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La vie en vert, deux fois plus chère pour les pauvres. Par Béatrice Mathieu et Franck Dedieu


mardi 23 février 2010

Nos calculs exclusifs montrent que la facture verte aggrave la fracture sociale. Une inégalité qui risque de freiner la conversion au mode de vie écolo.


Ils appartiennent au club très sélect des "écobarons". Un titre nobiliaire vert réservé à une poignée de milliardaires américains amoureux de la nature. Pour protéger les espaces naturels de l'exploitation commerciale et de la pollution... ils les achètent. Tout simplement. Le plus célèbre de ces néo-aristocrates, Ted Turner, fondateur de CNN, s'est ainsi offert 8 000 kilomètres carrés de plaines dans l'ouest des Etats-Unis. Douglas Tompkins, le créateur de NorthFace, sanctuarise quant à lui des milliers d'hectares au sud du Chili pour la sauvegarde des cerfs.

Alors à quand des écobarons à la française ? Le richissime François Pinault pourrait privatiser les côtes de sa chère Bretagne pour en barrer l'accès aux bétonneurs. Et le roi du luxe Bernard Arnault, faire main basse sur une partie de la forêt corrézienne juste pour défendre les champignons. Caricatural, peut-être, mais pas anecdotique. Car, comme le révèlent les calculs exclusifs de L'Expansion, le passage à l'écologie risque de devenir un signe extérieur de richesse en France.

L'Expansion a comparé les budgets de deux ménages qui ont décidé de vivre totalement en vert. Voici comment leurs dépenses se trouvent affectées.
 

Ménage modeste
Revenu annuel perçu 29 571 euros


_

_

Ménage riche
Revenu annuel perçu 146 627 euros

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_

Poste Budgétaire

Part dans le budget avant le passage au vert

... et après

Perte de revenu

Part dans le budget avant le passage au vert

…et après

Perte de revenu

Alimentation

24,8%

44,6%

19,8%

9,7%

17,4%

7,7%

Logements

31,4%

33,8%

2,4%

18,2%

20,1%

1,9%

Consommation énergie

3,7%

2,8%

-1%

1,5%

1,1%

-0,4%

Transport

15,1%

15,4%

0,3%

12%

0,1%

12%

Loisirs

4%

4,3%

0,1%

9%

9%

0,4%

Taxe carbone (solde après restitution)

-0,1%

-0,2%

-0,1%

0,1%

0,04%

0,0%

Surcoût de la vie en vert

 

 

  21,7 %

 

 

9,7%

 

Sur le seul plan des revenus, la vie en vert coûte déjà deux fois plus cher aux foyers modestes qu'aux ménages aisés. "Et l'Etat se charge d'aggraver encore les écarts avec une politique environnementale qui n'a pas du tout intégré la question sociale, au risque d'accentuer l'hostilité des plus modestes aux discours moralistes sur le climat, et donc de devenir inefficace", s'inquiète Pierre Radanne, fondateur de la société spécialisée en économie d'énergie Facteur 4. Cas d'école de la contradiction "écologie versus équité sociale" : l'affaire de la taxe carbone. Même si le Conseil constitutionnel a sommé le gouvernement de revoir sa copie, la donne sera sans doute peu différente pour les ménages. Certes, le mode de vie des cadres sup est plus émetteur de gaz à effet de serre que celui des ouvriers. Mais, en proportion de leurs ressources, les classes populaires seront les plus touchées par la future taxation verte. Tout simplement parce que le poids du transport et du logement dans leur consommation totale est nettement plus lourd. Le gouvernement, qui a pourtant promis qu'il n'y aurait aucun laissé-pour-compte de la chasse au carbone, n'a pas prévu de revenir sur le mode de compensation. Le fameux chèque vert restera forfaitaire, indépendant du revenu, et fluctuant uniquement en fonction de la localisation géographique et de la composition du foyer.

Les mieux lotis seront sans conteste les ménages urbains de centre-ville sans voiture. Au contraire, les ruraux, éloignés de leur lieu de travail et sans transports en commun proches, seront clairement perdants. Philippe Martin, député du Gers, récemment nommé secrétaire général adjoint à l'environnement au Parti socialiste, a déjà fait le test : pour une bonne partie des foyers du département le plus rural de France - un des plus pauvres aussi -, le chèque vert ne compensera pas la taxe. Avec une consommation moyenne de 2 500 litres de fioul domestique par an et de 24 000 litres de gazole, une famille avec deux enfants habitant ce pays de cocagne devra débourser la première année 225 euros de taxe carbone pour une restitution de 142 euros. Compte tenu des prévisions d'augmentation des prix du CO2 de 6 % par an, l'addition deviendra vite indigeste.

