Par Bertrand Barré
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Né en décembre 1942, ingénieur physicien de formation, Bertrand Barré est ancien conseiller scientifique d'AREVA voir son blog) Entré en 1967 au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA),...
Le "gaz de schiste" bouleverse le marché américain et mondial
Par Bertrand Barré
jeudi 26 août 2010
Une réorientation de la production aux Etats-Unis a déséquilibré le marché mondial du gaz. Ce choix du «gaz de schiste» fait reculer les perspectives de développement du gaz liquéfié et des terminaux méthaniers, voire du nucléaire.
Pour pallier la baisse de leurs ressources "classiques" de gaz, les Etats-Unis s'étaient lancés dans un programme massif d'équipement en terminaux méthaniers pour y recevoir du gaz naturel liquéfié GNL. En conséquence, le prix du gaz avait dépassé les 12 $ par million de British Thermal Units (MBTU), unité anglo-saxonne utilisée dans ce secteur (*), pour atteindre un pic de 14 $/MBTU.
Ce prix est désormais redescendu en dessous de 4 $/MBTU, complètement découplé du prix du pétrole qui reste voisin de 75 $ par baril. Ce découplage reste pour l'instant limité à l'Amérique du Nord et n'a pas encore affecté les marchés européen et asiatique.
Il y a deux causes à cet effondrement des prix du gaz, l'une conjoncturelle et l'autre durable. D'une part, la récession mondiale de 2008-2009 provoquée par la crise financière a réduit la demande de gaz naturel à la fois pour les usages industriels et pour la production d'électricité. Mais surtout, on a assisté à un développement spectaculaire de la production américaine de gaz de schiste, un gaz naturel encore classé comme "non conventionnel", comme le grisou des gisements charbonniers.
Ce gaz s'est formé dans certaines couches de schiste par décomposition de matières organiques fossiles sous l'action de la chaleur et de bactéries, et y reste piégé en grande quantité mais à faible concentration. Ces ressources, considérables, sont connues depuis longtemps, mais ce n'est que tout récemment que les progrès techniques (forages horizontaux, fracturation hydraulique des roches) les ont rendues exploitables à grande échelle. Il y a désormais 35000 puits produisant du gaz de schiste aux Etats-Unis - il n'y en avait qu'une cinquantaine en 1990.
On prévoit que le gaz non conventionnel, qui assurait 42% de la production américaine en 2007, atteindrait 64% en 2020, ce qui, ajouté au gaz classique, rendrait les Etats-Unis pratiquement auto-suffisants pour au moins deux siècles. Les grands gisements américains identifiés se trouvent au Texas, dans le nord de la Louisiane, dans les Appalaches, en Illinois et Michigan, et même en Colombie Britannique.
Cet effondrement du prix du gaz, s'il est durable, est susceptible de retarder ou de réduire le redémarrage du nucléaire aux Etats-Unis, tandis que la disparition de la demande américaine de GNL va rendre celui-ci disponible pour le reste du monde. On nous dit qu'il y aurait aussi en Europe, et même en France, des ressources notables en gaz de schiste : affaire à suivre...
(*) ndlr : un BTU vaut approximativement 1060 joules.
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La supposée "renaissance" du nucléaire aux USA, déjà fort compromise par le coût prohibitif des réacteurs, n'est pas "retardée" ou "réduite" : elle est purement et définitivement anéantie.
Et, comme le reconnait M Barré, le même phénomène va rendre disponibles sur le marché mondial des quantités immenses et peu chères de gaz : le nucléaire ne va donc pas être seulement anéanti aux USA, mais sur l'ensemble de la planète.
Il ne s'agit pas ici de se réjouir de l'émergence des gaz "non conventionnels", dont l'exploitation est hélas peu écologique : il s'agit de constater que, une fois de plus, le nucléaire est plus cher (sachant qu'il est déjà plus dangereux, plus polluant, etc).
Mais il s'agit aussi de constater que, heureusement, le nucléaire va disparaître. Espérons juste que ce soit avant un nouveau Tchernobyl. Il restera alors "seulement" à s'occuper des déchets radioactifs, pendant... des millions d'années.
[Réponse de l'auteur]
Talleyrand disait : "tout ce qui est excessif est insignifiant". Bien sûr que le gaz de schiste ne sonne pas le glas de l'énergie nucléaire ! Mais c'est vrai qu'il risque de freiner le redémarrage américain. BB