Par Hervé Nifenecker
- Président fondateur de Sauvons Le Climat
Auteur
Ingénieur et docteur ès sciences, Hervé Nifenecker est Président fondateur du collectif  Sauvons le Climat, qu'il a créé en 2004. Il s'exprime sur "la chaîne Energie" à titre personnel...
Après Abu Dhabi : le tour du monde des réacteurs nucléaires
Par Hervé Nifenecker
- Président fondateur de Sauvons Le Climat
mercredi 06 janvier 2010
L'échec du consortium français à Abu Dhabi a relancé le débat sur sur l'état exact de la "renaissance" du nucléaire et de la concurrence entre les principales filières mondiales. Voici un état des lieux.
Le cartel français, formé d’AREVA, GDF-Suez, EDF et TOTAL, a perdu le marché de quatre réacteurs à Abu-Dabi. Il s’agit là d’une péripétie de la véritable guerre industrielle qui se met en place à l’occasion de ce qu’on appelle la renaissance du nucléaire. Mais où en est-on à ce sujet, et quelle place la France peut-être y tenir ?
Nous faisons ci-dessous un tour du monde complet des réacteurs dont la construction a été engagée ou planifiée. Aujourd'hui, on constate qu’AREVA et la France, s’ils restent et resteront d’importants constructeurs des réacteurs de ce qu’on appelle la Génération III, sont loin d’être les seuls acteurs. Ce sont probablement les Russes et les Chinois qui construiront le plus grand nombre de réacteurs dans les décennies qui viennent. Et les Coréens, General Electric et Westinghouse avec leurs alliés japonais ne se feront pas oublier.
Pour renforcer les chances des Français il faudrait que cessent les querelles de préséance entre AREVA, ALSTOM et EDF. Et, comme pour les équipes sportives, le soutien des médias et de l’opinion ne serait pas superflu. Il y va de dizaines de milliers d’emploi en France.
La construction engagée de nouveaux réacteurs
La renaissance n’est pas encore écrite dans le nombre de réacteurs en construction ou faisant l’objet d’un passage de commande ferme.
Ainsi, AREVA est engagée dans la construction de 5 EPR , un en Finlande, deux en France (Flamanville et probablement Penly), et 2 en Chine. Westinghouse-Toshiba dans celle de 4 AP1000 en Chine.
En COREE DU SUD, 6 réacteurs de type REP (à eau pressurisée) sont en construction, dont 4 OPR 1000 de 1000 MW et 2 APR1400 de 1350 MW. 6 autres réacteurs de type APR 1400 sont commandés. La récente commande de 4 APR1400 par Abu Dabi amène donc à 16 le nombre de réacteurs en construction ou commandés à la compagnie Coréenne KEPCO et à ses associés.
La situation de Rosatom, l’opérateur constructeur russe, semble mieux assurée que celle de ses concurrents de l’OCDE. En effet, 7 réacteurs sont en phase de construction en Russie, dont 4 réacteurs à eau pressurisée (entre 1000 et 1200 MWe), un réacteur rapide, un RBMK . Et 11 réacteurs à eau pressurisée VVER 1200 sont planifiés pour un démarrage d’ici 2016. Par ailleurs, Rosatom construit ou doit construire des réacteurs en dehors de la Russie : 2 en Slovaquie, 2 en Bulgarie, 1 en Iran, 2 en Inde, 1 au Kazakhstan. Ajoutons que les Russes sont devenus des leaders pour les réacteurs surgénérateurs refroidis au Sodium avec le lancement de la construction de leur nouveau RNR (BN800 ), et, aux dernières nouvelles, une commande de 2 BN800 par les Chinois.
La CHINE, qui « nationalise » les réacteurs étrangers, particulièrement les réacteurs français dans des collaborations qu’elle dirige, termine la construction de 6 réacteurs; 11 autres sont planifiés, en addition aux 6 réacteurs de Génération III qu’ils ont commandés à Westinghouse (4) et AREVA (2).
Dans le secteur de la construction de réacteurs, on voit donc que les Russes tiennent la corde, suivis par les Coréens du Sud.
On peut se demander si le choix de l’EPR par la France a été le meilleur pour l’exportation, sa puissance rendant son insertion dans des réseaux peu développés difficile et l’investissement unitaire risquant de faire reculer les investisseurs modestes. Il faut remarquer que les Russes n’hésitent pas à commercialiser des réacteurs de moins de 500 MWe, et, même, de petits réacteurs de quelques dizaines de MWe installés sur des bateaux ou encore pour produire de la chaleur. AREVA a d’ailleurs senti la nécessité de diversifier son offre puisque, avec Mitsubishi, elle propose un réacteur de 1000 MWe à mettre en service dans une dizaine d’années. Pour progresser à l’exportation la question délicate se pose de savoir si AREVA doit rester attachée aux normes de sûreté particulièrement sévères de l’UE ou accepter de s’adapter à celles des pays clients.