Un autre impôt, tout aussi antisocial, devrait tomber sur la tête des Français dès 2014, selon le calendrier des accords du Grenelle de l'environnement : une taxe poubelle calculée en tout ou en partie sur les volumes ou sur le poids pour inciter à produire moins de déchets. Tout nouveau, tout propre. Mais terriblement injuste. En effet, les ménages paient aujourd'hui une taxe d'enlèvement des ordures assise sur la valeur du foncier. Plus le logement que l'on habite est cossu, plus on paie. Mais demain, avec l'impôt sur la taille des sacs-poubelle, les collectivités locales prélèveront en partie leur dîme sur les gros conteneurs et non plus sur les gros patrimoines. Depuis quelques années, une vingtaine de communautés de communes tentent l'expérience de cette "tarification incitative" et aligne un bilan social contrasté : "Pour une famille logée dans une maison modeste, il faut compter un surcoût de 25 à 50 %", calcule Alain Etourneaud, maire d'Empuré. Sa petite bourgade charentaise et tout le canton de Villefragnan viennent d'ailleurs de revenir à la bonne vieille taxe des ordures ménagères adossée à l'impôt foncier. Toujours à l'ouest, à quelques kilomètres d'Angers, Guy Boudand, directeur de la communauté de communes Loire et Sarthe, poursuit son expérience de taxe sur le volume des poubelles, mais admet bien volontiers qu'"un foyer modeste peut voir sa note augmenter de 30 %. La tarification tient compte de la taille de la famille, pas de ses revenus. Le bilan écologique, en revanche, reste très encourageant : grâce notamment au compostage, le tonnage d'ordure ménagère a baissé de 46 %."

Dans l'épais dossier du Grenelle de l'environnement, bien d'autres chapitres opposent équité sociale et efficacité écologique. Un des plus lourds concerne le Bâtiment basse consommation (BBC), une nouvelle norme de construction. A partir de 2013, tous les logements qui sortiront de terre devront afficher des performances énergétiques trois à quatre fois supérieures à celles des bâtiments anciens. L'objectif est louable puisqu'il s'agit de limiter la consommation d'énergie et d'alléger du même coup les factures de chauffage des particuliers. Sauf que, à court terme, la mise aux normes vertes va surtout fortement renchérir les prix des logements neufs. "Le saut technologique nécessaire alourdira les coûts de construction de 10 à 20 %", assure Marc Pigeon, président de la Fédération des promoteurs-constructeurs. Un tel surcoût rendrait l'accession à la propriété impossible pour presque 30 % des Français. Dans le logement social, certains bailleurs qui ont anticipé la loi présentent l'addition : une augmentation des loyers de 6 % pour les heureux habitants d'une HLM verte. "Les aides au logement ne suivent pas cette hausse et l'allégement de la facture d'énergie ne compense pas le surcoût", s'enflamme Daniel Aubert, directeur général de l'Union sociale pour l'habitat. Une situation totalement schizophrène. "Les familles les plus modestes, celles qui ont le plus besoin de faire des économies d'énergie, seront aussi celles qui n'auront pas les moyens de vivre dans un logement écolo", déplore Bruno Corinti, directeur du pôle logement de Nexity.

Pour l'automobile comme pour le logement, l'obstacle le plus difficile à surmonter sur le chemin de l'éden vert est sans conteste le surcoût de l'investissement initial. "Les voitures propres exigent au départ un important sacrifice financier même si, sur le long terme, elles font économiser de l'argent à leur propriétaire", explique Christian de Perthuis, professeur à l'université Paris-Dauphine. Le coup de pouce de l'Etat ne change guère la donne : le bonus écologique de 2 000 euros pour l'acquisition, par exemple, d'une Toyota hybride (Prius II) équivaut à une prime de 8 % seulement pour un investissement de 26 000 euros. Moins chère, la Ford Focus Econotic Diesel fait économiser 8 euros de gazole pour chaque millier de kilomètres parcourus par rapport au modèle classique, mais coûte 400 euros de plus (bonus compris). Le système inflige ainsi une sorte de double, voire de triple peine aux ménages au budget ultraserré : pas de bonus à l'achat, pas d'économie à l'usage, et l'agacement de voir son voisin plus aisé "s'offrir" une rédemption écologique, avec la bénédiction des pouvoirs publics. "Le gouvernement avait un temps pensé à étendre cette logique du bonus-malus à l'électroménager, mais a dû y renoncer car elle n'aurait profité qu'aux riches", poursuit Géraud Guibert, porte-parole du pôle écologique du PS. Le risque existait d'établir par la loi une société de consommation à deux vitesses : d'un côté des ménages équipés en vert du garage à la cuisine, de l'autre, des foyers contraints de conserver leurs épaves énergétiques... finalement très coûteuses.

