Par Francis Sorin
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Francis Sorin, journaliste scientifique, est membre honoraire du Haut Comité pour la Transparence et l'Information sur la Sécurité Nucléaire et ancien responsable du Pôle Information de la Société Française...
Nucléaire : la recherche avance sur les réacteurs de 4ème génération
Par Francis Sorin
- Journaliste
mercredi 30 avril 2014
L'Autorité de sûreté nucléaire a donné son aval à la poursuite des recherches sur les réacteurs nucléaires à neutrons rapides. Ce n'est qu'une étape, mais elle pèse dans le débat sur l'avenir du nucléaire.
En validant les grandes options techniques du réacteur prototype ASTRID proposées par le CEA et en donnant son feu vert, à la mi-avril, à la poursuite du projet, l'Autorité de Sûreté Nucléaire a clairement avalisé les nouvelles avancées de la recherche française dans la voie des réacteurs à neutrons rapides.
Cet avis positif de l'ASN n'est certes qu'une étape se situant en amont des autres procédures réglementaires - validation des options de sûreté ; autorisation de création - prévues pour les installations nucléaires de base. Mais il est un viatique précieux et un encouragement pour les équipes qui, depuis plusieurs années, travaillent à la conception de ce réacteur de quatrième génération qui pourrait bouleverser les paramètres actuels de la production nucléaire et conférer à cette énergie une formidable durabilité.
ASTRID, un réacteur qui produira son propre combustible
D'une puissance de 600 MWe, le réacteur ASTRID (pour Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) devrait être construit sur le site de Marcoule et entrer en exploitation au début des années 2020. Le projet bénéficie d'un financement de plusieurs centaines de millions d'Euros pour la période 2010-2017 dans le cadre du grand emprunt national et met en jeu des collaborations entre le CEA et plusieurs partenaires français (dont Alstom) et étrangers (1).
ASTRID est un des grands projets étudiés dans le cadre de ce que l'on appelle, sur le plan mondial, les réacteurs de quatrième génération, machines révolutionnaires susceptibles d'être industriellement développées à compter des années 2040. C'est un réacteur dit « à neutrons rapides » qui possède une propriété remarquable : pouvoir produire son propre combustible dans le cours même de son fonctionnement. On le qualifie ainsi de réacteur surgénérateur.
Avec ce type de réacteur au rendement exceptionnel, la durabilité des réserves mondiales d'uranium aujourd'hui identifiées change d'échelle : elle s'évalue non plus en dizaines d'années mais en millénaires ! En d'autres termes, avec la filière surgénératrice, le nucléaire entre dans la catégorie des énergies durables. Le processus à l'origine de cette propriété est depuis longtemps connu et expérimenté : alors que dans la filière nucléaire traditionnelle seul l'isotope fissile de l'uranium (U 235) soit 0,7% seulement de l'uranium naturel est utilisé pour produire l'énergie, c'est la totalité de l'uranium naturel qui, dans la filière surgénératrice, concourt à cette production.(...) Cela veut dire qu'avec la même quantité d'uranium, le réacteur surgénérateur produit soixante fois plus d'électricité. En France, les réserves d'uranium appauvri accumulées à ce jour (2) permettraient, utilisées dans des surgénérateurs, de garantir la production d'électricité du pays durant 5000 ans.
Outre cette exceptionnelle propriété, les réacteurs à neutrons rapides (RNR) offrent deux autres possibilités essentielles :
- le recyclage et le « brûlage » progressif du plutonium produit dans les centrales nucléaires classiques ou celui provenant des engins militaires devant être démantelés ;
- la transformation de la plupart déchets radioactifs à vie longue (actinides mineurs) par transmutation en éléments à vie courte (une opération irréalisable dans les réacteurs traditionnels), ce qui serait un pas décisif dans la résolution du problème des déchets. On peut aussi estimer que cette filière de réacteurs pourra agir dans le sens d'une résistance à la prolifération car ils font disparaître la nécessité d'enrichir l'uranium et consomment eux-mêmes le plutonium qu'ils produisent.
L'expérience française
Si l'on range par convention les réacteurs à neutrons rapides parmi les "réacteurs du futur", il faut rappeler que plusieurs de ces réacteurs fonctionnent ou ont déjà fonctionné dans le monde, en Russie, au Japon, en Chine, en France. Cette technique est donc largement connue et expérimentée. La France a été pionnière dans ce domaine avec notamment l'exploitation des réacteurs Phénix (à Marcoule) et Superphénix (à Creys Malville).
