Par Hervé Nifenecker
- Président fondateur de Sauvons Le Climat
Auteur
Ingénieur et docteur ès sciences, Hervé Nifenecker est Président fondateur du collectif  Sauvons le Climat, qu'il a créé en 2004. Il s'exprime sur "la chaîne Energie" à titre personnel...
Les scénarios douteux de l'ADEME
Par Hervé Nifenecker
- Président fondateur de Sauvons Le Climat
lundi 11 mai 2015
Le scénario de l'ADEME, qui estime possible d'assurer en 2050 toute la production électrique à partir des énergies renouvelables seules, est-il crédible ? Les experts de "Sauvons le climat" en doutent.
Dans son étude « 100% renouvelable en 2050 », l'ADEME cherche à démontrer qu'en 2050, il sera possible de se passer du nucléaire pour la production d'électricité grâce aux seules énergies renouvelables. De plus, selon l'ADEME, ce résultat devrait être économiquement acceptable. Ce résultat est obtenu grâce à un ensemble d'hypothèses dont certaines sont très problématiques. Nous donnons ici les grands axes de notre analyse, le détail des calculs étant disponible sur notre étude complète .
Une nécessité de stockage sous-estimée
On sait depuis longtemps qu'on peut obtenir une production d'électricité purement renouvelable, à condition de disposer de moyens de stockage considérables. La question est de savoir, précisément, quel serait le coût d'un tel programme.
Dans son scenario de référence, l'ADEME suppose une production totale de 482 TWh en 2050 pour une consommation de 422 TWh. La différence de 60 TWh (14% de le consommation) comprend surtout la perte occasionnée par le stockage saisonnier (de longue durée) qui se fait avec un rendement estimé par l'ADEME à 1/3.
Ce stockage saisonnier nous paraît sous-estimé. Sur les 422 TWh consommés, 56 TWh (13%) sont importés. L'ADEME considère, à tort, que ce système, ne coûterait rien. Or lorsque la France sera en surproduction solaire ou éolienne, il est fort probable qu'il en sera de même chez nos voisins. De même, lorsque la France manquera de vent ou de soleil, nos voisins seront dans une situation analogue. En pratique l'import-export est analogue à un stockage de l'électricité. Pour assurer la vérité des prix, nous augmentons le volume stocké de celui qui est exporté, passant donc à un stockage saisonnier de 83 TWh/an plutôt que 27 TWh/an, et nous supprimons la contribution de l'export-import pour le maintien de l'équilibre production-consommation.
Une baisse de la consommation électrique surestimée
La consommation électrique en 2050 est supposée décroître de 10% par rapport à la consommation actuelle (de 470 à 422 TWh) alors que la population va croître de 10% (surplus de consommation de l'ordre de 10% soit 47 TWh), qu'il faudra alimenter 10 millions de voitures électriques nécessitant un approvisionnement en électricité de 30 TWh. L'effort demandé aux français est donc considérable.
En outre, l'ADEME ne se réfère pas à la partie non électrique de la consommation d'énergie qui pourrait augmenter pour permettre la baisse de celle d'électricité (comme on le voit actuellement où l'application de la RT2012 fait que le chauffage au gaz remplace le chauffage électrique dans les constructions neuves). Il est vrai que l'objectif de l'ADEME n'est pas de diminuer les émissions de CO2, mais de sortir du nucléaire?
Les coûts de production
Les coûts des ENR ayant fortement diminué dans les années passées, l'extrapolation vers des coûts encore plus faibles est mise en avant par l'ADEME. Une telle extrapolation présente des aspects surprenants sinon troublants. Par exemple la différence des tarifs d'achat entre éolien terrestre et éolien en mer qui est de l'ordre de 120 €/MWh en 2014 est ramenée à 15€/MWh en 2050. Or cette différence est justifiée par les difficultés de construction et de maintenance en milieu marin, qui ne sont pas susceptibles de baisser avec la multiplication des installations comme le voudrait la loi de Moore. De même, la différence actuelle de 201 €/MWh entre le tarif d'achat du courant photovoltaïque intégré au bâtiment (269 €/MWh) et celui installé au sol (68 €/MWh) est ramenée à 15 €/MWh par l'ADEME. Or la différence est, essentiellement, due à des montages mécaniques et ne saurait, elle non plus, être justifiable d'une baisse aussi rapide.