Tout aussi pernicieux, le système des incitations fiscales écologiques. Pour installer une pompe à chaleur, recouvrir son toit de panneaux photovoltaïques ou planter des éoliennes dans son jardin, les crédits d'impôts sont particulièrement généreux. Comme les collectivités locales apportent aussi leur obole, un tel équipement peut être rentable en six ou sept ans seulement. Mais, là encore, il faut pouvoir débourser les 15 000 à 20 000 euros de départ ! "C'est vrai, le ticket d'entrée reste le noeud du problème. Pour le défaire, le gouvernement multiplie les initiatives : mise en place d'un écoprêt à taux zéro, de prêts bonifiés pour la rénovation des logements sociaux et d'aides en partenariat avec les régions", se défend Chantal Jouanno, la secrétaire d'Etat à l'Ecologie.

Elitistes avec la carotte fiscale, les politiques écologiques sont aussi inégalitaires avec le bâton. La bonne idée de faire payer les automobilistes à l'entrée des villes en fournit un parfait exemple. "Le péage urbain est une excellente mesure sur le plan écologique, mais un désastre économique", résume Rémy Prudhommes, économiste à l'université Paris XIII. A Londres et à Stockholm, où des cordons financiers ont été érigés pour limiter les bouchons, le bilan est mitigé. Toujours la même faille : la pollution diminue... au détriment du confort de vie des banlieusards. Dans la capitale britannique, la recette du péage, censée financer des investissements dans les transports publics, est pratiquement mangée par les coûts d'exploitation du système. Surtout, les entreprises pour lesquelles une adresse au coeur de Londres n'était pas prioritaire se sont délocalisées dans les quartiers d'affaires en grande banlieue, allongeant du même coup les trajets de leurs salariés.

Ultime paradoxe de la croisade verte, celui des milliers d'emplois créés par la croissance des secteurs propres. "Dans les filières du bâtiment, des transports et des énergies renouvelables, 600 000 nouveaux postes verront le jour d'ici dix ans", s'emballe Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée des Technologies vertes. Miraculeux sur le papier, plus compliqué en pratique.

D'abord, le passage au vert s'accompagnera de volumineuses charrettes dans l'industrie. Selon une étude du CNRS, l'Ile-de-France pourrait perdre 20 000 postes essentiellement sur les chaînes des constructeurs automobiles et sur les sites des raffineries. "Les créations d'environ 180 000 emplois compenseront largement ces pertes", rétorque le député vert européen Pascal Canfin, commanditaire de l'étude. Certes, le solde vert est positif mais, là encore, il faut se méfier des chiffres. Les reconversions à grande échelle prennent toujours du temps (cinq ans dans l'automobile) et coûtent cher pour garantir des revenus décents aux salariés "recyclés". Et puis, même dans un monde décarboné, le monde des employeurs ne se transformera pas en pays des Bisounours. "Ces nouveaux emplois présentent des inconvénients, et les pouvoirs publics ne semblent pas s'en soucier. Dans le secteur de l'audit énergétique, les écojobs ne bénéficient pas des mêmes statuts que les salariés des grands groupes énergétiques, sans parler du niveau de rémunérations", s'inquiète Sophie du Pressoir, de la Fédération internationale syndicale des services publics. Des salaires plus bas pour une vie plus chère... plus proches pour l'instant de l'enfer rouge que du paradis vert.
1 commentaire(s)
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Commentaire par Micheline Job
mercredi 24 février 2010 09:37
Il faudrait reconnaitre que c'est un luxe de vivre à la campagne et pour l'instant c'est la collectivité qui finance. Pourquoi faudrait-il faire supporter au citadin ce surcoût puisque lui habite en ville ?
C'est à mon avis une erreur d'avoir encourager tous ces lotissements autour des petits villages : gaspillage d'espaces, gaspillages de ressources, gaspillages d'énergie.
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