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 - Professeur émérite à l'Université de Paris XII

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Professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard,...

Rémy Prud'Homme : qui va payer la facture du Grenelle de l'environnement ?


dimanche 17 février 2008

Dans une interview au site Débat&co, Rémy Prud'Homme, professeur émérite à Paris XII, s'interroge sur l'absence de données chiffrées sur le coût du Grenelle de l'environnement. Il estime d'autre part que des mesures dans un cadre national n'ont guère de pertinence. Rémy Prud'homme a été directeur adjoint à la Direction de l’Environnement de l’OCDE.


default textDébat&co (Charlotte Cabaton) -Les mesures du Grenelle de l'environnement ont été amplement commentées, analysées. Il a beaucoup moins été question de leur coût. Quel est votre avis sur cette question ?

Rémy Prud’homme – Si vous lisez l’abondante littérature qui est sortie du Grenelle, on ne trouve pas le mot euro très souvent. Ce n’est pas difficile à comprendre d’ailleurs parce que dans la composition même du Grenelle, il n’y avait pas beaucoup d’économistes ou de hauts fonctionnaires du ministère des Finances – je crois d’ailleurs qu’il n’y en avait pas. On m’a dit que l’ingénieur des Mines responsable de la réflexion sur le développement durable au ministère des Finances avait été soigneusement mis à l’écart. Il y avait essentiellement des militants d’associations environnementales, plus quelques syndicalistes qui n’avaient pas un appétit extraordinaire pour le chiffrage, plus des gens du Medef qui ont fait preuve d’une discrétion que la politique peut peut-être expliquer mais que la logique justifie moins.

On ne dispose donc pas de chiffres. J’ai bien essayé d’en trouver, d’en fabriquer même le cas échéant. Ce que j’ai fait est sûrement discutable mais donne tout de même des points de départ et des ordres de grandeur.

Il me semble qu’on a mis un peu la charrue avant les bœufs parce qu’une politique se discute en comparant ses bénéfices à ses coûts. Ne s’intéresser qu’aux bénéfices sans même chercher à savoir quels sont les coûts n’est pas une façon convenable de décider des politiques.

Débat&co – Pour quelle raison cette question des coûts a-t-elle été évacuée ?

Rémy Prud’homme
– Pour deux raisons. La première, c’est que ces choses n’intéressent pas les gens qui étaient là – ils n’en avaient ni l’envie, ni la compétence d’ailleurs, et qu’on avait écarté tous les gens qui étaient susceptibles de mettre des chiffres sur la table.
Et la seconde, c’est que ces coûts sont tellement exorbitants qu’ils auraient ruiné l’opération.

Débat&co
– Ces coûts, par qui seront-t-ils supportés ?

Rémy Prud’homme
– Il y a d’une part des obligations qui sont imposées aux entreprises et aux ménages. Et puis, des subventions publiques d’autre part. Concernant les ménages, prenons par exemple le cas, quantitativement considérable d’ailleurs, de l’isolation des bâtiments. On n’arrive pas à savoir exactement ce que Grenelle prévoit dans cette affaire mais on a en gros l’idée qu’on va devoir isoler la quasi totalité des constructions qui existent – les 30 millions de logement qui existent. Il va falloir procéder à des travaux d’isolation pour des sommes qui sont de l’ordre de 15 000 ou 20 000 € par logement. Si vous multipliez 20 000 par 30 millions, ça vous fait 600 Md€. 600 Md€, c’est le PIB de toute l’Afrique subsaharienne.

Qui va supporter ça ? Principalement, les Français, ceux qui possèdent ou qui habitent dans ces logements. On essaie de faire passer la pilule en faisant croire que pour tout ce qui est locatif, les propriétaires paieront permettant ainsi aux locataires d’ y échapper. C’est une mauvaise plaisanterie. Si le coût des logements augmentent, les loyers finiront bien pas augmenter. On nous dit par ailleurs qu’une part considérable de ces travaux seront subventionnés, ce qui est possible et probable – il y aura des dispositions fiscales, mais dire que cela sera payé par l’impôt revient à dire par les Français. 
Il est certain que ces mesures, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, que le jeu en vaille la chandelle ou pas, on peut en discuter, engendreront une diminution du pouvoir d’achat des Français.

Des dépenses comme celles-là vont engendrer de l’activité économique. Il faudra bien payer Saint-Gobain qui fournit les isolants et les artisans qui les installent. Ce qu’on oublie de dire, c’est que l’argent qui ira dans l’isolation n’ira pas dans l’achat de légumes et de meubles. Aux 100 000 emplois qui sont créés d’un côté correspondent 100 000 emplois qui vont disparaître dans l’industrie du légume ou du meuble. On peut se poser la question de savoir si l’intensité en emploi du milliard dépensé est la même dans l’isolation et le légume ou le meuble mais on est dans des phénomènes de deuxième ordre. Cela ne créera pas véritablement d’emplois.

