Par Dominique Bidou
- Ingénieur et démographe
Auteur
Ingénieur des mines, démographe, Dominique Bidou a été directeur de la Qualité de la Vie au Ministère de l'environnement. Il est président d'honneur de l'Association HQE (Haute qualité environnementale)...
La fin des subventions aux renouvelables : attention, danger !
Par Dominique Bidou
- Ingénieur et démographe
vendredi 25 avril 2014
La décision européenne d'abandonner les subventions aux énergies renouvelables illustre la difficulté de sortir de l'économie des énergies fossiles. Avec des risques graves pour le climat de la planète...
L'affaire de l'abandon dès 2015 des subventions aux énergies renouvelables (ENR) est symptomatique d'un phénomène inquiétant. Pour l'instant, ce ne sont pas les ENR qui coutent cher aux finances publiques, mais les énergies fossiles : 8% des recettes publiques à l'échelle de la planète, soit plus de 2 % du PIB mondial (1). Des subventions soit en aides à la production, soit en aides à la consommation. Le FMI recommande de les supprimer car elles provoquent de nombreuses distorsions et s'avèrent anti économiques. Au lieu de cela, haro sur les ENR !
Selon que vous serez puissant ou misérable... Nous pourrions observer ce combat avec la philosophie de La Fontaine, mais la situation n'est pas anodine, et ne concerne pas que les énergéticiens. Tout se passe comme si l'ancien monde, celui de l'économie carbonée, que l'on sait condamnée d'ici quelques dizaines d'années (et le dernier rapport du GIEC le confirme s'il en était besoin), voulait empêcher le nouveau d'émerger. Nous savons bien que les crises se manifestent à la charnière entre un monde ancien, qui n'en finit pas de mourir et use de tous les artifices pour obtenir une prolongation, et un monde nouveau qui peine à sortir des limbes. Ce n'est pas nouveau, mais le changement climatique, qui sera aggravé du fait de ces lenteurs, risque fort de bouleverser nos sociétés, et de mettre en péril nos civilisations.
La lutte entre les deux mondes, représentés l'un par les énergies fossiles et l'autre par les renouvelables, nous interpelle fortement, car elle pourrait bien se traduire par une forme de suicide collectif.
Programmer plutôt que supprimer d'un coup
Bien sûr, les subventions aux énergies nouvelles ont pu être maladroites, créer des rentes de situation, déséquilibrer des échanges commerciaux. Il faut les évaluer, les adapter aux vrais besoins, et les corriger au fur et à mesure que les ENR progressent sur leur courbe d'apprentissage et s'approchent de leur maturité. De là à les supprimer, il y a un gouffre, à moins de supprimer également les subventions aux autres énergies, carbonées ou nucléaires. Nous savons que cette dernière thérapie serait trop violente, qu'elle n'est pas réaliste. On ne peut pas tout supprimer d'un coup, mais une baisse peut être programmée, avec un objectif de suppression à terme.
L'offre d'énergie carbonée a structuré nos économies modernes, issues de la révolution industrielle. Elle a permis à des empires de se constituer. Les intérêts dominants aujourd'hui sont liés à l'économie ancienne, et s'opposent à l'émergence de la nouvelle, qui se constitue sur de nouvelles bases et redistribue les cartes de la prospérité. Ils s'efforcent de retarder l'échéance, alors qu'il est clair que chaque retard pris dans la lutte pour l'atténuation du changement climatique sera cher payé.
L'Europe et le leadership de la nouvelle économie
Le souhait exprimé par la Commission européenne de supprimer les aides aux ENR arrive dans ce contexte. L'ancienne économie ne veut laisser aucun espace à la nouvelle. Le risque est grand que cette dernière ne se développe ailleurs, et prenne son essor hors de l'Europe. Celle-ci aura alors loupé le train du futur, en s'accrochant à des valeurs périmée. Dommage car elle a tous les atouts pour prendre le leadership de la nouvelle économie, avec un capital humain et un savoir faire industriel exceptionnels.
Appelons deux fortes têtes pour conclure ce propos. Albert Einstein, qui nous rappelle que l'on ne résout pas les problèmes avec l'état d'esprit qui les a fait naître, et John M. Keynes, qui a observé que le plus dur n'était pas d'adhérer aux idées nouvelles, mais de s'affranchir des anciennes. De notre capacité à surmonter cette difficulté dépend notre avenir.
(1) Selon une note du FMI : Réforme des subventions à l'énergie. Enseignements et conséquences, 28 janvier 2013
[Réponse de l'auteur]
Pour l'instant, ce sont les "fossiles" qui s'engraissent, pour reprendre votre expression. Elles profitent d'être aux commandes des grandes entreprises pour faire en sorte que rien ne bouge. Elles bénéficient de 8% des recettes publiques, ce n'est pas rien. C'est le FMI qui l'affirme, et ce ne sont pas des fantaisistes. Le FMI préconise la fin de ces subventions, et ce sont les subventions aux renouvelables qui sont menacées. Il y a surement eu des erreurs dans les dispositifs d'aide aux renouvelables, mais elles ont coûté bien moins cher que le nucléaire et les fossiles. Et ce n'est pas terminé, sans pourt autant que l'on ait une visibilité sur l'avenir...
[Réponse de l'auteur]
Il faut bien trouver des sources de revenus pour organiser des prélèvements, mais mon propos n'est pas là. Avant tout, il faut que l'énergie soit payée à son juste prix. Les subventions accordées à des énergies "matures" sont à ce titre dangereuses, et empêchent (ou freinent) l'émergence des énergies plus récentes, qui n'ont pas encore trouvé leur équilibre. Les subventions aux ENR ne sont légitimes que parce qu'elles concernent l'innovation. Nous savons qu'une partie de ces aides est perdue, car une part des innovations ne débouchent pas, mais la part qui passe les épreuves en vaut la peine, et seront les techniques "ordinaires" de demain. Le volet "redistribution" est d'une autre nature. Des aides à la personne peuvent, par exemple, être accordées aux "précaires énergétiques". C'est un choix politique.
[Réponse de l'auteur]
Merci de votre témoignage !
[Réponse de l'auteur]
Les articles sur le web sont toujours éliptiques. L'analyse du FMI (que vous trouvrez aisément sur un moteur de recherche à propos des aides aux énergies fossiles) fait justement le bilan. Les 8% représentent le coût réel, au-delà des subventions en argent sonnant et trébuchant. Il est vrai que je n'ai pas l'analyse équivalente pour les ENR, mais les sommes en cause sont hors de proportion. Les énergies fossiles reçoivent une aide "nette" importante, ce qui est bon a savoir quand on veut mettre de l'ordre dans le marché des énergies, et quand on envisage de supprimer les aides aux nouvelles arrivantes, les ENR, qui ne bénéficient pas de cet état de fait.