Par Remy Prud'homme
- Professeur émérite à l'Université de Paris XII
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Professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard,...
Nucléaire : tous les coûts sont permis
Par Remy Prud'homme
- Professeur émérite à l'Université de Paris XII
mercredi 15 février 2012
Les rapports se multiplient au sujet du nucléaire. Il est intéressant de les lire et analyser à fond, au delà des réactions polémiques. Le Pr Remy Prud'homme a étudié celui de la Cour des Comptes pour le site Débat&Co.
Le rapport de plus de 400 pages qu'elle vient de publier, intitulé « Les coûts de la filière électronucléaire », comprend une impressionnante et très utile masse d'informations sur l'histoire, la législation ou les institutions du nucléaire en France. On y trouve aussi un chiffre important sur le coût de l'électricité nucléaire : 50 €/MWh, qui va structurer beaucoup de débats.
Pour utiliser une estimation de coût, il faut savoir précisément comment elle est calculée. En gros, on distingue deux approches : une approche économique qui adopte le point de vue de la société toute entière, et une approche comptable qui reflète le point de vue de l'entreprise de production. On pourrait parler d'une approche macro opposée à une approche micro.
Dans l'approche économique, le coût d'un bien est la mesure de la consommation des ressources rares (capital, travail, etc.) utilisées pour la production de ce bien. C'est la définition utilisée dans l'évaluation ex ante et ex post de projets ou de politiques publiques dans tous les pays du monde, et en particulier en France, le pays qui a inventé au 19ème siècle le calcul économique. C'est celle qu'utilisent l'Agence Internationale de l'Energie et l'OCDE dans leur étude comparative de 2011 sur le coût des différentes filières de production d'électricité. Le coût du MWh y est calculé comme le prix qui égalise la somme actualisée des ventes d'électricité au cours de la durée de vie de l'équipement avec la somme actualisée de tous les coûts (de l'investissement au démantèlement) engagés au cours de cette même durée de vie. Elle a l'avantage de permettre des comparaisons significatives entre filières et entre pays.
Une approche de juristes et de comptables
Le rapport de la Cour ne se coule pas dans ce moule. Il reflète, ce qui est assez naturel de la part des magistrats de la Cour des comptes, une approche de juristes et de comptables, pas d'économistes. On donnera trois exemples des différences que cela implique. La Cour considère les impôts payés par une entreprise comme un élément de coût ; les économistes y voient seulement un transfert (de l'entreprise à l'Etat), pas une consommation de ressources rares.
Deuxième exemple, la Cour n'hésite pas à additionner des dépenses engagées à des dates très différentes (après correction pour la hausse des prix, tout de même) ; pour un économiste, un euro de 1980 n'a pas du tout la même valeur qu'un euro de l'année 2010 ou un euro de l'année 2020, et ces différents euros ne peuvent être additionnés qu'après avoir préalablement été actualisés. Un troisième exemple concerne la prise en compte des coûts de démantèlement ; la Cour les calcule comme le coût pour EDF des provisions que l'entreprise doit, de par la loi, faire à cet effet ; un économiste part de la dépense effective qu'il faudra faire en 2040 et au moyen d'un taux d'actualisation en impute la part qui revient aux MWh produits en 2010.
Le 50 €/MWh auquel parvient la Cour est donc un coût comptable, pas un coût économique. Le chiffre est d'ailleurs donné dans la conclusion d'une section intitulée : « les coûts inclus dans les comptes des exploitants ». C'est la raison pour laquelle le rapport fait apparaître (p. 279) des coûts d'exploitation supérieurs aux coûts d'exploitation dans une industrie extrêmement capitalistique. Ou, ce qui est encore plus bizarre, un coût qui diminue lorsque le taux d'actualisation augmente (p. 282). Dans tous les pays du monde, un étudiant d'économie qui rendrait le rapport de la Cour aurait assurément une mauvaise note.
Cette observation ne constitue pas une critique du rapport de la Cour. Les économistes ne prétendent nullement détenir toute la vérité. Il savent bien que la réalité est multiforme et ne se laisse pas facilement réduire à un seul chiffre. Tous les coûts sont permis. Ils doivent seulement être adaptés à l'usage qu'on veut en faire. A chaque objectif, son coût.
A chaque objectif, son coût
S'agit-il de définir le prix auquel le producteur (EDF) doit vendre son électricité nucléaire à ses concurrents, et qui a été fixé à 41 € ? La signification du rapport serait alors que le prix fixé l'an dernier est beaucoup trop bas. Dans sa réponse au rapport, le président d'EDF se frotte les mains. Le président de Suez-GDF doit s'arracher les cheveux.
