Par Remy Prud'homme
- Professeur émérite à l'Université de Paris XII
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Professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard,...
Electricité : les calculs bidons de l'Ademe
Par Remy Prud'homme
- Professeur émérite à l'Université de Paris XII
mardi 17 novembre 2009
L'argument de l'ADEME selon lequel l'électricité de pointe nécessiterait l'appel à des centrales les plus polluantes en terme d'émission de CO2 est tout simplement faux
Cela ne fait pas l’affaire des groupes nombreux et puissants qui luttent à la fois contre le nucléaire et contre le CO2. Ce 10%, disent-ils, est une moyenne trompeuse. Eclairage et chauffage électrique, expliquent-ils, se produisent aux heures de pointe, lorsque les centrales nucléaires ne peuvent pas suffire à la demande, et pendant lesquelles l’appoint est fait par des centrales au charbon et au gaz. A ces heures-là l’électricité consommée par les ménages, dite électricité marginale, est très fortement productrice de CO2. Il faut donc taxer lourdement le chauffage électrique, ou mieux encore l’interdire - comme le fait le Grenelle de l’Environnement pour la construction neuve.
L’argument repose sur l’hypothèse des heures de pointe particulièrement gourmandes en charbon et en gaz. Cette hypothèse n’est pas absurde, et mérite examen. On dispose heureusement (sur le site de Réseau de Transport d’Electricité, www.rte-France.com) de la puissance produite par mode (nucléaire, thermique et hydraulique) pour chacune des heures de chacun des jours de l’année. On a considéré les premiers mardis de chacun des douze derniers mois. Pour chacune de ces douze journées, on a identifié l’heure de pointe, et examiné la structure de la production à cette heure-là. Les résultats apparaissent au tableau 1. Qu’observe-t-on ?
On voit que la part du thermique à charbon et au gaz dans la production des heures de pointe est en réalité sensiblement inférieure - et non pas supérieure - à la part du thermique dans la production annuelle française. Cela se vérifie pour les douze heures de pointe considérées, y compris les heures de pointe des jours d’hiver pour lesquelles la production d’électricité est plus élevée. Cette part est d’un peu plus de 7%.
C’est quatre fois moins que le 27% qu’implique le très officiel « facteur d’émission » pour le chauffage électrique établi par l’ADEME[1]. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Pour arriver à ce chiffre l’ADEME avance que les électrons produits en France (plus intelligents sans doute que les électrons produits ailleurs) choisissent leurs usages. A un moment donné, et en particulier à l’heure de pointe, les électrons de l’électricité thermique se dirigent en masse vers le chauffage, cependant que leurs collègues hydrauliques ou nucléaires préfèrent travailler dans les usines ou les cuisines. Mes collègues physiciens ne comprennent pas mieux que moi cet étrange phénomène.
On voit aussi que la part du nucléaire est seulement un peu plus faible (75% au lieu de 76%) aux heures de pointe. On remarque surtout que c’est en fait l’hydraulique (pas le thermique) qui est utilisé pour faire face aux pointes. Sa part, qui est en moyenne annuelle de 12%, dépasse 16% en pointe, et peut atteindre 20%. La disparition du chauffage électrique, si tant est que c’est le chauffage qui crée la pointe, n’entraînera pas une diminution de la production d’électricité thermique, mais bien de l’électricité hydraulique.
Notre échantillon est aléatoire, mais il est limité. On l’a complété en prenant les deux mois les plus froids, janvier et février (2009), avec des productions d’électricité élevées, et en considérant seize journées (tous les mardis et jeudis de ces mois). On a cherché l’heure de pointe de chaque journée et calculé la part de la production assurée à ces heures-là par le thermique : cette part va de 3,6% à 9,2%, et elle est en moyenne de 7,7%, tout à fait comparable à celle qui figure au tableau 1 (7,2%), et bien inférieure au chiffre annuel moyen (10,4%).
