Par Thomas Porcher
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Thomas Porcher est docteur en économie, Professeur à l'ESG Management School et fondateur de GBP-conseil. Il est l'auteur du livre "Un baril de pétrole contre 100 mensonges" - Ed...
Bénéfices des pétroliers : trois controverses
Par Thomas Porcher
jeudi 23 février 2012
Profits, répercussion du cours du pétrole sur les prix de l'essence, avenir du raffinage : les compagnies pétrolières sont souvent mises en cause. Retour sur trois dossiers sensibles.
1ère controverse : les profits des compagnies pétrolières sont tirés par la hausse des prix du pétrole plutôt que par l'augmentation de la production.
Depuis 2004, les bénéfices des compagnies pétrolières sont en forte croissance. Pour beaucoup d'industries, les augmentations de bénéfices d'une année sur l'autre résultent d'une amélioration de la productivité, entraînant une baisse des prix et une augmentation des quantités vendues. Ce n'est pas le cas pour l'industrie pétrolière.
Les milliards d'euros de bénéfices sont d'abord la conséquence des effets prix dues à l'augmentation des prix du pétrole. Un effet prix, c'est lorsqu'une entreprise vend la même quantité de bien mais à un prix plus élevé. Dans beaucoup d'industries, c'est le producteur qui décide d'augmenter le prix de ces produits, tout en prenant le risque de voir la demande baisser. Dans l'industrie pétrolière, ce ne sont pas les compagnies qui déterminent les prix mais la confrontation mondiale de l'offre et de la demande de pétrole et la spéculation. Elles sont donc « price taker », c'est-à-dire qu'elles reçoivent le prix sans pouvoir exercer individuellement de pouvoir sur le marché.
Concernant la demande de pétrole en fonction des prix, elle est inélastique c'est-à-dire que la hausse des prix n'entraîne pas une baisse de la demande. Ces dernières années, la demande a même augmenté corrélativement au prix. Cette particularité de l'industrie pétrolière a permis aux compagnies de bénéficier plein pot de l'augmentation des prix du pétrole depuis 2004. D'ailleurs cette année, les effets-prix ont fonctionné à plein régime puisque les compagnies pétrolières ont affiché des profits en hausse alors que leur production recule. Par exemple, Shell a un bénéfice qui a augmenté de 54% avec une production qui a diminué de 3%, BP a une hausse du bénéfice de 25% avec une production qui a diminué de 10% et Total a son bénéfice qui a grimpé de 16% malgré une baisse de 1% de sa production.
2ème controverse : les compagnies pétrolières ne répercutent pas équitablement à la pompe les mouvements des prix du pétrole.
Cette année, deux rapports ont accusé les pétroliers de ne pas répercuter équitablement à la pompe les variations du prix du pétrole.
Un premier rapport de la DGCCRF, présenté le 27 mai 2011, montrait que « la marge brut de transport-distribution des différents intervenants n'[était] pas demeurée stable comme cela aurait été théoriquement le cas si la répercussion des prix du brut avait été parfaite et instantanée » mais, qu'entre le 2 et le 15 mai, elle avait augmenté de 3,9 cts euros/litre pour le SP95 et 2,6 cts pour le Gazole alors que le prix du pétrole perdait 8,5%.
Le 8 juillet 2011, une autre étude, menée par quatre économistes de l'ESG Research Lab a analysé la trajectoire des prix de l'essence et des prix du pétrole brut sur 20 ans afin de montrer comment les évolutions du prix du pétrole se sont traduites à la pompe. Leurs conclusions rejoignent celles de la DGCCRF et précisent que les prix des carburants s'ajustent aussi bien à la hausse qu'à la baisse mais que l'ajustement est plus faible dans le cas d'une baisse du prix du brut. Ainsi, l'étude estime qu'une hausse de 1% du prix du brut en euro implique une hausse immédiate de 0,12% du gazole et de 0,08% du SP95, alors qu'une baisse de 1% implique une baisse immédiate de 0,07% du Gazole et de 0,05% du SP95, ce qui confirme une asymétrie dans la réponse des prix du carburant à l'évolution du prix du Brent. Il en résulte une perte de pouvoir d'achat pour les consommateurs et un gain pour les compagnies pétrolières.
D'autres recherches aboutissent aux mêmes conclusions, notamment une étude de l'INSEE en 2002. Court ou long terme, les deux rapports arrivaient aux mêmes résultats : les pétroliers profitent des mouvements sur les prix du brut pour faire des marges supplémentaires sur le dos des consommateurs.
3ème controverse : les compagnies pétrolières maintiennent le secteur du raffinage en sous-investissement
Les pertes du secteur du raffinage s'expliquent par les importantes surcapacités de production. D'un côté, les raffineries françaises produisent un surplus de produits pétroliers et de l'autre, on assiste à une baisse de la demande structurelle notamment à cause de la production de véhicules plus légers et donc moins gourmands en carburant. A cela, s'ajoute la crise actuelle qui compresse un peu plus la demande.
Mais le problème est plus complexe qu'il n'y parait : il provient avant tout de l'inadaptation de l'outil de travail des raffineries à la demande française. Les derniers investissements dans les unités de production datent des années 1980-90 et servaient à produire de l'essence. Or depuis 1994, la demande française en gazole ne cesse de croître, alors que la demande en essence connait une forte diminution. Actuellement, la demande de gazole représente 80% de la demande de carburant et la France se trouve obligée d'exporter sa production qu'elle n'arrive pas à écouler sur le territoire et d'importer du gazole de l'étranger.
Etrange situation où le secteur du raffinage français, destiné à assurer la sécurité de l'approvisionnement, a une production inadaptée à la demande intérieure. La cause de cette situation ridicule trouve son origine dans le manque d'investissement pour changer la structure de la production des raffineries françaises. Les bénéfices record des compagnies, grâce aux « effet-prix », ont davantage été destinés à créer des raffineries proches des zones d'extraction qu'à adapter celles de France. Total a ainsi investi en Arabie Saoudite dans la raffinerie de Jubail, qui permet de produire à coût faible en raison de la proximité avec les gisements, mais qui est surtout dotée d'un système moderne permettant d'adapter le ratio gazole/essence souhaité. Une technologie qui serait d'une grande utilité dans notre pays...
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