Par Yves Egal
- Ingénieur Conseil en Ecologie Urbaine
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Yves Egal, 59 ans, est ingénieur conseil en écologie urbaine. Il a notamment participé à l'étude "les alternatives à un troisième aéroport dans le bassin parisien" »...
Cancun: un cuisant échec derrière le succès médiatique
Par Yves Egal
- Ingénieur Conseil en Ecologie Urbaine
lundi 13 décembre 2010
Le sommet de Cancun apparaît surtout comme un bel emballage médiatique. Pas de décision, mais des beaux discours convenus sur l’entraide et la «justice climatique».
Pas même de propositions pour la suite du Protocole de Kyoto après 2012 (voir le site de l'UNFCCC).
Mais les diplomates climatiques ont tiré la leçon de Copenhague. D'abord, les chefs d'Etat ont évité de s'afficher sur les lieux d'un échec attendu, éloignant du coup les altermondialistes, qui se trouvèrent en manque de cibles pour leurs manifestations bruyantes. Tout s'est passé de manière plus discrète. Ensuite, comme personne ne veut faire d'effort pour le climat, ou alors sans trop mesurer les résultats et sans sanction, autant ne pas demander d'engagements aux pays ! Facile ensuite de faire signer par tous un texte qui n'engage personne et de déguiser l'échec inéluctable sur le fond en un succès médiatique sur la forme. Car ce qui compte, c'est l'annonce d'un succès final, qui restera dans nos mémoires encombrées sans trop détailler le contenu de l'accord. Qui se rappelle sur quoi a achoppé Copenhague ? Qui sait de quoi est fait le succès, le 30 octobre dernier, de la conférence de Nagoya sur la biodiversité ?
Cela mérite d'y revenir. A Nagoya, on a promis trois choses :
1) un plan stratégique (une commission, aurait dit Clémenceau),
2) des engagements financiers (sans dire combien) basés sur le volontariat (donnera qui veut),
3)un protocole sur l'accès et le partage (APA) des avantages tirés de l'exploitation des ressources génétiques (faire payer les pays riches pour les très hypothétiques médicaments qu'ils pourraient tirer des savoirs traditionnels).
A défaut de la moindre utilité pour la biodiversité, qui ne sera jamais menacée par le "pillage" de quelques plantes médicinales, ce dernier point a une grande importance symbolique, car, dans le combat éternel du colonisé contre le colonisateur, il fait croire à une victoire du premier contre son bourreau, ce qui transforme une négociation ardue et ennuyeuse en une bataille épique, dont la victoire annoncée au 20 heures de Bogota est des plus gratifiantes : on a sauvé "le droit souverain des Etats sur leurs ressources naturelles".
A Cancun, le schéma est le même:
1) un objectif qui n'engage pas de manière immédiate et formelle : limiter le réchauffement à 2°, objectif déjà formulé par le G8 avant qu'il ne devienne G20 ; cela nécessite que les pays émergents fassent aussi un effort, mais sans qu'ils se sentent trop contraints, puisque la procédure de contrôle et de vérification sera "non intrusive, non punitive et respectant la souveraineté nationale",
2) des engagements financiers à sens unique : en attendant la soudure avec un nouveau protocole destiné à prendre sa suite, la légitimité du Protocole de Kyoto est réaffirmée au-delà de 2012 dans sa forme actuelle qui permet aux pays en développement de recevoir de l'argent des pays développés (on veut bien continuer à recevoir de l'argent), mais pas d'engagements formels sur le nouveau protocole, notamment sur les engagements de réduction que devraient avoir à prendre les pays émergents (on ne veut pas avoir à donner de l'argent).
3) la création d'un "Fonds vert du climat", doté de 100 G$/an à partir de 2020, avec un acompte de 30 G$ d'ici à 2012 ; il s'agit de satisfaire la revendication des pays pauvres et de leurs soutiens altermondialistes, qui voient dans le climat une occasion de rejouer la lutte des classes à l'échelon planétaire : plutôt que d'efficacité pour limiter les émissions, ils parlent de "justice climatique", ce qui revient à demander aux riches de payer. Pour quoi faire ? Ce n'est pas encore précisé, mais comme après une manifestation, on criera victoire au 20 heures de Bogota !
Comme pour l'APA de Nagoya vis-à-vis de la biodiversité, ce Fonds vert jouera un rôle minime dans la limitation des émissions. L'argent versé aux capitales du Tiers-monde n'empêchera pas les paysans africains et leurs trop nombreux enfants de conquérir de nouveaux champs sur la forêt ou la savane, ou les planteurs de palmier à huile de Bornéo de continuer la déforestation. Mais symboliquement, cela donne un vainqueur à ce sommet, ce qui aidera à se souvenir de son succès affirmé.
Donc tout va bien, l'ONU s'occupe du climat, ses fonctionnaires ont justifié leur place et leurs émoluments, les chefs d'Etat sont associés à ce succès, surtout ceux qui avaient pris la bonne posture en faveur de la "justice climatique".
Le triomphe du paraître sur l'être a été total : alors que l'Europe est la seule zone du monde à avoir pris des engagements de réduction d'émissions, très peu contraignants, certes, mais qu'elle respecte et qu'elle affirme vouloir poursuivre après 2012, alors qu'elle verse de l'argent au monde en développement à travers différents processus de compensation, on a pu entendre ce commentaire sidérant dont je tairai l'émettrice : "Le vieux monde est mort à Copenhague. On a vu à Cancun les pays émergents devenir une véritable force de proposition, même le groupe africain a réussi à parler d'une seule voix pour la première fois".
Pas difficile de s'entendre pour refuser de s'engager et demander à ceux qui paient de continuer à payer ! A moins que la culture intensive de la langue de bois soit la nouvelle manière de stocker le carbone !
[Réponse de l'auteur]
Les pays pauvres sont-ils vraiment les plus vulnérables ? Pétition de principe reposant sur peu de certitudes. Certes, un pays fait de paysans souffre plus de la désertification qu'Israel qui fabrique des logiciels dans des bureaux climatisés, et les Pays-Bas auront plus d'argent et de moyens techniques pour réhausser leurs digues que le Bengla Desh. Encore que ! Il y a beaucoup de bras dans le monde indo-pakistanais et cela peut suffire pour remuer de la terre. Mais le principal hic dans l'approche onusienne, c'est qu'on met la charrue avant les boeufs. Il faut d'abord savoir ce qu'on veut faire contre l'effet de serre : la taxe carbone mondiale est le plus simple et le plus efficace de tous les moyens. Et l'appliquer aux pays riches résout une bonne partie du problème (selon Hansen, il faudrait qu'elle amène à fermer toutes les centrales à charbon des USA d'ici à 2030, ou à les équiper de capture-séquestration). On peut l'appliquer aux pays émergents avec un taux inférieur, ce qui ne serait pas injuste car les techniques en cours au XXIe siècle permettent un développement bien moins carboné qu'aux XIXe et XXe. Ne pas appliquer de taxe carbone aux pays pauvres serait simple et sans grandes conséquences à leur niveau actuel d'émissions industrielles. Restent les forêts, 20% des émissions, pour lesquelles l'argent peut dissuader de les couper en constituant une sorte de conservatoire international. Mais comment vont faire les innombrables enfants des paysans d'Afrique pour manger ? Intensification, utilisation d'engrais (subventionnés ?), limitation des naissances, investissements massifs en industries de pointe ? Parler d'argent avant de savoir à quoi l'utiliser risque fort de conduire au gaspillage sans aucun effet contre l'effet de serre.