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Jacques Foos (CNAM) : "il faut développer toutes les énergies"


vendredi 29 juin 2007

Avec 80 millions d'habitants supplémentaires par an, la planète a besoin de toutes les énergies : nucléaire, éolienne, solaire, hydraulique....Le combat "sortir du nucléaire" est perdu d'avance et l’heure n’est plus à comparer les mérites de telle ou telle source, explique à Newsteam le directeur du "pôle environnement" du Conservatoire national des Arts et Métiers.


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Extrait audio
 
default textJacques Foos, vous êtes professeur au
Conservatoire national des Arts et Métiers, titulaire de la chaire « rayonnements isotopes et applications » et directeur du Laboratoire des Sciences nucléaires. Vous êtes président du « pôle environnement » du CNAM et aussi vice président de la commission de surveillance de l’usine de La Hague (CSPI). Le gouvernement vous a nommé expert –dans le domaine des rayons ionisants- pour l’élaboration du plan national « santé-environnement ».
(Voir les
conférences du Pr Foos)
On assiste aujourd’hui dans le monde à un regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire. Est-ce une renaissance du nucléaire ?
Oui. Cette renaissance du nucléaire, qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en lamente, est inéluctable. D’abord, il y a une demande d’énergie croissante, notamment des pays en développement. La Chine et l’Inde - 2,3 milliards d’habitants au total-
ont une croissance qui dépasse 10% et donc une demande d’énergie qui s’ensuit. Il y a aussi une augmentation de la population mondiale au rythme de + 220.000 personnes par jour, donc 80 millions environ par an. Le besoin énergétique suit derrière.
Or si on se projette à l’horizon 2050, on voit s’évanouir ce qui fait 75% de nos ressources actuelles. Soit une disparition progressive (pour le pétrole ou le gaz), soit une utilisation moindre (pour le charbon) en raison du protocole de Kyoto sur les émissions des émissions de gaz à effet de serre.
J’ai fait une prospective : même si on épuise nos dernières cartouches en pétrole et gaz, même si on ignore Kyoto, ce qui n’est pas souhaitable (rappelez vous que la Chine installe chaque année en charbon l’équivalent de notre parc nucléaire), même si vous développez la biomasse et le solaire, même si vous mettez des éoliennes partout, même si vous noyez les continents pour faire des barrages, il manquera d’ici 2050 un paquet énorme d’énergie, équivalent à 6.000 réacteurs nucléaires. On ne les construira pas, donc on va manquer d’énergie.
Je suis favorable au développement de toutes les énergies, quelles qu’elles soient. Le nucléaire ne remplace pas, c’est une source à côté des autres Nous aurons besoin dans l’avenir de toutes les sources, car de toute façon on sera en déficit. Il faut tout développer. L’heure n’est plus à comparer les mérites du nucléaire ou de l’éolien.
Le combat « sortir du nucléaire » est perdu d’avance. On peut le mener en France, nous sommes un tout petit pays, comptant pour 1% de la population mondiale. On se retrouvera au 300e rang mondial, mais on peut le faire. Mais le monde dans sa globalité a besoin d’un bon niveau énergétique, ce qui signifie un bon niveau de confort, mais surtout de santé.
default textLe nucléaire ne rejette pas de gaz à effet de serre, ce qui est un aspect positif. Mais bien sûr, il faut regarder ce qu’il y a derrière : la sûreté , les déchets. Comment appréhendez-vous ces deux problèmes ?
En ce qui concerne la sûreté, je n’ai pas de craintes pour les réacteurs du monde occidental. En revanche, on ne pas faire n’importe quoi n’importe où, on l’a vu avec Tchernobyl. L’opinion peut se retourner d’un seul coup, car la catastrophe peut être quasiment planétaire.
Il y a un problème très sérieux de contrôle. Comment faire un contrôle crédible ? Il faut un contrôle international, comme on le fait pour la prolifération. Et il faut que les Etats s’y plient.
Pour la question des déchets, il faut d’abord aborder ces questions de façon globale, notamment celle des déchets hautement toxiques, pas seulement dans le nucléaire, mais dans tous les secteurs de l’industrie, et tout particulièrement le chimique.
Pour les déchets radioactifs, qui représentent depuis le début du nucléaire en France un cube de 12 mètres d’arête, je préconise qu’on engage des recherches pour ramener à 300 ans leur durée de vie. Actuellement, le temps se chiffre en millions d’années pour ceux pour ceux dont les durées de vie sont les plus longues.
Il faut développer la technique de séparation-transmutation. C’est possible, j’ai travaillé la dessus dans mon laboratoire au CNAM.
Pour cela, il faut isoler ces noyaux à durée de vie longue, les mettre dans des piles, les bombarder pour modifier leur structure interne, les transformer en noyaux plus instables qui auront une durée de vie plus courte et reviendront à un taux de radioactivité naturelle en 300 ans.
La technologie d’aujourd’hui ne le permet pas, mais des recherches ont été engagées. C’est l’un des axes de la nouvelle loi sur la gestion des déchets radioactifs. D’ailleurs, quand on a arrêté Superphenix, il y avait des projets de recherche qui tournaient sur cette transmutation.
Combien de temps pour aboutir ?
Sans doute une à deux générations, donc d’ici 2050. En termes industriels, ce n’est pas long.
