pour des raisons malheureusement faciles à comprendre.
Il y a une longue tradition du dialogue entre opérateurs. Car quand on ne coopère pas, plus personne n'a de courant. Cela oblige à dépasser les clivages politiques. Le fait d'avoir des outils communs rend le processus plus efficace.