S'agit-il de comparer le coût de l'électricité nucléaire au coût de l'électricité éolienne, solaire ou thermique, dans le but de définir le mix électrique le plus désirable pour la France ? Le rapport ne répond pas du tout à cette question, puisqu'il ne s'est pas penché sur le coût des autres filières. Le ferait-il qu'il faudrait qu'il utilise pour les autres filières la même méthodologie. Mais pour répondre à cette question foncièrement plus économique que comptable, l'approche de la cour serait sûrement moins adaptée que l'approche économique classique. Le calcul devrait porter sur le coût marginal du nucléaire comparé au coût total des autres filières. Plaçons-nous pour simplifier dans l'hypothèse - plausible - d'une demande d'électricité stagnante dans les décennies à venir. Le choix est entre (a) continuer d'utiliser les centrales nucléaires existantes, ou (b) les fermer et leur substituer des centrales éoliennes, solaires ou thermiques.
Le coût de cette option (b) est le coût total, y compris les coûts d'investissement des centrales à construire. Mais le coût de l'option (a) est uniquement le coût de fonctionnement des centrales nucléaires, y compris le coût de la maintenance et de la mise aux normes post-Fukushima. Les coûts passés d'investissement doivent être ignorés : ils sont derrière nous et ne peuvent pas être réduits. Cela est également vrai des futurs coûts de démantèlement : que les centrales fonctionnent ou ferment, il faudra de toutes façon supporter ces coûts de démantèlement. Le rapport de la Cour ne calcule pas le coût de cette option (a) mais il donne des éléments qui permettent de l'estimer (en soustrayant le coût du capital, les impôts et taxes, le coût du démantèlement, et en ajoutant l'augmentation des coûts de maintenance, ainsi que les dépenses de recherche et de sécurité). On obtient un coût marginal de 31 €/MWh.
Il faut saluer le travail considérable effectué par la Cour. Il faut aussi craindre l'utilisation inconsidérée qui en sera faite dans un pays où le niveau de compréhension des réalités économiques reste malheureusement peu élevé.
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Quand prendra-t-on en compte réellement la sécurité des populations et la préservation de l'environnement et des maigres ressources qui restent ? Aucune technologie n'est exempte d'accidents un jour ou l'autre. A courte vue, le nucléaire est économique, mais les centrales nucléaires vieillissent et leur dangerosité et leur coût augmentent considérablement avec le temps. Les déchets radioactifs s'amoncellent. Il y aura d'autres accidents, et plus graves encore, si on persiste. Il est IMPOSSIBLE de limiter le risque nucléaire. LES ENERGIES ALTERNATIVES EXISTENT, des énergies propres et sans dégagement de CO2, d'autres sont à développer. Il faut une réelle volonté politique de modernisation de l'énergie et dépasser le nucléaire, ENERGIE CHERE, DANGEREUSE ET EXTREMEMENT POLLUANTE. Voir le blog http://nucleairedanger.blog4ever.com/
On ne doit pas calculer le cout d'une installation de production électrique comme un placement sur 20ans mais comme une necessité pour fournir l'énergie. Je considère que EDF et consorts devraient pratiquer un autofinancement fluide sans recours à l'emprunt pour économiser les couts financiers des projets. Dans ce cas l'amortissement peut être calculé sur la durée de vie entière sans frais financiers . En vendant l'electricité au vrai prix,(environ 1ct de plus soit ~5G€/an)) on peut alors financer la construction d'unités de remplacement à un rythme régulier et ainsi maintenir le parc sans recours a l'emprunt.
[Réponse de l'auteur]
Pas vraiment, pour deux raisons. Il est vrai qu'il est absurde d'amortir sur 20 ans un équipement qui va fonctionner 60 ans. Mais il est vrai aussi qu'un milliard aujourd'hui vaut bien plus qu'un milliard dans 30 ans. Ce n'est pas une affaire de "frais financiers" prélevés par de méchants banquiers. C'est pourquoi on utilise la notion d'amortisation (qui n'a rien à voir avec l'amortissement qui reflète l'usure du capital). La courbe des investissements que doit faire une entreprise comme EDF n'est pas lisse. elle a connu deux grosses bosses, correspondant aux barrages dans les années 1950, et au nucléaire dans les années 1970-80. Il est désirable qu'elle emprunte pour réaliser ces investissements, et qu'elle rembourse ses emprunts sur une longue période. C'est ce qu'elle a fait. Si EDF avait du construire l'hydroélectrique avec le seul auto-financement, "on n'aurait jamais construit les barrages hydroélectriques qui nous sont si utiles actuellement".
