Par Remy Prud'homme
- Professeur émérite à l'Université de Paris XII
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Professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard,...
Chauffage électrique : la polémique continue
Par Remy Prud'homme
- Professeur émérite à l'Université de Paris XII
lundi 30 novembre 2009
Le calcul des rejets de CO2 du chauffage électrique, très développé en France, continue de susciter un intense débat entre experts sur "la chaîne Energie". Le Pr Rémy Prud'homme répond ici à Pierre Mulin et à l'ADEME
La question est de savoir si l’électricité consommée par le chauffage électrique produit beaucoup de CO2.
Pierre Mullin vole au secours de l’ADEME. Il présente, fort clairement, la méthodologie utilisée par cet organisme pour finalement conclure : « avec ces hypothèses de calcul, 17% de l’électricité consommée par le chauffage électrique est produite par du thermique à flamme ».
Cette conclusion est en contradiction avec les données de Réseau de Transport d’Electricité qui donne, pour chacune des heures de l’année y compris les heures de pointe, la production par mode (nucléaire, thermique, hydraulique) de l’électricité française. N’importe qui peut constater qu’à aucun moment la part du thermique à flamme dans la production d’électricité ne dépasse 12,7%. Cette part n’excède 10% que dans 3% des heures de l’année ; et la plupart de ces heures-là ne sont pas des heures d’hiver. On a identifié les 100, 200 et 500 heures de plus grande consommation de l’année, dont on prétend qu’elles sont causées par le chauffage électrique. Pendant ces heures de pointe là, le thermique à flamme assurait un peu plus de 8% de l’électricité produite ou pour parler comme RTE de la « production nette injectée sur le réseau », qui est bien celle qui nous intéresse (1). Par quel miracle l’électricité consommée par le chauffage électrique pourrait-elle être produite à 17% par du thermique à flamme ?
La clé de ce mystère est à chercher dans la méthodologie de l’ADEME. « Pas toujours simple, comme dit justement M. Mullin, mais cela vaut le coup ». Cette méthodologie repose sur les douze chiffres de production mensuelle de thermique à flamme de 2008, présentés dans les histogrammes de M. Mullin. Cette production va de 1 TW/h en août à 2,8 TW/h en octobre. M. Mullin attribue au chauffage 80% de la différence entre les mois de chauffe ou mois d’hiver (octobre-avril) et les autres mois dits mois d’été (mai-septembre). On peut montrer que cette méthodologie n’est ni convaincante, ni appliquée rigoureusement.
Elle n’est pas convaincante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, des chiffres mensuels rendent mal compte des pointes, qui sont largement horaires. Les spécialistes parlent justement de « pointes horo-saisonnières ». On ne peut pas les comprendre en en analysant seulement leur dimension saisonnière.
Ensuite, un simple coup d’œil à l’histogramme de Pierre Mullin montre que le lien entre températures et moyennes mensuelles - lien qui fonde sa méthodologie - est très lâche. La production d’électricité thermique en septembre, mois sans chauffage, est plus importante que celle de novembre : comment le chauffage électrique pourrait-il bien en être la cause ? La production thermique d’octobre, qui n’est pas le mois le plus froid, est la plus élevée de l’année : est-ce véritablement à cause du chauffage électrique ? On ne peut pas fonder une méthodologie sur une corrélation aussi médiocre.
Enfin, pourquoi ne considérer que la surproduction saisonnière du thermique et ignorer celle du nucléaire ou de l’hydraulique ? La méthode de l’ADEME pourrait être valable si la production nucléaire et hydraulique était constante, et si le seul thermique à flamme variait avec la production totale. Mais la réalité est bien différente. La différence de production totale (tous modes confondus) d’électricité entre les mois d’hiver et les mois d’été est de 6,2 TWh en moyenne mensuelle. Elle est pratiquement entièrement comblée par la seule augmentation du nucléaire. Les centrales nucléaires produisent 6,0 TWh de plus durant un mois d’hiver que durant un mois d’été. On ne peut tout simplement pas affirmer que le nucléaire est rigide, ne fonctionne qu’ « en base », et produit autant l’hiver que l’été. La production hydraulique est en France bien plus importante que la production thermique, mais elle gêne le raisonnement de M. Mullin, qui décide de l’ignorer complètement. En réalité (comme il le sait sûrement) elle diminue sensiblement durant les mois d’hiver, de 1 TWh. Si l’on dit que l’augmentation hivernale de production thermique est causée par le chauffage électrique, pourquoi ne pas dire que la diminution hivernale de production hydraulique est causée par ce même chauffage ? Parce que cela serait absurde. Mais cette absurdité est celle de la méthode utilisée.
