Par Béatrice Mathieu
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Béatrice Mathieu est rédactrice en chef adjointe de l'Expansion, responsable éditoriale de la Chaine Energie.
Iter, en panne, faute de combustible financier
Par Béatrice Mathieu
lundi 03 octobre 2011
Le chantier du futur réacteur à fusion nucléaire a besoin d'une rallonge de 1,3 milliard d'euros. Mais, en ces temps de disette budgétaire et de doute sur l'atome, plus personne ne veut payer.
Un modeste préfabriqué beige de deux étages décoré d'une poignée de drapeaux battus par le mistral. C'est là, à deux pas de Cadarache, à une quarantaine de kilomètres d'Aix-en-Provence, que l'avenir de l'industrie nucléaire mondiale est censé se dessiner au cours des prochaines décennies.
Dans la torpeur de l'été provençal, le chantier d'Iter, sigle désignant le réacteur thermonucléaire expérimental international, tourne au ralenti. Sur une vaste étendue rocailleuse, sept grues végètent dans un ciel d'azur, tandis que de rares camions zigzaguent entre les squelettes d'énormes bâtiments et les fondations du futur réacteur, soulevant une poussière ocre.
Dans son bureau surplombant le site, Osamu Motojima, nommé à la tête d'Iter Organization, l'organe chargé de la coordination du projet, débite un discours bien huilé : "La fusion, c'est l'avenir du nucléaire. Une énergie sûre, illimitée et propre." Pas de risque d'emballement du réacteur. Aucun déchet nucléaire de longue durée à traiter... Sourire de Joconde et courbettes nippones, Osamu Motojima clôt l'entretien en précisant que "les coûts du projet sont désormais maîtrisés". Un discours peut-être plus audacieux encore sur le plan financier que sur le plan scientifique. Car ce qui effraie les sept partenaires (Union européenne, Etats-Unis, Russie, Japon, Corée, Chine et Inde) qui se sont lancés dans l'aventure de la fusion nucléaire, en 2006, c'est bel et bien l'envolée du budget.
Une mauvaise gestion et des coûts non maîtrisés
En cinq ans, le coût de la construction du réacteur expérimental a plus que doublé, grimpant de 5 à 12 milliards d'euros, voire à 16 milliards, selon les estimations. Mauvaise gestion des fonds alloués, envolée des coûts des matières premières et flou scientifique sur la conception même du réacteur expliquent cette dérive. "Le ver était dans le fruit dès le départ, affirme la députée européenne belge Isabelle Durand, qui connaît bien le dossier. En 2006, pour faciliter l'acceptation politique du projet par les chefs d'Etat de l'époque, et notamment par les Etats-Unis, qui traînaient des pieds, le budget a été volontairement sous-estimé, les experts présentant des ébauches de 2001."
Sauf qu'en une décennie le monde a changé : les règles de sécurité se sont durcies et les prix de matériaux, comme le niobium, utilisé pour la fabrication d'aciers spéciaux, ont explosé. S'ajoute à cela une gouvernance du projet structurellement inflationniste. A l'exception de l'Union européenne, la participation des autres membres se fait surtout sous forme de livraisons de composants, et non en devises. En clair, une turbine peut être fabriquée à partir d'éléments venant de Corée, du Japon et de Chine, assemblée au Etats-Unis puis transportée à Cadarache. D'où des coûts de transports et de vérifications techniques faramineux.
Or, en ces temps de disette budgétaire et de rejet de l'atome, l'addition commence à être un peu trop salée pour les financeurs. A commencer par les plus petits, les collectivités locales. "On ne mettra pas un centime de plus dans le projet que les 152 millions d'euros déjà promis", affirme Annick Delhaye, la vice-présidente du conseil régional de Paca. Même position ferme pour la députée UMP Maryse Joissains-Masini, présidente de la communauté d'agglomération du pays d'Aix.
Alors que la question nucléaire va enfler dans la perspective du débat pour la présidentielle, les ministres chargés du dossier Iter, Eric Besson, Nathalie Kosciusko-Morizet et Laurent Wauquiez, affichent un silence gêné. Au Parlement européen, l'affaire tourne à la crise politique. Car l'Union européenne, qui assure seule les travaux d'infrastructures à Cadarache, contribue au budget pour près de 45 %.
Pour poursuivre les travaux dans les deux prochaines années, c'est 1,3 milliard d'euros supplémentaire qu'elle devra mettre sur la table. Où les trouver ? La Commission de Bruxelles a sa petite idée : piocher quelque 840 millions d'euros sur les crédits non distribués de la politique agricole commune, et prendre le reste - soit 460 millions d'euros - dans les programmes européens dédiés à la recherche et à l'innovation. Le Parlement européen a voté début juillet une résolution dans ce sens, mais le Conseil européen, qui réunit les 27 chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union, doit encore donner son feu vert. A l'heure où la sécheresse a malmené les agriculteurs, ponctionner le budget de la PAC risque d'être difficile à vendre à une opinion publique agacée par les déboires de l'Europe.
Le Japon est incapable de livrer certaines pièces
Déjà, une partie du monde scientifique européen monte au créneau. "Siphonner le budget de la recherche publique au profit d'un seul projet est une erreur politique majeure", dénonce Sébastien Balibar, directeur de recherche au CNRS. "Certains projets ne verront pas le jour", reconnaît Mark English, le porte-parole de la Commission pour la recherche et l'innovation.
Le pis est peut-être à venir, alors que le Japon est dans l'incapacité de livrer certaines pièces. L'usine qui devait fournir les aimants supraconducteurs, vitaux pour Iter, a en grande partie été détruite par le tremblement de terre. "Impossible d'attendre les deux ou trois ans demandés par le Japon, la production sera confiée à d'autres partenaires", prévoit Osamu Motojima. Un transfert de charges qui entraînera une nouvelle rallonge budgétaire.
"Il faut revoir le calendrier et étaler la dépense dans le temps. Iter n'a pas vocation à produire de l'électricité avant la fin du siècle", défend Jean-Luc Bennahmias, député européen et vice-président du MoDem. Mais doit-il en produire à n'importe quel prix ?
Photo REUTERS/Jean-Paul Pelissier
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La seconde question qui vient de pair, c'est "à quel coût" car au vu de la complexité de l'expérience, on peut se demander si une application industrielle à un coût abordable est réellement possible.
Personnellement, je crois qu'Iter est une erreur, on aurait plutôt du consacrer du temps et de l'énergie à la fiabilisation des surgénérateurs, objectif bien plus abordable sur le plan technique avec une probabilité de réussite élevée. On aurait garanti une partie de notre approvisionnement énergétique pour les prochains millénaires, tout en réservant les combustibles fossiles aux usages auquel il est difficile de les substituer.