Les perspectives de construction de réacteurs
--- En CHINE la construction de près de 90 réacteurs est programmée. Ce sera essentiellement les entreprises chinoises qui les construiront avec la collaboration de constructeurs étrangers comme AREVA, Rosatom et Westinghouse. Le nombre d’EPR projeté est faible, le plus grand nombre étant du type CPR100, des versions sinisées des REP 900.
--- Aux ETATS-UNIS, la première étape pour envisager la construction de nouveaux réacteurs est d’obtenir la certification du type de réacteur concerné. Début 2009 4 types de réacteurs ont obtenu ce certificat :
- l’ASBWR, un réacteur à eau bouillante(REB) conçu par General Electric(GE)-Hitachi d’une puissance d’environ 1400 MWe,
- le système 80+ de Westinghouse d’une puissance pouvant atteindre également 1400 MWe,
- l’AP600 (600 MWe) de Westinghouse
- l’AP1000 (1000 MW), toujours de Westinghouse.
Sont en cours de certification, entre autres, l’ESBR, un REB proposé par GE-Hitachi et l’EPR d’AREVA-EDF (certification attendue pour 2012). Les demandes de construction de réacteurs doivent être individuellement acceptées. 33 demandes sont en attente dont 8 EPR, 8 REB (GE), 16 REP Westinghouse et une demande non spécifiée. AREVA est ici devant une rude concurrence de General Electric et de Westinghouse et de leurs alliés japonais. En 2009 l’avenir du nucléaire aux USA n’est plus aussi clair dans la mesure où les opérateurs souhaitant avoir une assurance sur la possibilité de mener à terme leurs projets, il n’est pas sûr que l’administration Obama aille dans le sens de leur désir. Notons, toutefois, que l'administration Obama a clairement réaffirmé son soutien au redémarrage de la construction de réacteurs aux USA. Le secrétaire à l'énergie est convaincu de la nécessité du nucléaire pour lutter contre les émissions de CO2.
--- Le JAPON prévoit de construire 9 réacteurs d’ici 2019. Ils seront construits par Hitachi (REB avec GE) ou Mitsubishi (REP avec Westinghouse).
--- La COREE DU SUD, en addition des 12 réacteurs en construction ou commandés a planifié la construction de 2 APR supplémentaires qui devraient être opérationnels d’ici 2020 et 2021.
En addition des réacteurs en construction et planifiés, 25 réacteurs sont proposés en Russie. Ils seront construits par Rosatom.
--- Au ROYAUME UNI, il est prévu de construire 8 à 9 EPR. Le marché britannique est actuellement le plus prometteur pour AREVA. Il faut y ajouter le marché italien qui est en train de se mettre en place.
--- L'INDE prévoit de construire 30 réacteurs en addition de ceux déjà planifiés. Ces réacteurs seront construits sous la responsabilité de la compagnie indienne NPCIL, en collaboration avec des compagnies étrangères, dont AREVA pour 3 ou 4 EPR, Rosatom pour 2 à 3 VVER (REP russe), 6 réacteurs à eau lourde de type CANDU (Canada) et 8 réacteurs de type REP - probablement en collaboration avec Westhinghouse-Toshiba.
Nous examinerons dans un prochain article le cas spécifique de la Corée du sud
Plus d'actualités
-
15:42
Déchets nucléaires : nouvelle étape vers le stockage géologique
-
16/11/15
Les Etats-Unis ne délaissent pas leur puissance nucléaire
-
02/11/15
De 1973 à nos jours : qu'est-ce qui motive le choix du nucléaire ?
-
29/09/15
10 milliards d'euros pour l'EPR de Flamanville : pas si cher que ça !
-
17/09/15
La canicule du mois d'août a fait bondir la production nucléaire
Pour notre pays elles sont provisionnées pour 500 millions d'Euros par GW installés et il en faudra entre 2 à 4 milliards!
En plus un accident est provisionné pour tout le parc nucléaire pour 2 milliard d'Euros .. c'est l'Etat qui paiera .. jamais comme toujours!
