Par Yves Egal
- Ingénieur Conseil en Ecologie Urbaine
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Yves Egal, 59 ans, est ingénieur conseil en écologie urbaine. Il a notamment participé à l'étude "les alternatives à un troisième aéroport dans le bassin parisien" »...
La taxe carbone peut rapatrier la rente pétrolière
Par Yves Egal
- Ingénieur Conseil en Ecologie Urbaine
lundi 23 novembre 2009
Vue au départ comme "un impôt de plus", la taxe carbone peut aboutir à un rapatriement de la rente pétrolière des pays producteurs. Conséquences géopolitiques garanties !
- si elle est menée à son terme, elle aboutira à un rapatriement vers les pays consommateurs de la rente pétrolière actuellement perçue par les pays producteurs de pétrole, avec toutes les implications géo-stratégiques que l’on imagine.
- elle est une « taxe » qui, pour la première fois, peut ne pas effaroucher les libéraux.
Expliquons nous. Les libéraux, dont je suis, ont l'avantage, sur les autres râleurs contre la taxe carbone, d'avoir une théorie démontrant la nocivité du passage d'une trop grande partie du revenu national entre les mains de l'Etat. La méfiance vis-à-vis de l'impôt s'expliquant par le fait que seul l'individu sait ce qui lui sera utile, donc où il doit mettre son argent, alors que au nom de l'Etat, les élus vont dépenser l'argent du contribuable d'abord pour les électeurs utiles à leur réélection et non pour l'utilité de chaque individu (théorie des choix publics ou du marché politique par James Buchanan, Nobel d'économie 1986).
A cela, on peut répondre sur deux points :
Sur le fond, le risque climatique a des conséquences trop lointaines pour être pris en compte par les acteurs du marché, aussi rationnels soient-ils. Toutes les décisions rationnelles ("écologiques") des rares individus informés seront donc noyées au milieu des comportements dits de "passagers clandestins" de tous ceux qui ne seront jamais sanctionnés parce qu'ils auront émis trop de gaz à effet de serre. Si le gaspillage reste majoritaire, le prix du pétrole augmentera peut-être, mais pas celui du charbon, très abondant et très polluant, et d'autres sources d'émissions (agriculture, déforestation) continueront à émettre du CO2 sans inconvénient pour le portefeuille de quiconque. Le marché ne donnera donc pas d'informations propres à inciter chacun à un comportement vertueux avant plusieurs décennies. La taxe carbone n'est pas une manière de nous prendre plus d'argent dans une socialisation rampante, mais la seule façon de donner à l'ensemble de la nation un signal prix. Le marché a toujours raison, sauf quand les connaissances scientifiques nécessaires à un comportement rationnel dépassent l'entendement moyen.
Sur la forme, la taxe anticarbone envisagée est une simple taxe destinée à augmenter le prix des énergies responsables de l'effet de serre, proportionnellement à leur teneur en carbone. C'est en effet le prix de la tonne de CO2 qui est fixé, duquel découlent les différentes taxes à appliquer aux carburants, au gaz naturel ou au charbon. Le prix de la tonne de CO2 et les taxes qui en découlent sont appelées à être augmentées chaque année avec l'intention de rendre l'usage des énergies fossiles de plus en plus dissuasif, en espérant que chacun sera incité à isoler sa maison au lieu de partir en vacances, à résister à l'envie d'avoir son pavillon au milieu de nulle part (ou alors à se chauffer au bois), à se contenter d'une petite voiture.
Mais, dans un avenir proche, cette taxe est appelée à être bien autre chose.
Car la question n'est pas de rajouter une taxe fixe à un prix de marché, mais de fixer le prix du pétrole à la place du marché, de façon à avoir un prix final aussi élevé que possible, indépendamment de la fluctuation des cours du baril, une taxe fixe risquant d'être insuffisante en cas d'effondrement des cours et superflue en cas de spéculation effrénée.
A partir du prix actuel du baril, il s'agirait de programmer une hausse régulière, non pas de la taxe, mais du prix du pétrole, à un rythme souhaitable pour la planète, seule manière de donner aux entreprises et aux ménages la nécessaire visibilité pour programmer leurs investissements (1). La hausse dans les pays consommateurs devant être telle que d'ici un siècle, on ne consomme pas plus des deux tiers du pétrole qui est en terre, condition indispensable pour éviter un réchauffement trop catastrophique.