La prise en compte des importations en provenance de pays où l’électricité est produite avec des centrales thermiques rejetant beaucoup de CO2 modifie-t-elle ce tableau ? Non. Pour les heures de pointes des seize journées de janvier et de février, on a vérifié (toujours sur le site de RTE) le solde des échanges d’électricité. Il est positif, parfois largement positif, dans quatorze cas. Il est négatif dans deux cas, avec des importations nettes représentant 0,3% de la production française dans un cas, et 1,6% dans l’autre.
L’hypothèse présentée comme une certitude par les ONG écologistes et par l’ADEME d’une consommation électrique marginale reposant principalement sur le thermique, et rejetant beaucoup de CO2, cette hypothèse apparaît inexacte. L’électricité marginale ne rejette pas plus de CO2 que l’électricité moyenne ; elle en rejette moins : environ 50 g/kWh, soit 4 fois moins que le chauffage au gaz. L’argument sur lequel repose la condamnation à mort du chauffage électrique dans les constructions neuves est, jusqu’à preuve du contraire, tout simplement bidon.
[1] ADEME. 2007. Guide des facteurs d’émissions, p. 39. Le kWh électrique produit avec du gaz rejette à peu près 400 g, le kWh produit avec du charbon environ 900 g. Le kWh thermique produit à peu près à égalité avec du gaz et du charbon en France produit donc environ 650 g. Le « facteur d’émission » de l’ADEME pour le chauffage est de 180 g. Il implique donc 27% de thermique à 650 g/kwh et 63% de nucléaire et d’hydraulique à 6 g/kWh.
On ne connaît que le solde des échanges en énergie, et non pas en carbone ou CO2. En d'autres termes: l'électricité Allemande au charbon dont nous ne pouvons nous passer, est "blanchie" en traversant la frontière. Or cette électricité jour un rôle important (de plus en plus) en hiver, et aux pointes de consommation en général.
De manière plus générale, il faut se méfier des statistiques issues des registres nationaux, qui donnent une vision biaisée de la réalité, en raison des imports et exports. Ainsi une partie non-négligeable du soi-disant "comportement vertueux" de la France en matière de CO2 (cf. articles sur ce thème dans ces colonnes, chiffre à l'appui) est due... au déficit commercial très important et à l'import de produits dont la production a généré du CO2 ailleurs, notamment en Chine.
Si vous allez acheter vos cigarettes dans un pays voisin, les statistiques de consommation française de tabac n'en souffrent pas, mais vos poumons si.
Sur son premier point, je crois qu'il a tort. RTE publie sur son site les importations et les exportations d'électricité heure par heure (globalement, pas par pays). N'importe qui peut comme moi constater que pour à peu près toutes les heures de pointe des mardis et jeudis de janvier et février 2009, la France était exportatrice nette. L'électricité sans CO2 qu'elle vend se substitue à de l'électricité avec CO2 en Allemagne ou en Italie, réduisant d'autant les rejets allemands ou italiens de CO2.
Compte tenu du très fort contraste en CO2, le solde journalier ne peut pas donner le résultat. En utilisant vos taux d'émission, si dans une journée nous importons 1MWh d'électricité charbon (soit 0,90 tCO2) et exportons 10MWh d'électricité nuclaire-hydro (soit 0,06 tCO2), nous sommes fortement exportateurs en MWh... mais aussi très nettement importateurs de CO2.
Je suis donc preneur d'un lien sur les données d'échanges heure par heure, ou d'une indication claire de RTE sur ce point très important.
