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 - Président fondateur de Sauvons Le Climat

Auteur
Ingénieur et docteur ès sciences, Hervé Nifenecker est Président fondateur du collectif  Sauvons le Climat, qu'il a créé en 2004. Il s'exprime sur "la chaîne Energie" à titre personnel...

Europe: pas de marché unique sans politique commune de l'énergie!


mercredi 26 janvier 2011

L'Europe poursuit sa marche vers une intégration des marchés de l'énergie et de ses réseaux. Oui, mais il faut dans ce cas une politique commune et il faut que la France impose sa vision fondée sur le nucléaire, peu émettrice de CO2.


La Commission Européenne a publié récemment un rapport intitulé " Energy 2020, a strategy for competitive, sustainable and secure energy" (Voir les documents).

Le rapport de la Commission vise à la réalisation d'un marché unique de l'énergie (et plus spécifiquement de l'électricité) en Europe. Pour atteindre cet objectif il faudrait améliorer considérablement les connections électriques transfrontalières, il faudrait sillonner l'Europe par des autoroutes de lignes à très haute tension (1). Il faudrait aussi casser les quasi-monopoles nationaux (EDF) et renoncer aux tarifs régulés.

La France ne doit pas accepter sans autre forme de procès la création d'un tel marché unique de l'électricité. En effet, cette création nécessiterait que l'Europe soit en capacité de définir une politique de l'énergie, et, plus précisément, de la production et de la distribution de l'électricité. Cela semble impossible en absence d'une entente sur le rôle du nucléaire dans cette production (2), d'autant moins que cette politique doit impérativement prendre en compte la réduction des émissions de gaz carbonique et l'indépendance énergétique.

La mise en place d'un marché de l'électricité sans politique de l'énergie digne de ce nom risque de reproduire la situation qui a présidé à l'instauration de l'Euro sans politique économique, sociale, fiscale et financière au niveau européen dans l'espoir que la création de l'instrument créerait automatiquement la politique. Cet espoir s'est avéré vain. Pourquoi reproduire les mêmes erreurs dans le domaine stratégique de l'énergie ?

Quand on l'examine, il apparaît que la proposition de la Commission Européenne consiste, essentiellement, à permettre à l'Allemagne de réduire ses émissions tout en renonçant, à terme, au nucléaire : développement de la production éolienne avec stockage dans les réservoirs des barrages des Alpes ou de Scandinavie, importation massive de courant et réalisation du captage-stockage du CO2 sur les centrales thermiques à flamme, accompagné du développement d'un réseau transcontinental de gazoducs et de site de stockage pour CO2. Cette mise en oeuvre renchérira encore davantage la production d'électricité par les centrales fossiles. On doit envisager un coût du kWh produit par ces centrales deux fois supérieur à celui fourni par les centrales nucléaires. Il est donc capital pour l'Allemagne d'augmenter le prix de l'électricité en Europe afin d'assurer la rentabilité de sa production.

De même que l'Allemagne a su imposer une politique vertueuse pour l'Euro, pourquoi la France ne pourrait-elle pas imposer sa propre conception d'une politique énergétique  vertueuse?
Faut-il rappeler que la France produit son électricité avec des émissions de CO2 près de 10 fois inférieures à celles de l'Allemagne.

Vers un augmentation  des tarifs de 50% ?


Les états européens doivent rester maîtres de leur politique énergétique aussi longtemps qu'une vraie politique européenne ne sera pas décidée d'un commun accord. Ceci s'applique en particulier à la problématique du chauffage et des transports électriques. Pourquoi sacrifier sur l'hôtel du marché de l'électricité des moyens de réduire de manière importante les émissions de CO2 en remplaçant gaz et fioul par des moyens de chauffage recourant à une électricité au faible contenu en carbone ? Pourquoi renoncer à remplacer essence et gazole par de l'électricité « propre » ? Pour la France on calcule qu'une voiture électrique émet, du fait de la production d'électricité, environ 12 grammes de CO2/km, alors qu'en se plaçant au niveau européen les émissions atteignent 60 g de CO2/km, et si l'électricité est produite uniquement par des centrales à charbon, 160 g de CO2/km ! Rappelons que le bonus écologique n'est versé que pour des voitures émettant moins de 110 g CO2/km.  

Dans l'hypothèse où un marché européen de l'électricité serait, malgré tout, installé, la fin des tarifs régulés sera inévitable, d'autant que c'est un des objectif affiché par la Commission. Comment les Français accepteront ils une augmentation du prix de l'électricité d'au moins 50% (3)? La rente perçue par les opérateurs de réacteurs nucléaires prendra du fait de cette augmentation une ampleur considérable, de l'ordre de 10 Md€/an pour la seule France. Comment sera-t-elle répartie ?

Le nucléaire représente actuellement 27% de la production d'électricité européenne. Pour obtenir une production d'électricité sans émission de CO2, il serait souhaitable que cette part atteigne 50% (en faisant l'hypothèse optimiste que les 50 autres % pourraient être fournis par les énergies renouvelables et des centrales à combustible fossile équipées de capture-stockage). Où seraient construits les quelques 120 réacteurs supplémentaires nécessaires, alors que le principal bénéficiaire, l'Allemagne se refuse à en avoir sur son territoire ? Les Français accepteraient-ils la construction sur leur sol de nombreux réacteurs supplémentaires dont la production serait exportée vers l'Allemagne, sans que, pour autant ils en tirent le moindre bénéfice, au contraire.
 
