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Auteur
Béatrice Mathieu est rédactrice en chef adjointe de l'Expansion, responsable éditoriale de la Chaine Energie.

Pourquoi votre facture de gaz augmente alors que les cours chutent


jeudi 10 juin 2010

Les tarifs de GDF Suez pourrait augmenter de 4% au 1er juillet après avoir grimpé de près de 10 % en avril. Pourtant il y a trop de gaz à vendre sur la planète. Un paradoxe dû au respect de contrats d'achats signés pour plusieurs années, heureusement en cours de renégociation.


 




















C'est l'histoire d'une petite flamme bleue qui rend rouges de colère les associations de consommateurs, celle des tarifs du gaz fixés par GDF Suez. En avril, le groupe y est allé franco, alourdissant de 9,6 % la facture des particuliers. Avec cette hausse - la plus forte depuis novembre 2005, les prix du gaz ont atteint un sommet, à près de 5,7 centimes le kilowattheure, abonnement et taxes compris, soit 50 % de plus qu'il y a six ans. Pour les 6 millions de foyers concernés, ce nouveau coup de bambou est d'autant plus brutal qu'à première vue il paraît incompréhensible : depuis un an, les cours du gaz sur les marchés internationaux se sont littéralement... effondrés ! Aux Etats-Unis, l'indice de référence des marchés, le Henry Hub, a plongé de 70 % depuis juin 2008. Et sur la place de Zeebrugge, en Belgique, la dégringolade est tout aussi impressionnante.

"Si le mode de calcul habituel est appliqué à la lettre, les prix pourraient encore grimper de 4 % au 1er juillet." Caroline Keller, UFC-Que choisir

Pourquoi ce krach ne profite-t-il pas aux consommateurs ? Parce que en France les tarifs du gaz sont fixés selon une formule alambiquée censée refléter les coûts d'approvisionnement de GDF Suez, qui dépendent en grande partie d'accords signés avec des fournisseurs russes, algériens ou norvégiens. Près de 90 % du gaz vendu dans l'Hexagone sont importés dans le cadre de contrats à long terme avec ces pays.

Or, avec ce genre de contrat, les prix ne fluctuent pas en fonction des cours du gaz sur les marchés au jour le jour, mais au gré des yo-yo du taux de change de l'euro, des cours du pétrole et de ceux du fioul domestique sur les six derniers mois. Une pratique historique qui coûte aujourd'hui très cher aux consommateurs. Car, depuis deux ou trois ans, le pétrole et le gaz n'évoluent plus du tout en parallèle. "Compte tenu de la glissade de l'euro face au billet vert et de la remontée des cours de l'or noir depuis l'hiver, GDF Suez serait même en droit de rehausser une nouvelle fois ses tarifs au cours des prochains mois", reconnaît un membre de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Un décret datant de décembre 2009 donne en effet à l'opérateur historique la possibilité de réviser ses tarifs tous les trimestres. "Théoriquement, ils pourraient encore progresser de 4 % au 1er juillet si l'on applique au pied de la lettre la fameuse équation mathématique", s'étrangle Caroline Keller, chargée de mission énergie à l'association UFC-Que choisir.

Un écart intenable : Indexés sur le pétrole, les prix du gaz dans les contrats de long terme comme ceux que GDF a conclus avec ses fournisseurs sont déconnectés du marché au jour le jour, orienté à la baisse par la découverte de nouveaux gisements. Mais des renégociations sont en cours...


Les Etats-Unis ont un siècle de réserves devant eux

En pratique, une telle augmentation semble impensable au moment où le monde gazier est en pleine révolution. La chute des prix sur les marchés au comptant ne fait qu'illustrer la vieille loi de l'offre et de la demande : il y a aujourd'hui trop de gaz à vendre sur la planète. "Le marché est globalement excédentaire de près de 100 milliards de mètres cubes, presque le double de la consommation annuelle de la France", observe Michel Romieu, président d'Uprigaz, une association de distributeurs. Un déséquilibre qui est né dans les grandes étendues désertiques du Texas, du Colorado et du Wyoming, aux Etats-Unis. Là-bas, en l'espace de deux ans, des centaines de petits groupes miniers ont relancé le mythe de la ruée vers l'or. Le déclencheur ? Une innovation technologique : le forage horizontal, qui permet de faire éclater certaines roches de surface afin de libérer le gaz qui y est emprisonné. "Les géologues connaissaient depuis des lustres l'existence de ces gisements, mais les techniques n'étaient pas au point. Avec le forage horizontal, les coûts de production ont chuté, rendant l'exploitation de ces mines très rentable", explique Guy Maisonnier, de l'Institut français du pétrole.

