Par Bertrand Barré
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Né en décembre 1942, ingénieur physicien de formation, Bertrand Barré est ancien conseiller scientifique d'AREVA voir son blog) Entré en 1967 au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA),...
Drones et "pilote fou" : la sécurité nucléaire est-elle menacée ?
Par Bertrand Barré
jeudi 16 avril 2015
Les mystérieux survols de drones et le geste insensé du copilote de l'Airbus de GermanWings ont relancé les polémiques sur les risques de crash aérien sur les centrales nucléaires. Voici quelques rappels.
Ces dernières semaines, on a beaucoup parlé de survols de centrales nucléaires françaises par des drones dont les pilotes restent inconnus - de même que leurs intentions. La première émotion passée, tout le monde est relativement rassuré : des engins de cette envergure ne risquent pas de causer de bien gros dégâts sur une installation nucléaire, et les pouvoirs publics étudient les mesures à prendre pour détecter ces petits drones et, peut-être, les abattre.
Plus récemment encore, le "suicide" du copilote fou de GermanWings écrasant volontairement son Airbus et ses 150 passagers sur la montagne nous a tous choqués. Certains écologistes ont voulu utiliser cette tragédie en soulignant que ce vol Barcelone-Düsseldorf avait presque survolé plusieurs sites de centrales nucléaires, relançant ainsi la question que l'on se posait légitimement après le 11 septembre 2001 : est-ce que le crash (volontaire ou non) d'un jet gros porteur sur une centrale nucléaire pourrait déclencher un accident nucléaire grave ?
Quelques rappels
1. Les tours jumelles du World Trade Center, émergeant largement des gratte-ciel plus modestes qui les environnaient, constituaient une cible qu'un pilote, même novice, ne pouvait pas rater, et il était facile de se diriger perpendiculairement à leurs immenses façades planes pour un impact maximum.
Une enceinte de confinement est une cible bien plus petite et de forme cylindro-sphérique : pour la heurter efficacement, un jet commercial devrait réduire considérablement sa vitesse, et donc son énergie cinétique
2. Les tours jumelles étaient des structures à squelette interne : comme la nôtre, leur peau était facile à pénétrer, et les avions l'ont fait et se sont écrasés sur le squelette, emportant au centre des tours leur cargaison complète de kérosène, et c'est l'incendie interne qui a progressivement affaibli la structure jusqu'à l'écroulement final.
Le bâtiment-réacteur, ou enceinte de confinement d'une centrale nucléaire est une structure à squelette externe extrêmement résistante, d'autant plus qu'il s'agit généralement de deux bâtiments l'un dans l'autre, une enceinte interne en béton précontraint et une enceinte externe en béton très fortement armé. Un avion n'aurait aucune chance de pénétrer à l'intérieur des enceintes, et son kérosène prendrait feu à l'extérieur, problème sérieux mais qui ne mettrait pas en cause le confinement. Quant au choc, compte tenu de ce que j'ai dit sur la vitesse du projectile, il entrerait dans les limites de la résistance antisismique des centrales.
3. Un bloc de béton fortement ferraillé résiste à des agressions considérables. En 1988, une expérience a été réalisée au laboratoire de Sandia (Nouveau Mexique) pour mesurer en vraie grandeur l'impact d'un crash d'avion sur une structure en béton. Propulsé sur rails par une fusée, un chasseur F4 "Phantom" est entré en collision, à 800 km/h, avec un gros parallélépipède de béton armé représentatif de la paroi d'une enceinte de confinement. Le choc est spectaculaire !
Quand la fumée se dissipe, l'avion est pulvérisé et le bloc seulement entamé sur une dizaine de centimètres d'épaisseur. Cet expérience n'est pas une démonstration de sûreté : un léger déplacement du bloc a absorbé une partie du choc et l'avion était plein d'eau pour avoir le poids du kérosène sans l'incendie, mais les mesures ont permis de valider les paramètres de calcul utilisés dans les évaluation de sûreté. Que nous disent les résultats de ces calculs ?
Conçu après l'accident de Tchernobyl et extrêmement robuste, l'EPR pourrait encaisser un crash de gros porteur quels qu'en soient l'angle d'attaque et l'altitude. Pour les réacteurs en fonctionnement, dont les parois de béton ne sont pas aussi épaisses, le choc causerait des dégâts qui pourraient mettre en cause le redémarrage du réacteur, mais il ne déclencherait pas un accident nucléaire avec relâchement significatif de radioactivité dans l'environnement. Les conclusions sont les mêmes pour le crash volontaire d'un avion militaire, beaucoup plus léger mais capable d'atteindre sa cible à vitesse très supérieure.
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