L'existence d'un vaste réseau électrique européen (une plaque de cuivre européenne) poserait aussi une question de responsabilité. Actuellement, la responsabilité d'un mauvais fonctionnement du réseau électrique, celle d'un blackout étendu, repose sur les épaules du ministre de l'énergie (notons qu'avant la dérégulation du marché de l'électricité c'était EDF qui était responsable des dysfonctionnements). Qui serait responsable d'un blackout européen ? La Commission ? Personne ne le sait.

Notes
 (1) Quelques citations traduites du rapport illustrent le propos :
Le marché de l'électricité est trop fragmenté, manque de compétition et il y a trop de compagnies en position de quasi monopoles. Les marchés régulés réduisent encore la compétitions dans de nombreux pays membres. Il faut améliorer la compétition pour décider des bons investissements et réduire leur coût (....). Sans une infrastructure suffisante le marché ne pourra réaliser ses promesses. Encore plus important, l'Europe manque d'un réseau qui permette aux ENR de se développer à égalité avec les moyens traditionnels. Les projets actuels de grands parcs d'éoliennes dans le Nord et les installations solaires au Sud exigent des réseaux capables de transmettre cette puissance verte vers les lieux de consommation. Le réseau actuel aurait du mal à absorber les volumes de puissance renouvelable prévu pour 2020 (33% de la production d'électricité). (...)Le coût total de ce programme (réseaux électriques et gaziers, énergies renouvelables) atteindrait 1000 milliards d'euros

(2) En ce qui concerne le nucléaire la situation dans l'Union Européenne est la suivante :
L'Autriche, le Danemark, l'Irlande, la Grèce, Chypre, Malte, le Luxembourg et le Portugal n'ont pas de réacteurs nucléaires et n'envisagent pas d'en construire.
L'Allemagne, l'Espagne et la Belgique ont une politique de sortie du nucléaire mais prolongent la durée de vie de leurs centrales.
La Suède a renoncé à l'application de son référendum de sortie du nucléaire et affirme sa volonté de maintenir son potentiel de production nucléaire.
Le Royaume Uni, l'Italie, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie, la Slovénie, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, les Pays Bas, les pays Baltes ont des projets de construction de réacteurs plus ou moins avancés.
La Finlande et la France construisent de nouveaux réacteurs.


(3) Rappelons les prix moyens de l'électricité en France et en Allemagne :
Pour les particuliers :
France : 0,13 €/kWh TTC, 0,09 €/kWh HT
Allemagne : 0,24  €/kWh TTC, 0,14 €/kWh HT

Pour les industriels :
France : 0,O75 €/kWh
Allemagne : 0,11 €/kWhproduction.

 
2 commentaire(s)
[1]
Commentaire par Tilleul
jeudi 27 janvier 2011 15:34
Après le plombier polonais l'électricien allemand ? Les nationalistes europhobes ne savent vraiment plus quoi inventer...

La politique énergétique européenne cherche à répondre à ce problème :

"Europe is entering a new energy landscape. Our import dependency is 50% today, and certain to rise. Our hydrocarbon reserves are running down. Energy is becoming more expensive. Our infrastructure needs improving; EUR 1000 billion is needed over the next 20 years to meet expected energy demand and replace ageing infrastructure. And global warming has already made the world 0.6°C hotter."

Qu'on peut résumer par "a Sustainable, Competitive and Secure Energy".


Vous remarquerez que le premier problème qui est pointé par la commission, c'est pas le prix, c'est pas le réchauffement climatique : c'est la dépendance envers les importations étrangères qui augmentent de plus en plus : uranium, charbon, gaz, pétrole... Pour la première ressource il n'existe tout simplement pas de ressources indigènes en exploitation et pour les 3 autres les gisements sont en baisse de production continue.

La proposition de passer au tout nucléaire ne permet donc pas de répondre au besoin prioritaire, d'autant plus si ça revenait à augmenter notre dépendance envers des pays aussi politiquement instable que le Niger...
[2]
Commentaire par Tilleul
jeudi 27 janvier 2011 15:36
Autre point dire que la commission européenne souhaite la fin des tarifs régulés pour le particulier est un pur mensonge.

http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/07/815&format=HTML&aged=1&language=FR&guiLanguage=en

"La Commission est préoccupée par la distorsion de concurrence qui résulte d'un système de tarifs fixés sans rapport avec les mécanismes de marché et qui profitent à de grandes entreprises actives sur des marchés ouverts à la concurrence européenne."

"La Commission est surtout préoccupée par la distorsion de concurrence que pourraient engendrer les tarifs «verts» et «jaunes», à savoir les tarifs les plus bas appliqués aux grandes et moyennes entreprises, et qui concernerait essentiellement les marchés de produits des entreprises grosses consommatrices d'énergie. L'enquête ne couvre pas les tarifs «bleus» (applicables principalement aux consommateurs résidentiels et aux petites entreprises) dans la mesures où ils ne semblent pas conférer un avantage économique aux entités concernées."

Tout ce que la commission européenne demande c'est que la France cesse de subventionner les consommations d'électricité des gros consommateurs d'électricité industrielles qui viennent utiliser cet argent public pour mettre au chomâge d'autres entreprises européennes... Les particuliers et petites entreprises ne sont pas concernés car il s'agit d'usage qui ne permettent pas de faire du dumping contre nos voisins.
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