Résultat : la production de gaz américaine s'est envolée et les Etats-Unis seraient assis sur plus d'un siècle de réserves. "Le changement de décor est radical, reconnaît Anne-Sophie Corbeau, spécialiste du gaz à l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Il y a encore deux ans, nous pensions qu'à l'horizon d'une décennie les Etats-Unis allaient devenir de très gros importateurs de gaz, alors qu'ils seront probablement autonomes." Une erreur de jugement lourde de conséquences. Car, au même moment, au Qatar, en Libye ou encore en Algérie, de gigantesques installations de liquéfaction du gaz, programmées il y a quelques années pour servir un jour le marché américain, sont sorties de terre. Sur la seule année 2009, les nouvelles capacités de liquéfaction au niveau mondial ont progressé de 60 milliards de mètres cubes. Mais les portes du marché américain se sont fermées, et des méthaniers remplis à ras bord de gaz naturel liquéfié (GNL) se sont mis à sillonner les mers pour trouver preneur. Beaucoup d'entre eux ont jeté l'ancre dans les ports européens, entraînant la chute des prix. "Le pouvoir sur l'échiquier mondial du gaz est en train de changer de main.

"Pourquoi croyez-vous qu'il n'y a pas eu de conflit entre la Russie et l'Ukraine cette année ?" ironise Philippe Chalmin, directeur du Cyclope, la bible des matières premières.

Gazprom aurait levé le tabou de l'indexation sur le pétrole

Avec cette nouvelle donne, les contrats à long terme qui lient tous les distributeurs européens, à l'instar de GDF Suez avec ses fournisseurs, ont du plomb dans l'aile. Il faut dire que l'écart entre les prix moyens du gaz dans ces contrats et les cours au comptant sur les marchés n'a jamais été aussi grand. Du coup, une idée progresse : pourquoi GDF Suez n'achèterait-il pas son gaz directement sur ces marchés ? "Impossible, les contrats à long terme garantissent la sécurité d'approvisionnement des ménages, et on ne joue pas avec ça", rétorque Jean-Marie Dauger, directeur général adjoint de GDF Suez. Pourtant, ces derniers mois, certains distributeurs européens n'auraient même pas acheté les minimaux requis dans ces contrats, préférant compléter leurs achats sur les marchés libres à des prix très bas, laisse entendre l'AIE. Surtout, alors que les rapports de forces se sont inversés, de véritables discussions de marchands de tapis seraient en cours. Au coeur des débats, la suppression des mécanismes d'indexation des prix du gaz sur ceux du pétrole. Une étude confidentielle réalisée par le Cambridge Energy Research Associates début mai révèle que le géant russe Gazprom aurait accepté d'indexer une partie de ses tarifs de fourniture du gaz sur des prix de marché. Une révolution ! GDF Suez en a-t-il profité ? Embarras de la direction : "Nous négocions avec tous nos fournisseurs, les discussions sont tendues, mais elles portent surtout sur une réduction des volumes achetés", concède Jean-Marie Dauger.

Il est toutefois très vraisemblable que le distributeur français soit parvenu à abaisser ses coûts d'approvisionnement, si l'on en croit plusieurs fins connaisseurs du marché du gaz. Dans ce cas, ses clients devraient aussi en bénéficier. "On peut se demander si GDF Suez n'en profite pas pour se refaire des marges sur le dos des consommateurs", s'interroge un ancien membre de la CRE. Le gendarme des marchés de l'énergie serait d'ailleurs en train d'auditer le géant français pour s'assurer de la pertinence de la fameuse équation mathématique qui dicte l'évolution des prix aux particuliers. Histoire de s'assurer que le consommateur n'est pas le dindon de la farce.
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