Nous arrivons pour notre part à une estimation du coût du MWh, stockage non compris, 20% plus élevé que celle de l'ADEME. La modestie de ce surcoût vient du fait que nous estimons que les coûts affichés par l'ADEME pour l'éolien terrestre sont acceptables, l'éolien terrestre emportant la part du lion dans la production d'électricité.
Les coûts de stockage
L'estimation du coût du stockage est encore plus problématique. L'ADEME prévoit trois formes de stockage :
- Le stockage de court-terme fait appel à des batteries ou des cycles de compression-expansion de l'air. Les durées de stockage sont de quelques heures. Ces systèmes sont particulièrement adaptés à la production photovoltaïque. L'ADEME chiffre le coût de ce stockage à 58 €/MWh . Nous le situons pour notre part à 214 €/MWh
- Le stockage journalier fourni par des STEP dont le coût serait, selon l'ADEME, de 46 €/MWh pour une puissance inférieure à 7 GW. Ces valeurs qui s'appuient sur l'expérience paraissent raisonnables
- Le stockage saisonnier repose sur une première transformation d'énergie électrique en méthane, puis une deuxième transformation où la combustion du méthane produit de l'électricité. Le méthane serait essentiellement déstocké en hiver. L'ADEME estime un coût de cette forme de stockage à 138 €/MWh et avance un rendement de 33% pour l'ensemble du processus. Ceci signifie que pour 1 MWh déstocké, 2 MWh sont perdus. Si l'on tient compte de ce rendement, le coût réel du stockage est, selon nous, de 268 €/MWh.
Le coût du stockage prévu par l'ADEME est de 5,5 G€ par an, alors que nous l'estimons aux environs de 27 G€. L'ADEME estime à 32 G€ le coût total de la production que nous corrigeons à 58 G€. Les coûts par MWh de l'électricité produite seraient de 76 €/MWh selon l'ADEME et de 142 €/MWh dans notre estimation.
En comparaison, nous avons aussi estimé les coûts pour un scénario à 80% de nucléaire et 20% d'énergie renouvelable. Nous obtenons un coût total annuel de 20,8 G€ pour un coût unitaire de 50 €/MWh, valeur proposée par la Cour des Comptes.
Pour nous, la conclusion est claire : l'ADEME a fait preuve d'un optimisme déraisonnable à tous les niveaux de l'étude, pour les énergies renouvelables intermittentes, et, au contraire, de pessimisme en ce qui concerne le coût du nucléaire.
[Réponse de l'auteur]
Sur le site du Ministère (http://www.developpement-durable.gouv.fr/Quels-sont-les-tarifs-d-achats) on trouve les tarifs suivants : Intégrés au bâti (0-9 kW) 265,7 €/MWh Intégrés simplifiés au bâti (0-36 kW) 134,6 €/MWh Intégrés simplifiés au bâti (36-100 kW) 127,9 €/MWh Au sol (0-12 MW) 66,2 €/MWh Nous trouvons étonnant que la différence de 199,5 ou (si vous préférez 68,4) €/MWh se réduise à 15 €/MWh selon l’ADEME en 2050, alors que ces différences (à moins qu’elles ne représentent pas du tout la réalité, mais non, bien sûr elles sont véridiques et bien justifiées par la CRE) ne dépendent pas du coût des cellules PV (qui pourraient encore diminuer) mais du bâti et de la main d’œuvre de pose. Ceci étant notre désaccord avec l’ADEME ne porte pas essentiellement sur les coûts de production hors stockage (20 % de différence) mai s bien des coûts de stockage. En particulier il fallait oser dire que l’import-export ne coûterait rien alors que nous exporterions notre courant alors que tous nos voisins seraient en surproduction et que nous importerions au moment où toute l’Europe serait en manque, sauf production fossile ou nucléaire dans le reste de l’Europe. Ceci dit, les farfelus vous saluent bien et espèrent recevoir une contradiction un peu mieux argumentée que votre premier jet. Ils n’ont pas honte de défendre un nucléaire dont vous profitez comme tous les français avec un prix d l’électricité deux fois plus faible que celui de nos voisins allemands. Sans parler du fait que ce nucléaire tant décrié permet à chaque français d’émettre 50% de moins de CO2 que chaque allemand. Mais le CO2 n’est le souci ni de l’ADEME, ni, sans doute, le vôtre.
[Réponse de l'auteur]
Critiquer les approximations de l'ADEME n'est pas sauver le nucléaire. Ce que vous faites c'est bredouiller des exorcismes. Le nucléaire civil a un gros défaut, c'est qu'il rend stupides ceux qui en ont peur: ils perdent leur capacité de raisonnement.