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Né en décembre 1942, ingénieur physicien de formation, Bertrand Barré est ancien conseiller scientifique d'AREVA voir son blog) Entré en 1967 au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA),...

Three Mile Island : un accident pour l'histoire


jeudi 12 février 2009

Comment une suite de petits incidents a conduit au plus gros accident nucléaire des Etats-Unis. Et bloqué durablement le développement du nucléaire outre-Atlantique.


Il est 4 heures du matin, ce 28 mars 1979, quand de petits incidents apparaissent dans le fonctionnement du réacteur nucléaire de Three Mile Island. La centrale est située dans une île au milieu de la rivière Susquehanna, en Pennsylvanie, à 15 km d’Harrisburg, une ville de 60.000 habitants au centre d’une région urbaine d’une population de 500 000.

(photo wikimedia : le Président Carter quittant Three Mile Island le 1/4/79)

La centrale comporte deux tranches de réacteurs à eau pressurisée de 800 et 900 MWe, toutes deux de conception Babcock & Wilcox, pas très différente des ilots nucléaires Westinghouse des réacteurs construits en France à cette époque. La tranche dite TMI1, toujours en fonctionnement en 2009, a été mise en service en 1974 tandis que TMI2 l’a été fin 1978.

Cette nuit là, TMI1 est en fin d’arrêt pour rechargement et TMI2 fonctionne à 97% de sa puissance nominale. Les petits incidents signalés provoquent l’arrêt des pompes qui alimentent en eau les générateurs de vapeur. En soi, cette panne n’a rien de catastrophique et les procédures de sécurité se déclenchent.

Mais abusés par des indications ambigües des instruments de contrôle, les opérateurs de TMI2 interprètent mal ce qui se passe dans le réacteur : alors que, par une vanne de décharge coincée en position ouverte, le réacteur perd son eau, ils pensent, au contraire, que les systèmes de sécurité rajoutent trop d’eau et il les coupent. De ce fait, ils prennent, deux heures durant, des mesures aggravantes qui transforment un incident banal en accident sérieux et conduiset à la destruction d’un tiers du cœur du réacteur.

Ce n’est que 3 heures 20 après le déclenchement de l’accident que l’opérateur rétablira une injection d’eau, permettant de rétablir un certain refroidissement du cœur. Mais le mal était fait.

Les dégâts internes ont été considérables : le tiers du combustible a fondu, et un autre tiers a été endommagé. Plus de 2000 m3 d’ eau radioactive se sont répandus dans l’enceinte par la brèche du circuit primaire et quelques bouffées de gaz rares se sont échappées dans l’atmosphère.

Le cœur fondu est resté à l’intérieur de la cuve du réacteur et l’enceinte de confinement, troisième barrière entre la radioactivité et l’environnement, a tenu son rôle : toute la radioactivité est restée contenue à l’intérieur du bâtiment réacteur.

Néanmoins, l’accident de Three Mile Island a terrorisé l’Amérique. Pendant toute une semaine, on s’est demandé quel était le vrai degré de gravité de l’accident et s’il fallait procéder à une évacuation partielle ou totale des habitants du voisinage. Plus de 200 000 personnes ont fui la région. Et pourtant, cet accident n’a causé aucune victime (bien que la panique ait incité une cinquantaine de femmes du voisinage à avorter) et le seul relâchement de radioactivité dans l’environnement n’a consisté qu’en une émission de gaz rares sans activité biologique.

Il faut dire que les explications embrouillées de l’autorité de sûreté nucléaire NRC n’ont rien fait pour rassurer. Sitôt l’accident connu, la centrale a été sous le feu des média et a subi sans préparation une pression des journalistes sans précédent dans cette industrie. Les informations contradictoires émanant de la presse, du bureau du Gouverneur et de la NRC ont stressé le public.

Contrairement à ce que l’on croît souvent, ce n’est pas l’accident de TMI2 qui a enrayé l’expansion du programme nucléaire américain. Dans la crise économique qui a suivi le premier choc pétrolier, beaucoup d’électriciens américains ont annulé dès 1974 de nombreuses commandes de réacteurs passées dans un contexte plus euphorique, mais Three Mile Island a durablement empêché la reprise. C’est aussi l’accident du TMI2 qui est directement responsable du résultat du referendum, organisé en Suède en 1980, qui décida la fermeture en 2010 du dernier réacteur suédois.

L’accident a été riche d’enseignements : importance de la défense en profondeur, importance du facteur humain, dispositifs d’aide à l’opérateur, hiérarchisation des alarmes, et rôle essentiel, en dernier ressort, de l’enceinte de confinement, barrière ultime entre la radio-activité du cœur et le monde extérieur. Aux Etats-Unis, fut créé l’INPO, institut de formation des opérateurs et au niveau mondial le WANO, association où les opérateurs du monde entier peuvent partager leur retour d’expérience.

Tous les réacteurs du monde ont profité des enseignements tirés de l’accident de TMI2. On a pu estimer que la prise en compte de ces leçons a réduit d’un facteur 10 le risque de fusion de coeur dans les réacteurs occidentaux « de deuxième génération ».

Et on a d’autre appris qu’il ne suffisait pas de gérer l’accident « techniquement », mais qu’il fallait être prêt à en gérer la communication. Parmi les leçons de l’accident de Three Mile Island, il faut ajouter les cellules de crise, les exercices de crise (avec journalistes, vrais ou simulés) et le début de la réflexion qui devait aboutir en 1987 à l’échelle médiatique de gravité, devenue échelle INES en 1991.

Pour en savoir plus :

L’accident de TMI est l’un des plus documentés du monde. Nous conseillons surtout l’ouvrage suivant, dont cette fiche est fortement inspirée :
La sûreté nucléaire en France et dans le monde.
J Bourgeois, P Tanguy, F Cogné et J Petit. Polytechnica 1996
Et, en anglais, le fameux rapport Kemeny :   
President's Commission : the need for change - the legacy of TMI
 

Le site de Bertrand Barré
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