C’est le « challenge » de demain. Le nucléaire, on est obligé d’y passer. Donc il faut répondre à ces questions-là : sûreté des réacteurs et gestion des déchets. Il y a beaucoup de travail a faire.
De qui dépend le feu vert ?
Il dépend essentiellement des gouvernements. Les entreprises considèrent que le problème est résolu par le stockage. Je rappelle qu’il y a des pays qui stockent le combustible en l’état (par exemple la Suède). En France, nous avons décidé de travailler dans l’optique du retraitement : dans 1000 kg de combustible usé, il y a près de 956 kg d’uranium, quelque 9 kg de plutonium et 35 kg déchets ultimes. L’usine de La Hague sépare ces 35 kg. Par rapport à 1000, c’est déjà une avancée. L’avancée suivante, c’est de transformer même ces 35 kg, de les transmuter pour qu’ils atteignent le niveau de radioactivité naturelle après 300 ans. Cela implique des coûts de recherche, mais les trois axes de recherche de la nouvelle loi incluent cette recherche.
Un développement du nucléaire pose également le problème de la pérennité des ressources en minerai d’uranium, de la disponibilité des matériels pour la construction des centrales. Qu’en pensez-vous ?
Pour les ressources en uranium, je ne suis pas inquiet. Aujourd’hui, il y a de l’uranium « économique » pour 4 siècles. Si on va chercher un uranium moins économique, on peut en trouver plus. En outre, les réacteurs de quatrième génération vont permettre de réutiliser le carburant. On passera alors à plusieurs millénaires de disponibilité. On peut aussi aller rechercher l’uranium de l’eau à un taux relativement économique, il y en a des milliards de tonnes. Donc, c’est quasiment inépuisable.
Pour les matériaux, il y a effectivement une gestion à conduire, par exemple pour l’acier spécifique des cuves.
Il y a d’autres problèmes, comme le refroidissement des centrales. Il vaut mieux les mettre en bord de mer plutôt qu’au bord des fleuves qui peuvent ne pas avoir assez d’eau en été.
Tout cela génère des coûts fixes très importants, alors que les prix de l’électricité sont volatiles et plutôt à la baisse. Qui peut s’engager dans des investissements avec un retour si lent ?
Premier élément : le coût de l’électricité ne va pas baisser ou pas longtemps. On va manquer d’énergie, donc son coût va globalement augmenter. Le prix du kwh n’est pas un argument. Même l’éolien, ou le solaire qui est très cher, ne seront pas handicapés. Ce qui est très cher aujourd’hui va devenir, en relatif, moins cher demain.
Le kwh généré par le gaz par exemple n’est peut-être pas cher mais dès qu’on va imposer une taxe sur le carbone, ce prix va augmenter, par rapport au coût du nucléaire, et même par rapport à l’éolien.
Il y a aussi le coût du kwh par rapport à la matière première. Dans le nucléaire, le coût au départ est beaucoup plus élevé car dans chaque kwh vous payez tout : l’élaboration du combustible, la centrale, le traitement des déchets et même le coût de démantèlement de l’usine. Dans ce coût, le combustible, c’est « peanuts ». Or, par gramme de combustible, vous avez un facteur « deux millions » entre les énergies nucléaire et le fossile . Si demain vous doublez le prix du gaz, vous doublez le prix du kwh . Si vous doublez le prix de l’uranium, vous allez à peine vous en apercevoir sur le coût du kwh.
Quant au problème de la lenteur du retour sur investissement, je constate que quand EDF annonce la construction d’un réacteur, les banques se pressent a la porte.
Pouvez-vous résumer en quelques mots les différentes générations de réacteurs ?
La « génération 1 », c’était dans les année 60-70, avec les immenses « cathédrales ».
La « génération 2 », c’est aujourd’hui .pour encore quelques décennies, avec les REP (réacteur à eau pressurisée). Il y en a 58 dans notre pays, cette filière représentent 55% de la puissance nucléaire installée dans le monde.
La « génération 3 », c’est EPR (Europan Pressurized Reactor). Le sigle est différent mais c’est un anagramme. L’EPR est un REP amélioré (meilleure sûreté, meilleure gestion du combustible).
La « génération 4 », ce sont des concepts différents. La moitié sont fondés sur la récupération du combustible. On produira l’électricité et on refabriquera en même temps du combustible. On fera donc du nucléaire une énergie durable. Il faut donc retraiter et nous avons une excellente expertise là dessus.
Un autre concept est le réacteur à très haute température. Par électrolyse de l'eau, il pourra permettre entre autres de récupérer de l’hydrogène, qui est peut-être un des carburants de demain, avec la pile à combustible, déterminante pour l’automobile par exemple.
Il y a encore de la recherche à faire, notamment sur les matériaux, car l’hydrogène abîme. Il se diffuse facilement et rend les matériaux spongieux.
Cela implique bien sûr de nouveaux domaines de recherche…
Il y a deux grands domaines de recherche, sur lesquels on n’est d’ailleurs pas assez focalisés.
Le premier est le stockage de l’énergie. Le développement de l’éolien ne peut se faire qu’avec ce stockage amélioré. On ne sait pas aujourd’hui gérer un réseau éolien. Le black-out européen du 4 novembre 2006 est en grande partie lié à cela : il y a eu un grand déficit dû au fait qu’en Allemagne les éoliennes tournaient et qu’en Espagne elles ne tournaient pas.
Le deuxième est l’étude des matériaux. Pour stocker l’hydrogène mais aussi pour mieux isoler les habitations et faire des économies d’énergie.
Propos recueillis par Yves de Saint Jacob