[Réponse de l'auteur]
Le coût du démantèlement des centrales nucléaires est pris en compte dans le prix du kWh. Le seul débat porte sur le montant et les modalités de cette prise en compte. Avant d'aborder cette question, il est instructif de fixer simplement les ordres de grandeur. Un réacteur de 1 GWe produit chaque année environ 7 TWh, vendus environ 3,5 c€/kWh soit une chiffre d'affaires de 0,25 G€/an. En admettant une durée de vie de 40 ans, comme cela semble probable, ce réacteur aura généré 10 G€ pendant toute sa durée de vie. EDF prévoit que le démantèlement devrait coûter 15% de l'investissement initial. Pour le parc actuel, l'investissement initial est de l'ordre de 2 G€ par GWe, soit une provision pour démantèlement qui devrait s'élever à 0,3 G€. Rapportée à la totalité du Chiffre d'Affaire d'EDF, on voit que le surcoût est de l'ordre de 3%. En réalité, l'obligation de provisioner le coût du démantèlement devrait conduire EDF à placer un capital qui, au bout de 40 ans (peut être plus si on tient compte d'un temps de refroidissement avant de procéder à l'opération de démantèlement) devrait atteindre les 0,3 G€ par réacteur. EDF retient un taux d'intérêt de 3% hors inflation. Dans ces conditions il suffirait de placer environ 0,1 G€ en début de construction du réacteur, soit 5% de l'investissement initial. La somme à placer dépend, certes, de l'estimation du coût du démantèlement en rapport avec l'investissement initial, mais aussi de la durée avant démantèlement et du taux d'intérêt. Par exemple, supposons que le coût du démantèlement soit double de celui que nous venons de considérer. La provision en fin de vie doit être alors de 0,6 G€. En gardant les mêmes valeurs du taux d'intérêt (3%) et de l'horizon temporel du démantèlement (40 ans), l'augmentation du prix du kWH serait de 3% (6% au total) et celui de l'investissement initial de 5% (10% au total). Mais supposons que l'on attende 60 ans avant de démanteler, en laissant la réactivité décroître dans la centrale arrêtée. La provision initiale n'est plus alors que de 0,1 G€, comme dans le premier cas. Il suffit donc de prendre, en temps utile, la décision d'allonger la période de placement pour corriger une dérive importante du coût de démantèlement. En sens inverse si le taux d'intérêt s'avère tomber à 2%, le placement initial de 0,1 G€ devrait monter à 0,135 G€. Voyons maintenant ce que seraient ces chiffres pour l'ensemble du parc nucléaire français qui, pour 60 GWe installés, produit 420 TWh. L'investissement initial est donc de 120 G€ et la provision pour démantèlement de 18 G€. Les sommes placées devraient être aux environs de 6 G€. Parce que le démantèlement aura lieu dans longtemps, plusieurs paramètres (durée de production du réacteur, durée de la période de « refroidissement, taux d'intérêt, possibilité de réutilisation du site) peuvent intervenir pour définir sa répercussion sur le prix du kWh. En tout état de cause elle sera faible. Si on l'estime par rapport au prix payé par l'usager elle sera encore plus faible. En effet, en 2008 le chiffre d'affaires d'EDF en France était de 34,3 G€, alors que la vente du courant « nucléaire » rapportait environ 15 G€, ce qui signifie qu'une augmentation de 3% du prix du courant en sortie de réacteur, ne se traduit que par une augmentation de moins de 1,5% du prix de vente au consommateur. La question difficile est de savoir comment ces provisions doivent être gérées. L'opérateur doit-il être à la fois le responsable et le gérant des fonds? Dans le cadre de la privatisation du secteur énergétique, comment assurer qu'au moment où il faudra démanteler, les fonds ne se soient pas évaporés? D'un autre côté, si le démantèlement doit être assuré par un fonds public ou para-public comment empêcher des conduites irresponsables des opérateurs? Ces questions devraient d'ailleurs se poser pour toutes les activités susceptibles de laisser des lieux à décontaminer (industries chimiques, friches industrielles, stations services etc.) D'une certaine manière, les opérateurs du nucléaire font figure d'avant garde dans le traitement des conséquences futures de leurs activités.
Merci d'avance.