En revanche, cela diminuera le pouvoir d’achat des Français. Ils seront un peu mieux isolés, auront la satisfaction de contribuer d’une façon par ailleurs très marginale à lutter contre le réchauffement climatique, mais il n’est pas certain que cela les console.
D’autant que la partie qui sera financée par l’impôt ou mise à la charge des entreprises – qui est dans beaucoup de cas une partie importante, finira bien pas être payé par les contribuables.

Il y a enfin les mesures qui impliquent une augmentation des dépenses publiques. Par exemple tout ce qui est transports publics. Le transport public en France est subventionné à hauteur de moitié pour le chemin de fer. On nous parle d’augmenter considérablement les transports publics, cela veut dire augmenter considérablement les subventions qui vont avec. Et quand je dis la moitié, c’est pour le chemin de fer, parce que pour les transports publics urbains, c’est les 2/3. Augmenter tout cela, c’est peut-être très désirable pour mille et une raisons mais il faut être conscient que cela veut dire augmenter les déficits de l’Etat et la dette.  Débat&co – D’autres solutions sont-elles envisageables ? Existe-t-il une alternative au Grenelle de l’environnement ?

 Rémy Prud’homme – Oui. Je ne mets en doute ni la réalité du réchauffement climatique ni la nécessité impérieuse de lutter contre et donc de réduire les rejets. Mais il s’agit d’un problème mondial. L’idée de le résoudre de façon nationale est stupide. Il faut réduire les rejets de CO2 là où ça coûte le moins cher. Dans les pays et les secteurs qui permettent de le faire au moindre coût.

 Il se trouve que la France est le pays du monde le plus efficace en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Si vous rapportez les rejets au PIB, vous vous apercevez que la France est d’assez loin le pays du monde où les rejets par millions de dollars de PIB sont les plus bas. Et ce dans des proportions considérables : en Allemagne ce ratio est doublé par rapport en nous, en Chine il est multiplié par 20.

 Il faut réduire les rejets à un coût qui soit à peu près raisonnable, c’est-à-dire en Chine, en Inde, au Brésil, un peu aux Etats-Unis. C’est la raison pour laquelle la politique intelligente à mettre en œuvre – qu’une taxe carbone du reste permettrait d’atteindre – c’est d’exercer des pression pour que les pays où ça ne coûte pas trop cher, c’est-à-dire des pays comme l’Inde ou la Chine fassent ces efforts. La seule solution raisonnable, c’est de négocier avec ces pays et de les payer pour qu’ils agissent.

 Je pense à la taxe carbone. On est arrivé à la conclusion, notamment grâce au rapport Stern mais aussi aux rapports du Giec, qu’une taxe de 20 ou 30 € la tonne de CO2 suffirait à nous mettre sur le sentier vertueux. Si une telle taxe était appliquée en France, et remplaçait toutes ces contraintes qui nous sont imposées, elle aurait deux effets. Elle ne réduirait pas énormément nos rejets parce que nous avons déjà réduit une grosse partie de ce qui peut être réduit à un coût inférieur à 30 €. En revanche, elle rapporterait de l’argent. Il faudrait alors donner cet argent à des pays comme la Chine à condition qu’eux aussi veuillent bien mettre en œuvre une taxe carbone qui, elle, engendrerait des changements majeurs dans leur façon de procéder. Il ne s’agit pas de dépenser 1 000 € pour réduire une tonne de CO2 en France mais de dépenser 1 000 € pour réduire 100 tonnes de CO2 en Chine. C’est cela qui a du sens.

 La solution au problème du CO2, ce n’est pas de casser notre économie et notre niveau de vie pour montrer l’exemple, c’est d’utiliser nos ressources pour aider les pays et les secteurs dans lesquels il y a effectivement beaucoup à gagner. D’ailleurs, l’exemple, nous le montrons déjà : nous sommes les plus efficaces. On l’est en particulier à cause du nucléaire et à cause du fait que nous avons des voitures relativement petites et diesel. Or le Grenelle dit explicitement qu’il faut réduire la part du nucléaire.

 Si c’est la haine ou l’attitude religieuse qui prévaut, on n’arrivera pas à des résultats qui seront satisfaisants. A mon sens, ce qui est proposé est de nature à réduire notre niveau de vie sans avoir le moindre impact sérieux sur l’évolution du climat.

Le site de débat&Co



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