[Réponse de l'auteur]
Vous avez bien raison de dire que de des chiffres par journée peuvent être trompeurs, ainsi que le montre votre exemple hypothétique. C'est pourquoi je n'ai utilisé que des chiffres par heure, pour des heures de pointe d'hiver - ainsi que je l'ai précisé dans l'article, et dans la réponse à votre commentaire. Vous les trouverez, pour n'importe quelle heure de l'année, sur : rte-france.com, en allant à : client, accès rapide, capacités d'interconnexion, bilan import-export, bilans journaliers. Rémy Prud'homme
M Prudhomme "oublie" que le nucléaire est la plus polluante des énergies : fuites d'uranium, déchets radioactifs, rejets radioactifs et chimiques dans l'environnement, etc, et EMISSIONS DE CO2. Pire : les milliards investis dans l'atome ne sont pas mis dans les vraies options favorables au climat (économies d'énergie, renouvelables). Enfin, il "oublie" que, en 2008, l'Allemagne a été exportatrice nette de 12,6 TWh d'électricité vers la France... pour alimenter nos chauffages électriques. Les émissions de co2 correspondantes devraient être atribuées à la France, et même au nucléaire français.
Votre hypothèse, bien qu'intéressante, ne tient pas compte des centrales hydrauliques à pompage qui pompent de l'eau aux heures de faible consommation pour remplir les barrages en prévision des heures de pointe !
Ces pompages, qui sont d'ailleurs le seule moyen de "stocker" de l'électricité, consomment de l'énergie qui est donc en partie produite par le parc thermique, il faut prendre en compte ceci dans vos calculs, d'aurant que le rendement de l'opération "pompage puis turbinage" est loin d'être égal à 1 ...
Vous mettez en cause les recommandations de l'Ademe et du Grenelle. Je m'interroge (sans avoir approfondi le sujet): on peut estimer que la part du nucléaire est "au taquet" entre 42000 et ...45000 mw, je suppose que la demande supplémentaire est équilibrée (par ordre de disponibilité immédiate ou pas, et de cout) en priorité par l'hydraulique (qui doit vraisemblablement plafonner autour des 17% (ou 20%) que vous annoncez), puis par les centrales à flammes. Donc si on suppose que tendanciellement la consommation va augmenter, les réserves hydrauliques étant bornées, la consommation future va s'équilibrer par le biais des centrales à flammes. D'où les messages de l'Ademe et du Grenelle...suis-je dans le vrai docteur?
L'article semble remettre en cause l'utilisation du coût marginal en assimilant le CO2 à un coût, ce qui parait pourtant la meilleure méthode connue pour comparer deux solutions (ex. chauffage gaz/élec). L'argument des électrons n'allant pas vers un usage plutôt que vers un autre s'applique à la lettre aux points de consommation, et remet en cause les principes de tarification. Ne devrait-il donc n'y avoir qu'un seul prix instantané de l'électricité pour tous? Ou pensez-vous que la tarification devrait se faire au coût moyen et non plus marginal?
Pour améliorer encore l'information, RTE pourrait mettre en ligne les deux courbes horaires de contenu: marginal et moyen (en gCO2/kWh/h) pour le jour courant, et donner une prévision pour le lendemain.
[Réponse de l'auteur]
Non mon cher Granidepice. La question posée est de savoir si le kWh d'électricité produit/consommé à l'heure de pointe rejette peu ou beaucoup de CO2. Il en rejettera beaucoup s'il est produit avec un fort pourcentage de thermique - comme on le dit souvent - et peu s'il est produit avec un faible pourcentage de thermique - comme les chiffres de RTE le montrent. Pour comparer par exemple le chauffage électrique avec le chauffage au gaz, c'est bien le nombre de grammes de CO2 par kWh qui compte. Bien entendu, si vous voulez savoir quel est le total des rejets de CO2 des heures de pointe, il faut multiplier ce ratio (gCO2/kWh) par les quantités d'électricité (nombre de kWh) consommées durant ces heures de pointe. Rémy Prud'homme
[Réponse de l'auteur]
Vous avez raison en ce qui concerne la prise en compte de l'électricité issue du fioul. Le fioul n'est pas plus polluant que le charbon, au contraire, mais il l'est plus que gaz. Et il faut le prendre en compte. Mais cela ne change pas les ordre de grandeur. J'ai refait les calculs pour l'ensemble de l'année 2008, classé les heures par consommation décroissante, identifié les 100 heures de plus grande consommation (la pointe) : le charbon et le gaz assurent, pour ces 100 heures, 7,0% de la production d'électricité de ces heures-là, et le fioul assure 1,3%, ce qui fait 8,3% pour le thermique à flamme. Même en prenant en compte ce 1,3% au fioul, on est loin des 27% qu'impliquent les coefficients de l'ADEME. Si l'on définit la pointe comme les 200 heures, ou comme les 500 heures, de plus grande consommation, on a le même pourcentage pour le thermique à flamme (8,3% et 8,2%). Ce qui répond à votre pertinente et légitime question. Rémy Prud'homme.