Y'en a marre qu'on prenne les usagers pour des grenouilles: pourquoi les opérateurs sont-ils quasiment exemptés du paiement des dommages et réparations en cas d'accident ? A combien ça se chiffre la prime d'assurance pour une catastrophe style Fukushima qui aurait lieu à la centrale de Nogent sur seine entrainant l'évacuation de Paris pendant 30 ans ?
Les énergies alternatives n'existent pas (ou si peu), c'est là le problème.
(à part l'hydroélectricité, qui ne peut plus croître)
Bonjour, et merci pour votre réponse.
Ok pour l'emprunt à l'époque car l'ensemble du parc de production était à construire, donc il aurait effectivement été difficile de ne pas avoir recours à l'emprunt. Mais actuellement, une augmentation de 1ct€ du prix de vente du Kwh gonfle les ressources d'EDF de 5G€/an, de quoi construire un EPR chaque année en autofinancement. A court terme c'est un peu plus cher, mais au final on gagne les frais financiers d'un emprunt sur 20 ans, ce qui n'est pas rien (en principe les banques ne prettent pas gratis).
Bon aprés si vous tablez sur une forte dévaluation de la monnaie non compensée (taux variable), là effectivement, il peut être plus intéressant d'emprunter. Mon raisonnement s'entend à monnaie relativement stable (on avait plus ou moins essayé avec l'€ mais c'est assez mal barré maintenant).
Cdlt
Rappelons également une citation de la cour des comptes :
"Compte tenu de l’allongement des délais, qui laisse prévoir un montant élevé d’intérêts intercalaires, et de l’augmentation du coût de la construction depuis cette date, on peut estimer le coût de production futur de Flamanville entre 70 et 90 €/MWh , avec une durée de fonctionnement de 60 ans."
[Réponse de l'auteur]
J'ai effectivement eu l'honneur de participer à la commission PEON, où j'étais l'universitaire indépendant de service. Il n'est peut-être pas inutile de préciser que cette collaboration n'était en aucune façon rémunérée. La commission PEON ne s'est nullement plantée sur les coûts (et la Cour des Comptes ne dit absolument rien de tel), et les centrales nucléaires qu'elle a recommandées produisent bien l'électricité la moins chère d'Europe - juste moitié moins cher que l'électricité allemande. Elles le font sans subventions. Le rapport de la Cour des Comptes le dit clairement: les dépenses de recherches publiques sur le nucléaire sont exactement compensées par une taxe spécifique sur l'électricité (p. 285). Quant à la notion d'un "bas coût reposant sur de l'endettement" elle fera sourire. La Commission PEON s'est trompée sur un point. Elle a surestimé la demande d'électricité qui a augmenté un peu moins vite que prévu, et il y a donc deux ou trois centrales qui ont été construites un peu trop tôt. Erreur sans conséquence financière négative, d'ailleurs, puisque cette électricité "de trop" a été exportée, à un prix très rémunérateur. La citation de la Cour des Comptes est correcte mais tronquée. Elle se poursuit par: "Cependant, ces éléments doivent être pris avec une grande prudence car ils ne reposent pas sur une analyse faite par la Cour à partir d'une estimation précise proposée par EDF. Il faut rappeler aussi qu'il ne s'agit pas des coûts de l'EPR de série, qui devraient être inférieurs, mais sur lesquels il est encore plus difficile de faire des prévisions" (p. 226).
Et puis le dernier sur le mythe de l'effet de série, celui-ci n'a jamais été constaté dans le nucléaire, c'est même toujours le contraire : une centrale nucléaire est unique (plusieurs années de conception pour l'adapter à son environnement, particulièrement sur la partie refroidissement) et le processus continue d'améliorations de la sécurité obligent à en augmenter le cout à chaque itération puisqu'on les complexifie de plus en plus au fur et à mesure qu'on trouve des problèmes comme Mayak, Three Miles Island, Fukushima, Tchernobyl... La cour fait donc bien de constater que " il est encore plus difficile de faire des prévisions" sur le prix de l'EPR de série...
http://thinkprogress.org/romm/2011/04/06/207833/does-nuclear-power-have-a-negative-learning-curve/
C'est bien que vous reconnaissiez que " ...la commission PEON s'est trompée...UN PEU..." n'ai-je pas entendu que cette commission avait prévu 100 réacteurs ??
S'être gouré "..UN PEU..." en langage diplomatique et technocratique ça veut dire BEAUCOUP.
Et les Technocrates de l'époque ils ont fait quoi pour corriger leurs erreurs ? RIEN !
