Par Yves Egal
- Ingénieur Conseil en Ecologie Urbaine
Auteur
Yves Egal, 59 ans, est ingénieur conseil en écologie urbaine. Il a notamment participé à l'étude "les alternatives à un troisième aéroport dans le bassin parisien" »...
Total, miroir de nos propres contradictions
Par Yves Egal
- Ingénieur Conseil en Ecologie Urbaine
lundi 31 mai 2010
Tout est bon quand il s'agit de taper sur Total. C’est «le grand Satan pétrolier». Eh bien, voici un plaidoyer dérangeant en faveur de la première entreprise française. Réagissez !
Eh bien, tentons l’impossible. Défendons Total, et, qui plus est, en montrant que l’agressivité dont il est victime est l’expression de nos incohérences de comportements face à l’environnement.
Premier exemple. Total n'est pas un "pollueur" !
Il ne faut pas confondre la matière et la manière de faire ! Oui, le pétrole est polluant, mais quand la matière est polluante, qui est le "pollueur" ? Celui qui la vend, ou celui qui l'utilise parce qu'il ne peut faire autrement (soi-disant) ?
Faisons une différence entre :
- la pollution au sens premier de souillure, qui, comme la marée noire, salit la nature et touche à la biodiversité
- la pollution de l'air après combustion, qui est dangereuse pour la santé,
- l'émission de gaz à effet de serre (GES), qui n'est pas vraiment une pollution.
Comme n'importe quel groupe pétrolier, Total ne peut être tenu pour responsable que de ce qui passe entre ses mains, c'est-à-dire le pétrole brut et le gaz qu'il trouve, puis expédie par tuyaux ou bateaux jusqu'aux raffineries. Ainsi, Total a été "pollueur" dans le naufrage de l'Erika, même s'il ne fut pas responsable de l'accident. Et BP est "pollueur" à la suite de l'incendie d'une plateforme du golfe du Mexique, parce que c'est son pétrole qui continue à sortir de terre, indépendamment du fait de savoir s'il y a eu faute ou pas.
Total est aussi responsable jusqu'à la pompe quand il raffine lui-même le pétrole ou jusqu'à la gazinière s'il distribue le gaz. Mais il ne peut être considéré comme "pollueur" pour les carburants qu'il vend.
A chacun sa responsabilité : au fabricant de voitures de faire des moteurs propres, à l'automobiliste de choisir un modèle sobre et de conduire de manière économique, et surtout à la collectivité d'imposer les normes d'émissions des moteurs, de faire respecter avec des radars les limitations de vitesse et de faire payer des péages et des taxes pour limiter l'usage de la voiture. Le "pollueur" est alors celui qui émet des polluants ou des gaz à effet de serre plus que nécessaire, par exemple en roulant trop vite avec un véhicule surdimensionné (un 4/4), en laissant tourner son moteur à l'arrêt ou en préférant le confort de sa voiture alors qu'existe un métro pratique à sa disposition.
Pollueur aussi celui qui choisit d'habiter un pavillon en lointaine banlieue en sachant qu'il fera tous ses déplacements en voiture, plutôt qu'un appartement bien desservi par un train ; le syndicaliste qui annihile les efforts de compétitivité du fret SNCF en faisant grève sans limite et met ainsi le fret sur la route ; le politicien qui entrave l'instauration d'un péage urbain, outil très efficace d'incitation aux transports en commun ; tous ces gens, en général à la conscience très tranquille…
En démocratie, en dernier ressort, ce sont les citoyens, et donc les consommateurs qui commandent et qui décident de leur mode de vie. Et non pas les grandes entreprises, multinationales ou pas, qui dicteraient leur comportement à des consommateurs irresponsables et gobeurs de publicité.
Deuxième exemple. Oui, Total doit fermer ses raffineries en France !
Lors de ma formation d'agronome, mon professeur, René Dumont, pestait contre le sort fait aux pays qu'on appelait alors sous-développés, qui exportaient leurs matières premières, minérales ou agricoles, sans en capter la valeur ajoutée liée à leur transformation. Néocolonialisme, disait-il.
A l'opposé de cette impuissance, les pays du Golfe, avec leurs immenses productions pétrolières et leurs très faibles populations, ont su économiser leur rente pétrolière et l'investir dans des usines de transformation, raffineries et complexes chimiques.
Economie de transport du pétrole entre le puits et l'usine, de coûts de main d'œuvre en faisant travailler des Indo-Pakistanais, mais surtout, avantages pour l'environnement : pas de couverture végétale à sacrifier et économies d'émissions de gaz à effet de serre dans le cycle de production du puits au consommateur.
Tout plaide donc pour mettre ces usines près des puits de pétrole. C'est le B.A . BA du développement durable qu'on enseigne dans toutes les écoles de gauche ou de droite depuis que l'industrie existe et même depuis bien avant que l'expression "développement durable" soit inventée.
Pourquoi alors s'offusquer que Total ferme sa raffinerie de Dunkerque, alors même que les mêmes offusqués se réjouissent que la consommation de carburant diminue enfin en France et se plaignent même qu'elle ne diminue pas assez vite.
On lit qu'il faudrait assurer l'indépendance de la France en matière de carburants. A quoi nous serviraient nos raffineries "en réserve pour la France" le jour où une catastrophe nous priverait forcément de pétrole, pour lequel nous n'avons aucune "indépendance" ?
Oui, le rideau de fumée de la haine anti-Total nous permet surtout de ne pas nous poser les vraies questions.