La taxe anticarbone devient ainsi un différentiel entre un prix programmé (croissant chaque année) du pétrole brut et le cours de celui-ci (certaines années, le prix du brut pourra être supérieur au prix programmé, mais là, l'Etat ne va quand même pas rendre de l'argent). La différence entre prix programmé du baril et cours du brut détermine le prix de la tonne de CO2 souhaitable, puis le montant des taxes pour chaque énergie fossile.
Dissuader la consommation de pétrole partout dans le monde fera forcément baisser son prix par manque de demande (2). La taxe finira par prendre toute la différence entre le prix minimal (le coût de production) et le prix programmé, remplaçant petit à petit la rente des pays producteurs pour l'affecter aux pays consommateurs. C'est triste pour les pays du Golfe qui n'auront pas acheté à temps des centrales nucléaires ou solaires, mais en consommant des combustibles fossiles, nous payons une forme de taxe carbone aux pays exportateurs (qui se monte actuellement à la bagatelle de 45 G€ en importations de gaz et de pétrole), et si nous ne modérons pas notre consommation délibérément, elle augmentera... sans aucun bénéfice pour nous (Jancovici). Rapatrier la rente pétrolière empêchera celle-ci de financer le terrorisme et quelques dictateurs.
Bien sûr, ce processus vertueux n'aurait de sens que si les autres pays font comme nous, à commencer par les Etats-Unis. Sinon, il faudrait taxer les importations des pays qui ne voudraient pas s'engager sur cette voie verte.
Voilà pourquoi la "taxe" anticarbone n'est pas une taxe, mais une rente sur une rareté décidée, et qu'elle ne s'oppose pas à l'individualisme méthodologique cher aux libéraux.
(1) Jancovici www.manicore.com ; Jancovici & Grandjean : Le plein s'il vous plait - 2006
(2) Henri Prévôt : Trop de pétrole !
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mais passons. L'erreur logique de votre raisonnement est la suivante : l'augmentation du prix fait baisser la demande qui fait baisser le prix ce qui diminue la rente pétrolière . Sauf que ... si le prix baisse suite à baisse de demande et bien, dans votre logique où la demande est supposée élastique au prix, la consomation va repartir à la hausse et donc le prix remonte, ce qui redonne une rente au cartel etc . en fait il n' y a pas de situation d'équilibre très claire et cette ficelle du "la taxe carbone permet de ponctionner de l'argent a l'OPEP" fait partie de ces supercheries intellectuelles qui existent autour de la taxe carbone.
Chaque fois que le prix baisse à Riyadh ou à Abou Dhabi, c'est le différentiel entre le prix chez nous et le prix du marché qui augmente, c'est à dire la "taxe" anticarbone, donc l'argent qui rentre dans les caisses des Etats consommateurs. C'est pourquoi cette "taxe" qui n'est qu'un différentiel de prix, devrait être appelée "rente pétrolière accaparée par les consommateurs".
Et comme le prix imposé chez nous augmente chaque année, la consommation baisse régulièrement. Il faut certes que toute l'Europe et l'Amérique du Nord fassent de même, mais il n'y a pas d'autre solution et le raisonnement, imparable, ne peut que convaincre tout le monde à terme. Yves Egal
L'état français possède de nombreux instruments efficaces pour faire baisser la demande de pétrole et d'énergie non-renouvelable sans étrangler les plus pauvres qui n'ont pas tous l'opportunité d'isoler "leur" maison (locataires) ou d'en construire une neuve.
[Réponse de l'auteur]
Le prix du brut baisse quand il n'y a pas de demande, sauf épisode de bulle momentanée. Mais toutes les bulles finissent par éclater et l'Arabie ne peut soutenir durablement le cours du baril en restreignant sa production. Elle a aujourd'hui une population multipliée par 4 depuis le choc de 1973, avec de gros besoins qui l'obligent à maintenir un minimum de production. Les Français voient les taxes sur les carburants, et sur l'automobile en général, comme des "taxes" sur leur liberté. Mais il y a de multiples manières de moins consommer sans souffrir : voiture plus petite (et moins chère), covoiturage avec les collègues de travail, sacrifier un mois de vacances pour isoler sa maison... C'est embêtant, mais il est bon que chacun se sente responsable du sort commun, plutôt que de tout attendre de l'Etat ! Le prix élevé sera toujours le meilleur moyen de dissuader une consommation (et le moins injuste). La subvention (à la voiture "propre" par exemple) n'est pas optimale pour l'économie car il y a risque de perte en ligne, avec gain indû pour ceux qui se trouveront sur le trajet de la subvention ! Les douaniers ? Si la zone sous taxe "anti-carbone" est vaste (Europe + Amérique du Nord) les points d'entrée sont peu nombreux : ports et aéroports, quelques postes frontières avec Russie et Ukraine. Et les émissions de CO2 à la production sont assez proportionnelles au poids de plastique ou de métal. Pas si difficile ! Surtout : quelle autre solution ?
