Par Bertrand Barré
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Né en décembre 1942, ingénieur physicien de formation, Bertrand Barré est ancien conseiller scientifique d'AREVA voir son blog) Entré en 1967 au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA),...
La recommandation de l'AIEA sur le retour des populations de Fukushima
Par Bertrand Barré
jeudi 06 février 2014
L'Agence internationale de l'énergie atomique vient d'estimer à 20 mSv/an la dose acceptable dans les territoires autour de la centrale accidentée de Fukushima. Vingt fois plus que la dose additionnelle tolérée selon les normes. Pourquoi un tel écart ?
Mon article du mois dernier , "l'effet pervers de normes trop strictes", m'a valu pas mal de commentaires, dont certains étaient très agressifs. C'est donc avec plaisir que j'ai pris connaissance du rapport final de la mission d'experts chargés par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, AIEA, à la demande du gouvernement japonais, d'évaluer les actions de décontamination engagées autour du site de Fukushima Daiichi.
L'AIEA y recommande notamment d'autoriser le retour des populations dans les zones où la dose additionnelle de radioactivité est aujourd'hui égale ou inférieure à 20 millisieverts par an. Je cite la recommandation :" En situation post-accidentelle, une dose individuelle comprise entre 1 et 20 mSv/an est tout-à-fait acceptable, et conforme aux recommandations internationales (AIEA, OMS, CIRP et UNSCEAR)."
Les experts ajoutent que cette dose de 20 mSv/an est très inférieure au niveau de la radioactivité naturelle dans plusieurs endroits du monde. La recommandation de l'AIEA ajoute encore : "Il faut renforcer les efforts pour convaincre le public qu'une dose additionnelle de 1 mSv/an, objectif à long terme, ne pourra pas être atteinte rapidement par simple décontamination ».
Pour comprendre ce débat sur les normes, il faut revenir sur certaines données de base.
La dose subie par un tissu vivant ou un matériau quand il absorbe une particule ou un rayonnement électromagnétique s'exprime en Gray, c'est à dire en Joule par kg. Mais la même dose absorbée n'occasionnera pas les mêmes dommages au bout des doigts ou dans les organes sexuels, et à même dose, les rayonnements qui perdent leur énergie sur une faible distance créent plus de dégâts.
C'est pour tenir compte de cette différence d'effet biologique suivant l'organe affecté et le rayonnement en cause, que l'on a créé l'unité de dose équivalente, le Sievert, plutôt utilisé par son sous-multiple millisievert, mSv. Le Sievert est un Gray modifié par les coefficients adéquats pour quantifier l'effet des radiations sur la santé.
Notons encore que la « radioactivité artificielle » et la même que la « radioactivité naturelle » émise notamment par les sols granitiques. Un millisievert d'exposition au granit breton est donc strictement équivalent à un millisievert d'exposition à un sol de Fukushima contaminé en césium radioactif (mais cette dose y sera atteinte plus vite).
Venons-en aux normes : aujourd'hui, universellement, l'ensemble des activités liées aux usages de la radioactivité n'est pas autorisé à ajouter à la dose d'irradiation naturelle du grand public une dose de plus de 1 millisievert (mSv) par an. Si l'on appliquait à l'irradiation naturelle les normes en vigueur pour l'irradiation d'origine artificielle, il faudrait évacuer d'urgence la Corse, le Limousin, la Vendée et la Bretagne, etc.
Pourquoi une norme aussi basse ? Pour contraindre l'industrie nucléaire à l'excellence : "Puisque vous êtes capables de limiter vos rejets au point de ne pas dépasser 1 mSv/an, on limite votre autorisation à ce niveau très bas, sans rapport avec le risque sanitaire réel". Il faut en effet savoir qu'on n'a jamais détecté d'effet mesurable sur la santé d'une dose instantanée d'irradiation inférieure à 100 millisieverts. Mais le public, du coup, est persuadé qu'une dose ajoutée de plus d'1 mSv/an est dangereuse pour la santé (même si ça ne l'empêche pas d'aller faire du ski en altitude ou de passer le mois d'août sur une plage bretonne, ni de prendre l'avion de temps en temps).
Cet effet pervers peut devenir catastrophique quand ces normes trop strictes entraînent des évacuations excessives de population ou empêchent leur retour dans leurs foyers. Très vite, les effets sanitaires de l'évacuation se révèlent bien pires que ceux qu'auraient causés le maintien dans une zone faiblement contaminée (Bien sûr, l'évacuation des zones fortement contaminées était et reste nécessaire !).
Espérons que cette recommandation de l'AIEA permettra de hâter le retour dans les zones peu contaminées. Voici quel était l'état des zones en mai 2013.
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La canicule du mois d'août a fait bondir la production nucléaire
[Réponse de l'auteur]
Les bombes d'Hiroshima et Nagasaki ont été fabriquées et lancées des années avant que ne soit produit le premier kWh nucléaire : il ne faut pas tout mélanger ! Par ailleurs, l'électricité nucléaire produit non pas 2,5% mais un peu plus de 5% de l'énergie primaire mondiale. Ce n'est pas énorme mais c'est 5 fois plus que l'éolien+le photovoltaïque+la géothermie+l'électricité d'origine marine... Quant aux supposées 900 000 victimes de Tchernobyl, c'est de la fantaisie pure.
[Réponse de l'auteur]
Le faible nombre de morts par kWh est peut-être une rengaine, mais cela ne l'empêche pas d'être une réalité avérée.
[Réponse de l'auteur]
Aucune filouterie : Je vous rappelle que c'est vous-même qui avez choisi de citer les chiffres en énergie primaire... Aujourd'hui, l'électricité éolienne et solaire est bien loin d'être consommée sur place. Pour ces deux sources d'énergie, les chiffres de puissance installée sont impressionnants, mais les chiffres de production effective, rarement cités, le sont moins.
[Réponse de l'auteur]
Le combustible des autres réacteurs est équipé de gaines en M5, alliage de zirconium plus moderne et qui résiste beaucoup mieux à la corrosion que le zircaloy 4.
[Réponse de l'auteur]
Effectivement les gaines de Rapsodie, Phénix et Superphénix étaient en inox car avec des neutrons rapides les captures dans l'acier sont négligeables. Ce n'est pas le cas avec les neutrons thermiques, d'où le choix des alliages de zirconium dans les réacteurs à eau ordinaire, zircaloy4 naguère et M5 désormais.