Par Yves Egal
- Ingénieur Conseil en Ecologie Urbaine
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Yves Egal, 59 ans, est ingénieur conseil en écologie urbaine. Il a notamment participé à l'étude "les alternatives à un troisième aéroport dans le bassin parisien" »...
Apologie de la verticalité
Par Yves Egal
- Ingénieur Conseil en Ecologie Urbaine
mercredi 31 mars 2010
A l'heure du tout-environnement, il est de bon ton de diaboliser les villes, leur béton et leur verticalité. Pourtant, nous confie Yves Egal, les tours et leur grande densité permettent de considérables économies d'énergie...n'en déplaise aux écolos !
Dire du mal de La Défense a toujours été prisé dans les discours électoraux. Le Français moyen étant supposé hostile à la modernité et aux tours, il parait payant de le caresser dans le sens de sa haine viscérale pour le béton, froid et inhumain, les promoteurs, véreux et cupides, et les grandes entreprises, exploiteuses et inhumaines (comme le béton), sans oublier les architectes, bons à pendre. La Défense, comme la tour Montparnasse ou celle de Jussieu, ne sont pas à taille humaine. Manhattan ? Oui, c'est beau, mais c'est l'Amérique. Ils ont le droit, eux ! C'est leur culture. Ne pas dire alors que la forme actuelle des gratte-ciel n'a rien d'états-unienne, puisqu'elle est allemande, issue des émigrés du Bauhaus après 1933. Ne pas dire non plus que vous habitez La Défense, que vous y êtes bien et que vous y appréciez le calme : votre interlocuteur croira à une provocation.
Lors de la campagne pour les Régionales, les candidats des oppositions ont donc décliné les horreurs d'un tel quartier : pour le PS, la politique de droite se résume à toujours plus de tours sans se préoccuper de la qualité de vie, le modèle du quartier d'affaires monofonctionnel n'attire plus les investisseurs, les employés sont relégués à plus d'une heure et demie de transport par la hausse des loyers….
Comment peut-on dire que les habitants sont des oubliés, alors que le plan de relance de La Défense (de Nicolas Sarkozy, c'est son principal tort aux yeux de ses opposants) prévoit justement d'y construire de nouveaux logements, ce qu'aucun quartier d'affaires au monde ne fait, que ceux qui y habitent déjà sont consultés plus qu'ailleurs, et que les logements sociaux y sont en proportion supérieure à la moyenne francilienne (30 % à Puteaux, 50 % à Nanterre).
Pour Europe Ecologie, c'est non à l'extension des bureaux, sauf s'ils contribuent à l'harmonisation de l'urbanisme (qui en sera juge ?), l'enjeu étant la conversion écologique. Mais comment faut-il dire que La Défense est un quartier durable, comme le sont Hong Kong, Singapour, Manhattan ou Changhai, simplement parce que la densité fait économiser des déplacements, et donc des énergies fossiles. Les contempteurs des tours oublient en effet qu'environ la moitié de l'énergie dépensée pour un poste de travail tertiaire l'est dans le déplacement domicile-travail. Diminuer ces distances est donc aussi important qu'isoler les bâtiments. Mais le zonage, et la concentration de bureaux qui va avec, s'avère encore plus bénéfique pour l'environnement si les transports ferrés fonctionnent, comme en France, à l'électricité d'origine nucléaire ou hydraulique, et que les gens les prennent à plus de 78 % comme à La Défense. Hormis pour les ascenseurs, eux aussi à l'électricité décarbonée, la dépense d'énergie est la même au 40e étage d'une tour, qu'au 6e étage d'un immeuble. Ainsi, la tour en son quartier d'affaires fait économiser beaucoup d'énergie fossile par ses transports, et consomme un peu plus d'énergie décarbonée par ses ascenseurs. La planète y gagne bien plus que dans les quartiers "durables" qu'on visite en foules, mais où les trams promis ne transporteront pas plus de 15 % des habitants. Les "anti-tours" doivent s'attendre à de lourdes désillusions sur la durabilité de leurs arguments.
Le gigantisme n'est pas la solution. Le MoDem veut un projet urbain et non strictement immobilier comme c'est le cas aujourd'hui avec les nouvelles tours, un projet durable et vivable et non la déshumanisation de la dalle. Allons bon ! On croyait qu'elle était déjà inhumaine. Comment pourrait-elle l'être encore plus ? Pour le Front de gauche, il faut geler l'extension du quartier, ou désengorger La Défense pour Debout la République. Le FN s'est toujours opposé au bétonnage et l'américanisation a ses limites pour les écologistes indépendants qui considèrent qu'étendre La Défense est un projet monstrueux. Quant au NPA, il condamne naturellement l'extension de la place financière au service des grands groupes.
Malgré leur compassion pour des habitants et des employés mythiquement opprimés, tous ces partis n'ont jamais osé discuter avec ceux-ci, de peur de devoir affronter des propriétaires furieux du dénigrement de leur quartier ou des salariés inquiets de voir leurs entreprises incitées à aller ailleurs. Et surtout de voir leur fable imaginaire s'écrouler.
Dans un quotidien du soir (21 octobre 2009), le maire de Nanterre, donne des leçons d'environnement et prétend avoir un projet urbain, en rupture avec celui de La Défense et respectueux de l'environnement. Mieux vaut ne pas approfondir ce qu'il entend par environnement. Ayant délibérément divisé par deux le nombre de m2 que l'EPAD avait prévu de construire sur le Grand Axe, en bureaux, comme en logements (700 000 au lieu de 1,5 millions), il y a aujourd'hui quelques pelouses rases qui mettent une pointe de vert, mais les 700 000 m2 qui vont manquer à côté de la gare RER (et bientôt d'une gare TGV) devront être construits ailleurs, dans les betteraves, et vont générer des tonnes de CO2 qu'aucun des arbustes des Terrasses de Nanterre ne pourra compenser. Gaspiller l'espace urbain est le point de départ de l'étalement urbain, et comme l'écrit Jean Nouvel, étendre la ville est aujourd'hui criminel pour notre descendance.
Le passé a montré que toutes les villes denses et durables (pléonasme) l'avaient été par des pouvoirs peu démocratiques, mais capables de faire passer l'intérêt à long terme avant celui trop immédiat des habitants : Paris haussmannien, Tokyo années 30 et après guerre, Hong Kong, Singapour, Chine. Alors que la seule liberté donnée aux rêves de "sam'suffit" a donné le pire pour l'environnement : Los Angeles, Grande couronne d'Ile de France, mitage des paysages. Face aux surenchères démagogiques des partis et des communes, la réussite de La Défense est la preuve que l'Etat est garant d'un urbanisme du long terme et… durable, à condition que les défenseurs de La Défense aient aussi le droit de s'exprimer.
Yves Egal, Puteaux, ingénieur conseil en écologie urbaine (qui n'a jamais travaillé pour l'EPAD)