Deuxièmement, cette mauvaise méthodologie est mal appliquée. M. Mullin et l’ADEME ne peuvent pas s’empêcher de donner ici ou là de petits ou de gros coups de pouce afin de tirer la couverture du côté de leur thèse. Pour estimer la production moyenne des cinq mois sans chauffage, ils en écartent sans vergogne trois : septembre sans donner de raison (par racisme anti-septembre peut-être), puis juin et juillet au motif qu’on y utilise la climatisation (plus qu’en août ?). Ils retiennent seulement avril et août, qui sont comme par hasard, et de beaucoup, les mois de plus basse production, ainsi que chacun peut le voir en regardant leur histogramme. La ficelle est grosse comme une main de Thierry Henry. La différence qu’ils calculent entre mois d’été et mois d’hiver est en fait la différence entre les deux mois d’été de moindre production et la vraie moyenne des mois d’hiver. S’ils calculaient la vraie moyenne des mois d’été, leur fameuse différence diminuerait de plus de 30%, et avec elle la part du thermique dans le chauffage. Elle deviendrait 11,6% au lieu de 17%, ce qui reste du reste bien trop élevé au regard du fait indiscutable que le thermique contribue 8% de la production en période de pointe.
Enfin, M. Mullin affirme que le kWh d’électricité thermique rejette 1010 g de CO2. L’ADEME elle-même donne pour « les facteurs d’émission des différents modes de production d’électricité », en g. de CO2 par kWh : 370 à 481 pour le gaz, 592 à 740 pour le fioul et 740 à 1036 pour le charbon (2) . De ces six chiffres, M. Mullin ne retient que le plus élevé ! Une procédure plus objective consiste évidemment à prendre la moyenne de chaque fourchette (3) et à pondérer par l’importance de chacun de ces modes (45% pour le gaz, 11% pour le fioul, et 45% pour le charbon). On obtient 658 g. de CO2 par kWh thermique. C’est 35% de moins que le chiffre de M. Mullin.
La méthodologie de l’ADEME n’est pas crédible. Si cependant on l’applique avec des chiffres objectifs, on fait apparaître un contenu en CO2 du kWh de chauffage électrique de 79 g., bien inférieur aux 175 g. de M. Mullin ou aux 180 g. de l’ADEME. Mais aucun raisonnement, aucun calcul, ne convaincra les vrais croyants. Les croisés de l’anti-nucléaire ont juré la mort du chauffage électrique. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.
Notes
(1)J’en profite pour souligner une erreur que j’ai commise à ce sujet dans le précédant article. La production injectée sur le réseau de RTE est pour le thermique nettement inférieure à la production d’électricité thermique totale, car une partie de cette production thermique totale est directement utilisée par les producteurs. La part du thermique est ainsi de 10% pour l’électricité produite en France, mais seulement de 6% pour l’électricité injectée sur le réseau. Il ne faut pas comparer les 8% de l’heure de pointe au sens de TRE avec les 10% de l’année au sens de la Direction de l’Energie, comme je le faisais, mais avec les 6% au sens de RTE. On voit alors que la part du thermique augmente en pointe.
(2) ADEME. 2007. Guide des facteurs d’émission. p. 38 table 25. Les chiffres de cette table sont en grammes de carbone. Il faut les multiplier par 3,7 pour avoir des chiffres en grammes de CO2.
(3) ou, mieux, à faire une enquête détaillée afin de savoir quels sont les rejets effectifs des différentes centrales.
[Réponse de l'auteur]
1) Pour les émissions marginales du chauffage électrique l'ADEME ne donne pas 600 g, mais 180 g. 2) J'ai comme vous la plus grande admiration pour la capacité de RTE à réguler le réseau électrique; mais cela n'a rigoureusement rien à voir avec l'estimation des émissions de CO2 liées au chauffage électrique. Ne mélangeons pas tout. 3) Je cite des chiffres dont j'indique la source et développe une argumentation. Mes chiffres peuvent ne pas être significatifs, et mon argumentation être erronée. Je suis tout prêt à entendre des objections raisonnées, et à modifier mon jugement le cas échéant. Mais les invectives, les attaques ad hominem, et les arguments d'autorité ont plutôt tendance à le renforcer.
D.Fellot ancien ingénieur Thalès.
Comme je vais exploser les 1500 signes je la fais en plusieurs fois (Fuck a beat, I'll go A Capella!)
Même s'il n'était pas de votre fait, vous assumez le titre insultant de votre article précédent alors souffrez donc qu'on vous administre la même médecine.
Désolé de vous l'apprendre mais ce n'est pas le contenu marginal qui est de 180gCO2eq/kWh mais le contenu par usage... Puisque vous parliez des constructions neuves j'ai supposé à tort que vous aviez utilisé le paramètre qui doit s'appliquer à charge électrique supplémentaire arrivant sur le réseau mais visiblement ce n'est pas le cas alors il va falloir faire un peu de pédagogie...