NB: Le poids de "métal" (sauf exception; alliages) est une piètre indication d'un "contenu carbone". Une taxe d'assiette pays/produit fait double emploi avec le système de quotas à la production.
[Réponse de l'auteur]
Il est bien évident que la taxation aux frontières restera problématique et que ce ne sera fait que s'il n'y a pas d'entente entre tous les pays sur un prix mondial de la tonne de carbone et, conséquemment, sur un prix du baril fixé par les consommateurs. Il est aussi évident que ce système rendrait inutile le système des quotas de CO2 à la production. Mais il faut bien reconnaitre que le protocole de Kyoyo a été un échec : certes, l'Europe des 15 atteindra en 2012 l'objectif de -8% d'émissions par rapport à 1990, mais cet effort quasi-solitaire sera de peu d'utilité pour le climat par rapport aux augmentations d'émissions des pays qui n'ont pas signé le protocole (Etats-Unis, Canada) ou qui n'avaient pas d'obligations (Chine, Inde, Brésil...). Cela montre qu'il n'y a pas d'autre solution que la fixation d'un prix toujours croissant du CO2 et du baril si on veut une diminution réelle des émissions mondiales. Notamment parce que le système des quotas ne s'adresse qu'aux grosses entreprises, qui représentent guère plus de 30 % des émissions de CO2, sans compter les autres gaz à effet de serre. De plus, le système des quotas a deux inconvénients : - il nécessite une attribution de quotas chaque année à chaque entreprise concernée: que ces quotas soient gratuits (comme jusqu'à présent) ou payants, on ne pourra pas échapper au jeu du marché politique. Chaque pays voudra aider son industrie et la peur du chômage tirera toujours les quotas vers le haut pour les quantités et vers le bas pour les prix, - il aura tendance à accélérer la délocalisation des industries émettrices vers les pays sans quotas ou à quotas généreux au nom de l'aide aux plus pauvres. Le système des quotas ne pourra jamais être très dissuasif quant aux émissions du consommateur de base, qui est le seul vrai responsable de la décision d'émettre ou non du CO2 ou tout autre gaz à effet de serre.
En fait, si la reprise eco revient, on aura très probablement la taxe carbone et une augmentation importante des prix du baril ainsi que de la rente pétrolière (et je le crains une hausse de la demande française, européenne et mondiale de pétrole car la taxe carbone ne brisera pas le lien demande/croissance)
[Réponse de l'auteur]
L'avantage de la dissuasion de la consommation par un prix fixé, plutôt que par une taxe s'ajoutant au prix du marché, est que, lorsque ce dernier est supérieur ou égal au prix fixé, eh bien il n'y a pas de taxe ! Le prix du marché est alors considéré comme suffisamment dissuasif pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'augmenter. L'économie est une science humaine, sans possibilité de tirer ses lois de l'expérimentation. Mais la mollesse d'une science ne l'empêche pas d'avoir quand même ses lois (celle de l'offre et de la demande par exemple), avec certes une plus grande difficulté d'en assurer la vérification. Le mot "imparable" était de trop, j'en conviens. Dans le cas du prix du baril, la demande reste très dépendante du prix, en comptant le temps nécessaire à certaines adaptations. Quand le prix de l'essence augmente, l'automobiliste ne change pas immédiatement sa voiture, ni il ne passe illico au covoiturage : il évite certains déplacements, en partage d'autres avec ses collègues, prend le bus, et au bout de quelques années achète une voiture plus économe parce que son constructeur en aura sortie une. De même, voyant l'utilisation des bus, la ville va en fournir plus, ou créer une ligne de métro, qui va elle-même densifier les tissus urbains. Toute la politique des trams et métros de province est la conséquence lointaine de la crise de 1973-74, tout comme le développement du programme nucléaire et d'un TGV électrique. Alors qu'à 25 ans, je me voyais circuler toute ma vie en voiture comme mon père, je m'aperçois que je circule aujourd'hui beaucoup en métro-RER, ou en scooter lorsqu'on ne me le vole pas, et que finalement, je fais moins de km que mon père à mon âge ! Malgré ses grandes fluctuations, nuisibles pour une visibilité à long terme, le prix du pétrole a bien fini par infléchir la consommation en France. Il le fera aussi ailleurs, avec du temps et des hésitations, mais il ne peut guère en être autrement.