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Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure (1964), agrégée de physique (1968) et Docteur es Sciences physique (1973), Colette Lewiner débute une carrière d’enseignante à l’Université de Paris puis rejoint...

Energie : attention aux réveils douloureux


jeudi 05 février 2009

La baisse des prix de l'énergie ne doit pas faire oublier la nécessité d'investir et de diversifier les sources : sinon, notre sécurité d'approvisionnement sera menacée


Nous avons déjà mis en garde contre la dégradation de la sécurité d’approvisionnement en Europe et souligné la nécessité d’accélérer les investissements dans les infrastructures énergétiques (*).

Cette analyse sur la sécurité d’approvisionnement s’est vérifiée les premiers jours de l’année. Ainsi durant les jours de grand froid et face à des pics de demande de plus de 92 000 MW, la France a dû importer 1000 MW environ pendant plusieurs jours de suite. Heureusement que nos voisins, et l’Allemagne notamment, avaient de la disponibilité ! La situation était tendue et le RTE a envisagé de couper des régions comme la Bretagne. C’est tout de même surprenant dans un pays comme la France !

La fragilité de la sécurité d’approvisionnement en gaz a été- à nouveau- révélée par la dispute (à caractère commercial mais aussi politique) entre l’Ukraine et la Russie. Durant 12 jours de grands froids, Gazprom a coupé l’essentiel de l’approvisionnement vers l’Europe. Cela a eu des conséquences dramatiques pour des pays comme la Bulgarie qui dépendent presqu’à 100% du gaz russe. Cela n’a pas été le cas de la France où nous avons des approvisionnements diversifiés, la Russie comptant pour 15% seulement.

Ce coup de semonce (qui pourrait se répéter) doit être pris, enfin, au sérieux par l’Union Européenne qui achète environ 25% de son gaz à la Russie et achètera probablement 50% en 2030. Elle doit inciter ses pays membres à :

- diversifier leurs sources d’approvisionnement en augmentant la part du gaz naturel liquéfié (GNL), ce qui veut dire notamment investir dans des terminaux méthaniers en France et en Europe.
- augmenter ses capacités de stockage.
- rendre plus fluide et transparent le marché européen de gaz pour que la solidarité entre pays s’exerce mieux.

Les conséquences de la crise financière puis économique seront multiformes.

A court terme, elles seront positives :

- la sécurité d’approvisionnement devrait s’améliorer car la consommation d’électricité et de gaz sera freinée. Ainsi la consommation électrique des grands industriels français a baissé de 18% en décembre après des baisses significatives les mois précédents.
- les émissions de CO2 devraient être réduites, ce qui s’est traduit par une baisse du cours du certificat d’émission à environ 12 €.
- la chute du prix du pétrole, du gaz, du charbon et aussi de l’électricité se répercutera sur le consommateur final.

A moyen et long terme, les investissements pourtant indispensables, vont diminuer car leur financement sera plus difficile à cause de la restriction du crédit bancaire et du moindre cash flow dégagé par les Utilities. Aussi le besoin de construire des centrales, lignes électriques ou pipelines apparaîtra moins urgent.

Malgré cela, il faudra rattraper le retard accumulé et investir, environ 1000 milliards d’€ d’ici 2030 en Europe, dans ces infrastructures.

Les Etats doivent jouer leur rôle pour que les lumières restent allumées ! Par exemple :

- la France a décidé pour faire face à la crise de relancer les investissements ce qui est sage et …l’énergie fait partie du lot.
- l’Union Européenne va discuter prochainement d’un plan d’investissement de 3,5 milliards d’€ dans l’énergie.
- Barack Obama s’est engagé à investir massivement dans l’énergie verte et à reconstruire le réseau électrique de son pays.

Il faut aussi accélérer les investissements, dans la maitrise de l’énergie (isolation des bâtiments, utilisation de voitures consommant moins, de lampes basse consommation et installation massive de compteurs intelligents..)