Le 180 gCO2eq/kWh est le contenu par usage. Il ne s'agit pas d'une étude ADEME mais d'une étude EDF. Que vous retrouverez ici :
http://www.edf.com/fichiers/fckeditor/File/service%20public/methodo_usage_elec.pdf
Il s'agit finalement d'un raisonnement très simple : les émissions de carbone lié à la production d'électricité en France ont une composante fixe de base et une composante variable en fonction des saisons, on impute donc aux différents usage un contenu de carbone différent en fonction du moment où cette consommation apparait. Comme le chauffage électrique n'est utilisé que lorsque le contenu carboné de la production est le plus élevé, il est donc fortement impacté.
Je ne sais pas si vous savez mais une centrale nucléaire ne peut être utilisé dans des conditions de sécurité que si on l'utilise toute l'année, on ne peut donc construire des tranches nucléaires seulement pour ne l'utiliser que quelques mois dans l'année (le chauffage c'est pas que de la pointe c'est également de la semi-base). On a une petite marge avec tout ce qui concerne les arrêts liés aux opérations de maintenance, mais pour des questions financières évidentes on ne veut pas trop que ces opérations se prolongent...
Un moyen très simple de voir si votre calcul est bon est d'ailleurs de le refaire pour tous les autres usages (éclairage, climatisation, industrie, résidentiel) et de regardez si vous arrivez à obtenir en annuel la quantité de rejet de gaz à effet de serre que déclare EDF dans les inventaires de Kyoto... Quelque chose me dit celà ne va pas se passer aussi bien que pour la méthode EDF qui donne le compte juste. Comme c'est EDF qui paie les quotas de carbone liés au chauffage électrique et qui paie le carburant des centrales mis en route à cause de celui-ci, je pense qu'on peut raisonnablement leur faire confiance.
[Réponse de l'auteur]
Excellente idée, cher KuriKofer. Mettons-la en oeuvre. Prenons les chiffres que donne le site de RTE pour 2008 et sommons les productions pour toutes les heures de l'année. On trouve (en TWh): nucléaire : 407; thermique:27; hydraulique : 61. Avec des émissions (en gCO2/KWh) de 7 pour le nucléaire, 658 pour le thermique et 4 pour l'hydraulique, on calcule des rejets de 20,6 M t CO2. Prenons maintenant les chiffres de la consommation par usage du ministère de l'Ecologie, multiplions-les par les coefficients de l'ADEME (et notamment par 180g pour le chauffage), on trouve 30,6 M t CO2. Je reconnais cependant que le chiffre de RTE pour le thermique est curieusement bas et ne coincide pas avec le chiffre que l'on trouve dans d'autres sources.
http://www.agirpourlenvironnement.org/pdf/contenuCO2longue.pdf
Là c'est RTE qui le calcule en fonction de ce que ça implique pour lui de rajouter des charges électriques à un certain moment, c'est à dire le pilotage de sources électriques les plus polluantes d'Europe. Comme c'est eux qui passent les commandes, votre affirmation précédente revient quand même à dire qu'ils ne sont pas capable de gérer leur réseau de la façon la plus économique possible et même plus, qu'ils ne sont pas capable de tracer ce qu'ils font. Quand quelqu'un veut faire ce genre d'affirmation il a quand même intérêt à avoir un sérieux bagage technique dans le domaine en question...
Donc après vous faites des calculs de coin de table si vous voulez, et c'est très bien pour vous. Mais entre ceux qui s'amusent dans leur coin avec des feuilles excel et les opérationnels qui obtiennent des résultats concrets visibles dans la vie de tous les jours, ne m'en voulez pas si je préfère considérer que ce sont ces derniers qui connaissent le mieux leur travail..
http://www.prioriterre.org/ong/actualite/2033/pointe-electrique-les-pouvoirs-publics-ne-s-attaquent-pas-au-probleme.html
[Réponse de l'auteur]
1) L'argumentaire, comme vous dites, vient de Negawatt, un groupe qui milite contre le nucléaire. 2) Il porte sur le jour ou l' heure de la plus forte consommation annuelle, ce qui, vous en conviendrez, en limite la portée. 3) Le chiffre vérifiable donné (92 400 MW de puissance) est erroné. Allez sur le site de rte, vous verrez que la pointe de ce jour de pointe a été de 82 800 MW, de 12h à 13 h. Ils pourraient vérifier avant d'affirmer. 4) Le chiffre de 34 000 MW de consommation due au chauffage (pourquoi parler de surconsommation) est fantaisiste. Aucune source n'est citée. Aucune source n'est citable. Personne ne peut dire, à un moment donné, quel est l'usage auquel sert l'électricité consommée. 5) Sur le site de rte, vous pourrez vérifier que même pour cette pointe de la pointe, le thermique à flamme assure moins de 10% du total de l'électricité produite. RP