Le premier a été mis hors service en 2009 après 35 années de fonctionnement. Le second, de très grande puissance (1 200 MWe) a connu un sort plus mouvementé. Durant ses onze années d'existence, de 1986 à 1996, il a connu deux problèmes techniques nécessitant des réaménagements qui l'ont immobilisé pendant deux ans. Sur les neuf ans restants où le réacteur aurait pu fonctionner il a dû attendre pendant une durée cumulée de quatre ans et demi de nouvelles autorisations administratives de redémarrage. Restent quatre ans et demi durant lesquels il a fonctionné dans des conditions de sûreté et de disponibilité pleinement satisfaisantes, accumulant une connaissance technique non négligeable des possibilités de la filière. Il a ensuite été fermé à l'initiative de Dominique Voynet, alors ministre de l'Environnement du gouvernement de Lionel Jospin. On peut d'autant plus regretter cette fermeture prématurée, sans véritable justification, que la poursuite de son exploitation aurait probablement permis des progrès encore plus rapides dans la maîtrise d'une filière prometteuse.
(1) Airbus Defence and Space, Alcen, AREVA, Alstom, Bouygues, EDF, Comex Nucléaire ou encore Jacobs, Rolls-Royce et Toshiba. La R&D fait elle aussi appel à des partenaires internationaux : américains, russes, chinois, indiens, japonais et européens.
(2) Uranium appauvri résultant des opérations d'enrichissement et de retraitement
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[Réponse de l'auteur]
Vraiment pénibles ces tirades bisounours à mille lieux des réalités et qui ne font qu'enfumer les gogos ! Si c'était si facile avec le solaire, ça se saurait et il y a longtemps que le monde entier serait équipé ! Voyez ce que vient de déclarer Sigmar Gabriel, vice-chancelier d'Allemagne et patron du SPD, apôtre de la transition énergétique fondée sur la sortie du nucléaire et sur le développement du solaire et de l'éolien. Il dit que cette politique énergétique est en train d'échouer car ils n'ont pas mesuré la complexité du problème. Et il ajoute que la vision de petites unités énergétiques décentralisées fonctionnant au solaire et à l'éolien est une "folie". Vous pouvez aller vérifier ses déclarations. Je ne nie pas l'apport du solaire, mais compte tenu de l'intermittence, de la très faible concentration de puissance et des coûts très élevés il restera longtemps marginal. Et revenant sur le nucléaire en France vous vous interrogez : "...et au bout du compte quoi?..." Eh bien au bout du compte un nucléaire qui depuis 50 ans fonctionne sans problème, sans polluer, sans déverser de CO2 à l'atmosphère ,fournissant une des électricités les moins chères d'Europe et constituant un des postes bénéficiaires les plus importants de notre balance commerciale avec environ 7 milliards d'exportations en moyenne chaque année. Bref, un atout précieux pour un pays qui ne possède dans son sous-sol aucune réserve significative de pétrole, de charbon ou de gaz.
[Réponse de l'auteur]
Merci de m'avoir annobli en rajoutant une particule et un autre nom (je ne sais pas d'où vous le sortez... ) à mon patronyme ! Et merci de noter que le processus de production d'un réacteur à neutrons rapides, dit aussi surgénérateur (mais il peut être également sous-générateur) est bien connu et a été largement expérimenté : chez nous avec Phénix qui a très correctement fonctionné pendant plus de 30 ans et Superphénix qui a fort bien fonctionné lui aussi quand les décideurs politiques lui en laissaient le loisir. Les programmes entrepris en concertation au niveau mondial visent à la mise au point d'une machine très largement optimisée par rapport aux réacteurs conçus, ne l'oublions pas, dans les années 1960/1970. La France est en pointe dans ce programme avec ASTRID. L'intérêt de ces réacteurs (comme je le dis dans l'article) est qu'ils peuvent utiliser comme combustible la totalité de l'uranium et non plus seulement 0,7% de celui-ci. Cela permettrait de produire des quantités massives d'électricité pendant des milliers d'années. Il est tout à fait pertinent d'explorer cette voie alors que les perspectives énergétiques mondiales avec l'épuisement à court terme (1 siècle ou un peu plus) des combustibles fossiles sont préoccupantes. Gardons en tête qu'il y aura plus de 9 milliards d'individus sur la planète en 2050 (contre 7 milliards aujourd'hui) et que, même si les Verts branchés se mettent au vélib, la demande d'électricité va connaitre une progression exponentielle au plan mondial pour améliorer les conditions de vie dans les pays pauvres en y assurant les besoins fondamentaux ( chaine sanitaire, conservation des aliments, accès aux technologies de l'information et de la communication...)