Si la baisse des tensions sur l’équilibre offre- demande, nous fait oublier les enjeux de plus long terme, le réveil après la crise risque d’être douloureux.

L’expérience amère d’autres secteurs, comme la finance, montre qu’il vaut mieux prendre les bonnes décisions maintenant que de se repentir plus tard !

(*) Voir notamment l'introduction par Colette Lewiner dans le dixième Observatoire des Marchés Européens de l’Energie de Capgemini paru en novembre 2008.
1 commentaire(s)
[1]
Commentaire par antoine bassard
dimanche 08 février 2009 15:44
Bravo pour votre analyse et mise en garde contre les risques qui pèsent sur la sécurité énergétique. Je me permettrai trois questions :

1)Quelles sont les causes de l’affaiblissement français en matière de production électrique ? Je croyais que la France, même si elle n’est plus le « château d’eau électrique de l’Europe » que l’on décrivait autrefois était, sur l’année, exportatrice nette d’électricité. Si je comprends bien, elle doit importer sur des périodes de plus en plus fréquentes et longues. Qu’il y ait achat et vente en permanence entre pays européens n’est pas un problème et c’est même sain. Mais sur la longue durée, l’Allemagne est-elle en voie de supplanter la France, et pourquoi ?

2) Est ce que le 2eme EPR peut changer la donne ? Nicolas Sarkozy a expliqué qu’il permettrait à la fois de suppléer éventuellement les réacteurs existants qui arrivent en bout de course, mais aussi d’exporter. « Il y a un monde à conquérir dans l’énergie », a-t-il dit. Le nucléaire fournit de l’électricité de base. Cela signifie-t-il que le nucléaire français, dont l’EPR, va exporter cette production de base, quitte à ce que la France soit de plus en plus dépendante pour l’électricité de pointe ?

3) Quelle type d'énergie va fournir cette production de pointe ? L’éolien et le solaire ne sont pas adaptés pour des démarrages rapides. Va-t-on, comme en Allemagne, relancer les centrales au fuel ou au gaz, voire au charbon ? Mais alors quid des émissions de CO2 ? Est-il vrai que l’électricité produite en Europe est de plus en plus « sale » ?
Merci d’avance pour vos éclaircissements.


[Réponse de l'auteur]
Merci pour vos questions très pertinentes. voici mes réponses: 1- La France est nette exportatrice d'électricité: 47 milliars de kwh en 2008 même si c'est moins que dans le passé. La France a exporté jusqu'à 70 Milliards de kWh. En fait elle manque de moyens dits de "pointe "c'est à dire de centrales fonctionnant économiquement un nombre d'heures (de pointe) limitée dans l'année. Pour être plus spécifique, la France exporte essentiellement en dehors des périodes de pointe de l'électricité produite à partir de l'énergie hydraulique et nucléaire. En période de pointe ce sont les centrales au gaz qui sont compétitives. elles ont un coût d'investissement relativement faible et un coût de fonctionnement (lié au coût du gaz) élevé. Les centrales nucléaire ont un coût d'investissement élevé (et un coût de fonctionnent faible). Il faut donc amortir cet investissement sur une plus longue période de l'année. 2- Le 2ième EPR va permettre de faire face à un accroissement de la consommation intérieure et augmenter les exportations d'électricité produite sans émissions de CO2. On évitera peut-être ainsi que l'Allemangne ne construise toutes les centrales au charbon prévues! 3- Comme expliqué plus haut , l'énergie de pointe sera produite à partir de centrales au gaz. On a construit récemment 3 000 MW de centrales de pointe en France et 3 000 MW supplémentaires sont planifiés. Certes ces centrales émettent du CO2 mais en revanche, elles ne fonctionnent qu'un nombre limité d'heures par an. On va un peu dégrader le bilan carbone de la France mais c'est nécessaire et ....il n'y a pas de monde parfait. Bien cordialement.
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Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure (1964), agrégée de physique (1968) et Docteur es Sciences physique (1973), Colette Lewiner débute une carrière d’enseignante à l’Université de Paris puis rejoint...

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