Pour être clair, en France, le nucléaire est utilisé pour faire la base de la production électrique, parce qu'en fait, l'inertie d'un réacteur nucléaire est très grande et il ne permet donc pas facilement de suivre la courbe de demande. On produit donc de manière assez constante avec le nucléaire. Ensuite, les centrales au gaz/charbon/fioul sont utilisées pour suivre la demande, elles ont une moins grande inertie et peuvent être démarrées/modulées rapidement et facilement.
L'énergie hydraulique quant à elle, est la plus facile et la plus rapide de toutes à démarrer, on l'utilise donc pour suivre les grands pics, en heure de pointe. Malheureusement les capacités hydrauliques sont limitées, on ne pourrait se permettre de l'utiliser plus car les centrales hydrauliques sont surdimensionnées par rapport à la puissance des cours d'eau qui les alimentent. On préfère donc les "garder" pour faire face aux pics de consommation.
Si en France, on augmente l'utilisation du chauffage électrique, ce n'est pas l'hydraulique qui va pouvoir absorber cette augmentation, il faudra le faire à l'aide de nucléaire ou de fossile.
Le nucléaire, augmenter la production nucléaire, qui fournit une base quasi constante toute la journée, sera difficile... Pour faire face à l'hiver, on devra donc utiliser les centrales fossiles ! D'où la préférence pour l'utilisation d'un chauffage autre qu'électrique.
Comparer les pourcentages n'aide pas à savoir comment émettre moins de CO2 sur l'électricité produite.
Article intéressant mais j'ai cependant des interrogations : vous parlez de 27% que l'ADEME attribut à la part des énergies carbonnées à la pointe. Or les 180 gCO2/kWh ne sont représentatifs que de la "dentelle" et ne sont pas les émissions de toute la production à la pointe. (voir annexe 4 guide des facteurs emissions de l'ADEME) ceci change votre calcul des 27%.
Je suis intéressé par l'endroit ou vous avez trouvé la production francaise par filière. En effet sur RTE, il y a des données mais incomplètes (pas d'éolien ...)
enfin les bilans journaliers utilisés pris sur le site du RTE sont les bilans programmés en J-1. Ce ne sont pas les bilans réalisés ! sachant qu'une partie des échanges se font le jour même.
[Réponse de l'auteur]
Pour les données détaillées de production horaire par mode, aller sur : rte-france.fr, puis : client, puis : accès rapide, puis : production en France, puis : production réalisée, et, dans le bas de la page : télédécharger année 2009, ou 2008, etc. L'éolien, en effet, ne figure pas dans ces précieuses statistiques. Sa faible participation (0,5% je crois pour 2008) l'explique sans doute. C'est bien dommage, car cela permettrait de savoir si le vent a la gentillesse de souffler à l'heure de pointe, comme on le dit souvent. Pour ce qui est du photovoltaique, on sait de bonne source que le soleil n'a pas cette gentillesse et qu'il ne brille guère l'hiver à 20 heures.
Pour les données de RTE, c'est bien là ou j'avais cherché et il n'y a effectivement pas l'éolien et le PV.
Pour mes deux autres remarques (le calcul des 27% et les bilan horaires import/export) vous ne m'avez pas répondu...