Par Francis Sorin
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Francis Sorin, journaliste scientifique, est membre honoraire du Haut Comité pour la Transparence et l'Information sur la Sécurité Nucléaire et ancien responsable du Pôle Information de la Société Française...
Climat : les contradictions de Manuel Valls
Par Francis Sorin
- Journaliste
lundi 14 avril 2014
Le nouveau Premier ministre prône une "stratégie bas-carbone". Très bien, mais pourquoi alors vouloir réduire la part du nucléaire ?
Nous répondrons au défi climatique « en nous dotant d'une véritable stratégie bas-carbone?» a déclaré Manuel Valls lors de son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale le 8 avril dernier.
Le Premier ministre a ajouté, dans cette même intervention, que «l'engagement du président de la République de passer à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2025 sera tenu».
La mise en oeuvre conjuguée de ces deux orientations, présentées comme des axes majeurs de la transition énergétique, est porteuse à nos yeux d'une évidente contradiction et appelle deux remarques.
La France a déjà une faible empreinte carbone
Il est certes pertinent de développer les efforts pour diminuer encore nos rejets de CO2, et ainsi donner corps à cette « stratégie bas - carbone » prônée par le Premier ministre. Mais il est important de rappeler aussi que cette stratégie est depuis longtemps largement amorcée en France, grâce au programme nucléaire, et qu'elle débouche sur des résultats convaincants : notre pays est en effet, parmi tous les grands pays industrialisés, un de ceux (avec la Suède) dont l'empreinte -carbone est la plus faible. Ainsi, par exemple, les émissions annuelles de CO2 par habitant sont de l'ordre de 5,5 tonnes en France, contre 9,3 tonnes en Allemagne, 7,5 tonnes en moyenne européenne et 10,4 tonnes pour l'ensemble des pays développés.
La France est donc d'ores et déjà un pays en pointe dans la lutte pour la préservation du climat. (...) C'est pourquoi l'enjeu primordial pour la France n'est pas tant de continuer de s'appliquer à elle-même cette stratégie bas-carbone aux résultats positifs que de convaincre « les autres » - partenaires européens et mondiaux - de s'engager plus résolument dans cette voie. C'est bien là le sens qu'elle devra donner à son rôle d'organisateur et d'animateur de COP21, la grande conférence mondiale de l'ONU sur le climat qui se tiendra à Paris en décembre 2015.
Plus de renouvelables = plus d'émissions
Puisque la stratégie bas-carbone doit être un axe de la politique énergétique du gouvernement, l'objectif réaffirmé par Manuel Valls de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique français apparaît contradictoire avec cette orientation. Car ce qui fait de la France un des pays développés les moins polluants en CO2 est son système électrique, fondé pour les trois-quarts sur le nucléaire. Rappelons que la caractéristique écologique majeure de cette énergie est de ne pas rejeter de CO2 dans son processus de production. Ainsi, par comparaison avec une centrale de 1 000 mégawatts au charbon ou au gaz une centrale nucléaire de même puissance évite annuellement le rejet à l'atmosphère d'environ 6,5 et 3,5 millions de tonnes de CO2.
Dès lors, il est évident que faire passer de 75% à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique national- comme s'y sont engagés François Hollande et maintenant Manuel Valls - ne va pas dans le sens d'une diminution mais d'une augmentation des rejets de CO2 par notre système de production d'électricité. Et il est illusoire de prétendre que le développement programmé des énergies renouvelables éolienne et solaire, appelées à se substituer aux capacités nucléaires supprimées, perpétuera l'absence de rejets carbonés. Ces énergies ne fonctionnent en moyenne que de 20 à 25% du temps et nécessitent pour suppléer cette intermittence le recours à des unités à combustibles fossiles fortement émetteurs de CO2.
L'exemple de l'Allemagne est à cet égard significatif : malgré un fort développement du solaire et de l'éolien, appelé à compenser la baisse de la production nucléaire dont on a décidé l'abandon à terme, les émissions de CO2 ont augmenté de 2,9% entre 2011 et 2013 suite à un recours accru aux combustibles fossiles.
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[Réponse de l'auteur]
Le nucléaire représente environ 6,5% de l'énergie produite dans le monde Par rapport à des centrales à combustibles fossiles, Il permet d'éviter l'émission d'environ 2 milliards de tonnes de CO2 par an (à quantité égale d'électricité produite ). Le GIEC indique que pour écarter la menace du réchauffement climatique il faut diviser par 2 les émissions de carbone soit les réduire d'environ 17 milliards de tonnes / an dans les 25 ans qui viennent. Un nucléaire raisonnablement développé (doublement ou un peu plus) permettrait des économies de CO2 d'environ 4 à 5 Mds tonnes /an.Ce n'est pas toute la solution à l'aggravation de l'effet de serre mais une contribution sérieuse pour le diminuer. C'est cette perspective qu'évoque le GIEC lorsqu'il recommande dans son dernier rapport "un triplement ,voire un quadruplement des énergies bas-carbonne, énergies renouvelables, nucléaire, agrocarburants..." Jamais personne n'a prétendu que le nucléaire pouvait à lui seul maitriser le réchauffement climatique. Il est un outil parmi d'autres, mais un outil loin d'être négligeable. Il ne sert à rien de nier cette évidence.
[Réponse de l'auteur]
Ce ne sont pas les transports automobiles qui sont les premiers responsables de l'effet de serre mais la production d'électricité (environ 30% des rejets mondiaux de CO2 contre environ 18% pour les transports). Le salut climatique passe par un "triplement voire un quadruplement des énergies non carbonées, énergies renouvelables et nucléaire...". Ce n'est pas moi qui le dis mais les experts climat du GIEC. En tant que source de production massive et continue d'électricité décarbonée le nucléaire a un rôle important à tenir dans l'approvisionnement énergétique actuel et futur. D'autant que la planète va passer de 7 à 9 milliards d'individus à l'horizon 2050. Le nucléaire n'est pas toute la solution contre le réchauffement climatique mais une précieuse contribution. Ce n'est pas s'engager dans une "dérive millénariste " que de le dire. Pour certains commentateurs, un peu plus de réalisme et un peu moins d'idéologie seraient un bon programme.