[Réponse de l'auteur]
Merci pour cette appréciation positive. ...Et d'accord avec vous pour dire qu'il faudrait valoriser davantage le travail de nos ingénieurs. Les Français ne s'en rendent pas compte mais cela a été un véritable exploit scientifique et technique de créer en moins de 25 ans une industrie complète du nucléaire couvrant TOUTES les opérations de la filière et au top niveau dans chacun de ces domaines. Dès que l'on passe les frontières pour aller dans des colloques, séminaires ou RV de travail les collègues des autres pays ne cachent pas l'estime voire l'admiration qu'ils ont pour le secteur nucléaire français qui a une véritable réputation d'excellence et fait figure de référence. Rien de tel chez nous, où l'on semble avoir le nucléaire honteux et où beaucoup de nos compatriotes ont tendance à ériger l'auto-flagellation en sport national ! C'est navrant. On préfèrerait une attitude plus positive à l'égard d'un des rares secteurs de haute technologie où la France fait la course en tête sur le plan mondial !
[Réponse de l'auteur]
SolarHome, arrêtez de tomber en pamoison devant l'énergie solaire que vous avez tendance à diviniser ! Cette énergie a ses mérites (et j'en suis partisan) mais elle a aussi ses limites : coûts, faible concentration de puissance, intermittence et variabilité de rendement. Regardez ce qui se passe en Allemagne: ils décident de sortir du nucléaire (et ferment immédiatement 8 réacteurs nucléaires, ) et de bâtir leur "tournant énergétique" ( Energiewiende) en développant encore plus fortement le solaire et l'éolien. En deux ans cette politique a tourné au fiasco complet et les Allemands, qui sont des gens pragmatiques, le reconnaissent très franchement : les coûts de l'électricité ont bondi vers des sommets vertigineux (le double de chez nous ! ); les émissions de CO2 ont grimpé de 2,9% entre fin 2011 et fin 2013(car vu l'intermittence du solaire et de l'éolien qui ne fonctionnent au mieux que 25% du temps ils ont dû recourir davantage au charbon et au gaz) ; la gestion du réseau électrique a tourné au cauchemar technique et économique en raison des variations brutales des fournitures solaires et éoliennes obligeant à des ajustements permanents. Le grand penseur et promoteur de ce tournant énergétique, Sigmar Gabriel, patron du SPD et aujourd'hui vice-chancelier chargé de l'énergie vient de déclarer lui-même que cette politique était un échec. L'expérience allemande est à méditer. Elle ne condamne pas le solaire et l'éolien mais elle montre qu'en l'état actuel des technologies ces énergies ne peuvent pas constituer la base d'un système de production d'électricité mais juste un complément. D'où l'intérêt, pour un certain temps encore, des autres énergies décarbonées qui marchent en continu et produisent massivement : l'hydraulique et le nucléaire.
[Réponse de l'auteur]
Non je ne confond pas les 2 Allemagne(s). Oui, je confirme les qualificatifs que j'attribue à la transition énergétique à l'allemande (TEA). Celui qui m'a soufflé ces qualificatifs n'est autre que M.Sigmar Gabriel, patron du SPD, vice-chancelier, ministre du gouvernement Merkel en charge de l'Economie et de l'Energie et grand inspirateur et promoteur de la TEA. Il a déclaré devant les syndicats et la presse, le 16 avril: " le plan consistant à avoir 80% de renouvelables en 2050 est sur le point d'échouer..".La vérité est que sous tous les aspects nous avons sous-estimé la complexité de cette transition énergétique... " " La noble aspiration d'un approvisionnement énergétique décentralisé et autonome apparait comme une pure folie". Texto ! Chapeau à ce responsable politique qui admet aussi franchement s'être trompé. Selon la presse, il l'a fait sous le coup de la colère car il en a assez d'être soumis en permanence à la formidable pression des lobbies des renouvelables qui réclament toujours plus de subventions. Sigmar en a marre car il voit où cela mène : doublement du prix de l'électricité; augmentation de la pollution en CO2; et aussi: avec une part cumulée de 13% de la production totale d'électricité la contribution des renouvelables est peu fiable, erratique et met massivement en péril la stabilité du réseau électrique. Conclusion : les Allemands sont en train de modifier leur TEA et de repenser le rôle des renouvelables qu'ils avaient trop tendance à diviniser...comme vous, SolarHome... Beaucoup doivent commencer à regretter (mais ils n'osent pas trop le dire) d'avoir entrepris la mise au rencart de leur parc nucléaire qui marchait comme une horloge et fournissait sans problème et à la demande une électricité propre et bon marché.