Ou plutôt si, voilà ce qu'ils ont fait:
- monter une énorme campagne de bourrage de crane pour gaver les Français de chauffage électrique
- SURTOUT PAS AIDER LES USAGERS A ISOLER LEURS LOGEMENTS (ça c'est le plus grâve)
- tuer dans l'oeuf toutes les vélléités de produire de l'électrcité autrement qu'avec du nucléaire
- escroquer les usagers sur les coûts car il n'y a pas de d'assurance risques, un assureur vous ferait payer au minimum une prime de 100 milliards d'€
Résultat des courses:
- on est envahi de nucléaire, l'ASN reconnait désormais "..qu'un accident n'est pas impossible.." on peut dormir tranquille de toute façon y'a pas d'assurance !
- la France met en vrille tout le réseau européen pendant les vagues de froid ou chaud
- nos logement sont des passoires énergétiques, le mythe de l'électricité pas cher pour les pauvres est une fumisterie: la précarité énergétique est énorme
- on a complètement loupé le virage de la maitrise de l'énergie et des énergies renouvelables
La dernière idée innovante des Atom'Technocrates (comission Besson 2050): PROLONGER SANS RIEN CHANGER
[Réponse de l'auteur]
Vous avez sans doute mal entendu. Jamais la commission PEON n'a "prévu 100 réacteurs". On ne peut pas simultanément : 1) dire que cette Commission déterminait le parc nucléaire; 2) qu'elle a prévu 100 centrales et 3) constater qu'on en a construit 58. Je n'ai plus le temps de continuer ces débats stériles avec quelqu'un qui confond ragot et information, arguments et vaticinations. Pouce !
Usagers (contraints et mécontents) du chauffage électrique, si vous voulez savoir comment on en est arrivé là, explorez les liens suivants:
http://www.lajauneetlarouge.com/article/un-point-de-vue-critique
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3827
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/commission_Peon.html
http://www.slate.fr/story/36491/france-nucleaire-nucleocrate
http://www.laligue.org/assets/Uploads/Nucleaire/19.-Entretien-avec-Philippe-Simonnot.pdf
[...Je n'ai plus le temps de continuer ces débats stériles avec quelqu'un qui confond ragot et information, arguments et vaticinations. Pouce ! ...]
En effet l'Emerite écriture est une denrée si rare, qu'il est dommageable de la consommer sur le pouce...
Sans plus de commentaire, ça nuirait au ridicule méritant
Vous dites que je confond les ragots et l'information mais pourtant c'est bien les rapports PEON qui prévoyaient systématiquement des consommations d'électricité très sur-estimées ?
Et c'est bien sur la base des rapports PEON que le plan Messmer a été établi ?
Alors excusez moi pour cette approximation: commission PEON = Plan Messmer
que je m'autorise car toutes ces technocrates et industriels étaient globalement dominés par la même Nomenklatura: le Corps des Mines. Pas vraiment le plus efficace pour avoir un point de vue critique sur des projets pharaoniques !
Le plans Messmer/PEON Ne prévoyait-il pas des conso d'électrcité de 750 TWh pour l'an 2000 ce qui doit faire pas loin de 100 de réacteurs nucléaires ?
Avec toutes ces chamailleries pour des broutilles on oublie le principal chiffrage "négligé" par les plans Messmer/PEON: à combien se monte le "prime d'assurance catastrophe nucléaire" imposées de force à l'ensemble des Français pour permettre aux opérateurs EDF, AREVA d'afficher des bénéfices ?
Votre article est un véritable scandale. Ceux qui ont lu le rapport de la Cour des Comptes verront bien que tout est faux dans ce que vous dites. On voit bien que vous ne l'avez pas lu et que votre "analyse" est complétement fantaisiste.
Par exemple, la CdC donne plusieurs chiffrages de coût et elle décrit minutieusement à quoi ils correspondent. Elle donne ainsi un coût comptable de 30 € qui tient compte de l'amortissement passé, à distinguer du coût Champaux utilisé pour la vente aux concurrents, à distinguer encore du coût économique qui indique le coût de production sur toute la durée de vie, afin de comparer le nucléaire aux autres énergie. Chaque coût correspond à un usage particulier.
Mais tout cela vous a totalement échappé, et ce que vous dites du rapport est complétement faux. Et vous prétendez lui donner des leçons ! C'est une belle leçon en effet, mais qui renseigne sur votre propre incompétence ...
Est-ce de l'incompétence ou des mensonges du reste ? A vous de choisir. Mais des erreurs grossières, cela est démontré. Il suffit de lire le communiqué de presse concernant le rapport, ou mieux, la synthèse pour s'en rendre compte. Il est facile de trouver tout cela sur internet et de vérifier.
Vous êtes gêné parce que ce qu'il dit contredit la version idyllique d'un nucléaire à bas coût que vous avez contribué à défendre au sein de la commission PEON.
Ce que vous craignez, c'est tout simplement la vérité.