Le contexte


Le recours inéluctable à l'énergie nucléaire se fonde, selon le professeur Jacques Foos, sur l'examen de l'augmentation de la population mondiale et de la répartition des grandes sources d'énergie.

La consommation d'énergie primaire est passé de 1 à 10 Gtep/an entre 1900 et 2000, soit une augmentation annuelle de 2,35 % (1 gigatep = 1 milliard de "tonnes équivalent pétrole", la tep étant égale à 4500 kwh). Cette multiplication par dix a accompagné une hausse de la population de 1,65 milliard en 1900 à 6 milliards en 2000.

Que peut-il se passer d'ici 2025 et 2050 ?

- Le nombre d'habitants sur la Terre devrait passer à 8 milliards en 2025 puis à 10 milliards en 2050.

- La consommation d'énergie peut bien sûr connaître divers scénarios. Les pays développés peuvent faire des efforts plus ou moins draconiens ou continuer comme ils l'ont fait au XXème siècle. Les pays à très forte croissance (Chine, Inde, Brésil) peuvent continuer sur leur lancée d'une croissance à plus de deux chiffres ou accepter eux-mêmes de freiner. Les pays moins développés, comme l'Afrique, peuvent demeurer à la traîne, voir l'écart se creuser avec le monde occidental et avec les nouveaux "riches", ou profiter d'une croissance mieux partagée. Tous ces scénarios conduisent, selon le professeur Foos, dans une fouchette allant en 2050 de 30 Gtep à 60 Gtep, à comparer aux 10 Gtep de l'an 2000.

Le professeur Foos a ensuite établi un tableau simple des diverses sources d'énergie en 2000 et de leurs estimations à l'horizon 2050. Il a prévu le plafonnement du pétrole et du gaz, l'utilisation maximale du charbon, et la multiplication considérable des énergies renouvelables : le solaire et l'éolien multipliés par 150, la géothermie par 33, l'hydraulique par 6, la biomasse par 4.

                         2000         2050
Pétrole :             3,55            4
Gaz :                  2,05            3
Charbon             2,30            5
Nucléaire            1                 ?
Hydraulique :       0,25           1,5
Eolien                  0,01           1,5
Biomasse             1                4
Solaire                 0,01           1,5
Geothermie          0,03           1
Total                  10,2           21,5

Dans ces conditions, le nucléaire devrait apporter, selon lui, le différentiel manquant, entre 9 et 39 Gtep par an.