[Réponse de l'auteur]
Un état des lieux mondial peut être trouvé à l'adresse: http://www.world-nuclear.org/info/default.aspx?id=472&terms=Dismantling En ce qui concerne les considérations sur l'importance de l'actualisation elles sont assez triviales et j'en suis l'auteur. Sur ce même blog de la chaîne énergie de l'expansion il y a une bonne contribution par Nicolas Goldberg sur le démantèlement. En ce qui concerne les prix je traduis un paragraphe du site cité plua haut: Selon l'OCDE (2003) les coûts de démantèlement (basé sur l'expérience des réacteurs les plus anciens déjà démantelés aux USA) sont estimés (en dollars 2001) de 200$ à 500$/kWe pour les REP (Investissement initial de 3500$2009/kWe pour les réacteurs coréens). Pour les réacteurs graphite gaz les coûts sont beaucoup plus élevés à cause de la quantité très importante de graphite irradié contenant du C14 et du Cl36; on atteindrait alors 2600 $/kWe pour les réacteurs anglais Magnox. Ce devrait être du même ordre pour les réacteurs graphite-gaz français. Actuellement, pour les REP, la provision sur la base de 15% de l'investissement initial semble raisonnable. La question de savoir qui doit gérer le fond de démantèlement est une vraie question à laquelle il n'est pas facile de répondre. Je reprends un extrait d'un livre que je suis en train de rédiger: La question difficile est de savoir comment ces provisions doivent être gérées. L'opérateur doit-il être à la fois le responsable et le gérant des fonds? Dans le cadre de la privatisation du secteur énergétique, comment assurer qu'au moment où il faudra démanteler, les fonds ne se soient pas évaporés? D'un autre côté, si le démantèlement doit être assuré par un fonds public ou para-public comment empêcher des conduites irresponsables des opérateurs? Ces questions devraient d'ailleurs se poser pour toutes les activités susceptibles de laisser des lieux à décontaminer (industries chimiques, friches industrielles, stations services etc.) D'une certaine manière, les opérateurs du nucléaire font figure d'avant garde dans le traitement des conséquences futures de leurs activités. Il n'empêche que la situation actuelle manque de transparence et de clarté, particulièrement en ce qui concerne EDF. En Janvier 2005 la Cour des Comptes (http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/Syntheses/SyntheseNucleaire.pdf) avait fait le point de la situation en ce qui concerne à la fois le démantèlement et la gestion des déchets. Ce rapport souligne tout d'abord le fait qu'il ne faut pas tirer de conséquences hâtives des problèmes rencontrés dans le démantèlement des réacteurs graphite-gaz et eau lourde en ce qui concerne les REP. En effet, les réacteurs graphite gaz ont produit des tonnages considérables de graphite irradié faiblement actif mais dans lequel quelques isotopes ont des périodes longues (14C de période 5730 ans , 36Cl de période 300000 ans). (C'est essentiellement ce graphite qualifié de déchet « Faible activité à vie longue » que le gouvernement espérait stocker à Auxon et Pars-lès-Chavanges). En ce qui concerne les réacteurs à eau lourde se pose le problème spécifique de la production de tritium. Par ailleurs, si la Cour des Comptes estime que les provisions sont suffisantes, elle émet des réserves sur la manière qu'a EDF de les gérer. En effet, si AREVA et le CEA ont créé des comptes spécifiques pour déposer et rémunérer les fonds réservés au démantèlement et à la gestion des déchets, EDF ne semble pas l'avoir fait. Selon le rapport de la Cour des Comptes, les provisions brutes pour le démantèlement et la gestion des déchets étaient celles données ci-dessous. Valeur Brute en M€ AREVA.........CEA........EDF..........TOTAL 12316..........11107......48006........71429 Les chiffres ci-dessus concernent à la fois la gestion des déchets et le démantèlement Pour ce qui concerne le démantèlement seul, en 2008, EDF a provisionné 14142 M€.
Le jugement de la cour des comptes sur les premières opérations françaises étant je cite :
"L’analyse du démantèlement de l’usine de retraitement des combustibles de Marcoule a révélé des coûts exceptionnellement élevés, engendrés notamment par des installations conçues à une époque où on se préoccupait peu de ce type de question. De la même manière, le démantèlement des centrales nucléaires de première génération, construites dans les années 1950 et 1960, apparaît beaucoup plus coûteux que prévu."
Pour répondre aux critiques de la cour des comptes la France devait se faire livrer un rapport en 2009 qui aurait permis de savoir ce qu'il en était, finalement la commission chargé de le rédiger n'a été nommé...qu'en 2009 !
J'ai toujours été étonné des montants exceptionnellement élevés du démantèlement de centrales. Il me semble que, lorsqu'on a retiré la cuve, les tuyauteries primaires, les échangeurs et les pompes, il ne doit pas rester grand chose de complexe à enlever!
Or, ces opérations, vu le grand nombre de tranches construites, devraient être entièrement robotisées!
Sinon, on peut se demander quel est le niveau de la maîtrise du nucléaire en France! Ou en d'autre terme, si on ne sait pas maîtriser le démantèlement, il faut arrêter de construire des centrales!
Il ne faudrait pas non plus,user de la peur du nucléaire pour augmenter les tarifs de façon disproportionnée…
Mais il y a peut-être une autre voie qui est celle de la recherche fondamentale puis appliquée, qui permettrait de limiter la réactivité dans le cas d'un démantèlement rapide, ou au contraire, accélérer le processus naturel de diminution de réactivité, avant démantèlement sur une plus longue période... Je ne sais pas si c’est possible, mais l'objectif étant bien sûr de diminuer ce coût. Ce qui veut dire (à mon avis) que si financement important il y a, ce serait déjà dans la recherche qu’il faudrait le mettre.