Par Bertrand Barré
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Né en décembre 1942, ingénieur physicien de formation, Bertrand Barré est ancien conseiller scientifique d'AREVA voir son blog) Entré en 1967 au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA),...
Accident nucléaire : Quel coût ? Quelles assurances ?
Par Bertrand Barré
lundi 13 mai 2013
L'IRSN vient de publier des chiffres précis sur le coût d'un accident nucléaire, selon son degré de gravité. Quelles conséquences en matière d'assurances ?
Dans son rapport public thématique de janvier 2012 intitulé "les coûts de la filière électronucléaire", la Cour des Comptes a exorcisé le mythe des "coûts cachés" de l'électricité nucléaire : il y a bel et bien prise en compte des coûts prévisionnels du démantèlement des installations et du stockage des déchets à longue durée de vie, et l'incertitude qui subsiste forcément sur ces coûts futurs n'est pas d'un ordre de grandeur qui mette en cause la compétitivité du nucléaire.
Du coup, la controverse s'est déplacée vers un autre sujet : l'insuffisance de couverture des risques d'accident nucléaire grave constituerait une subvention déguisée abaissant artificiellement le coût réel de production d'un kWh nucléaire. Que peut-on en dire ?
Les conventions de Paris et de Bruxelles, qui datent de années 60 mais ont été plusieurs fois révisées, prévoient trois tranches d'indemnisation: la première tranche est payable par l'exploitant (jusqu'à 91 millions d'euros), la seconde par l'Etat où se trouve le réacteur (110 millions d'euros supplémentaires) et la troisième conjointement par les Etats ayant ratifié les conventions (pour une nouvelle tranche de 144 millions d'euros), soit un total de 345 millions d'euros. Un nouveau protocole, conclu en 2004 mais encore en cours de ratification, portera à 700 millions d'euros la part de l'exploitant.
Aux Etats-Unis, la responsabilité civile nucléaire est fixée par le Price-Anderson Act : Les risques liés à l'exploitation d'installations nucléaire civiles sont garantis par une assurance collective plafonnée à 10 milliards de dollars. Les indemnisations au-delà de ce plafond seraient couvertes par le gouvernement fédéral.
Mais combien risque de coûter un accident nucléaire ?
L'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) vient de publier des chiffres relatifs à deux types d'accident survenant sur un réacteur de 900 MWe implanté sur un site français typique, en tenant compte de 100 conditions météorologiques différentes (actuellement rencontrées au cours de l'année 2010) :
Un accident causant la fusion du cœur, mais avec rejets radioactifs contrôlés (accident grave)
Un accident avec rejets radioactifs massifs (accident majeur).
L'étude IRSN comptabilise 5 catégories de coûts :
Coûts radiologiques sur le site
Coûts radiologiques hors site
Gestion de territoires contaminés
Augmentation des coûts de production électrique (effet parc) (perte de 10 ans de durée de vie du parc)
Coûts "d'image" : pertes d'exportations agroalimentaires et nucléaires, fuite des touristes, etc.
Accident grave :
Coût radiologique minime (20% du total)
Coût total = 6% PIB ou 2-3 ans de croissance
Fourchette de 0 à 10 000 personnes évacuées (médian 3 000)
Choc médiatique, enjeu économique considérable, mais pas de crise radiologique
Accident majeur ,cas très extrême, de très faible probabilité:
De 35 000 à 160 000 personnes évacués selon site et météo (valeur médiane : 100 000). Très peu de conséquences sanitaires dues à la radioactivité, mais...
Effets psychologiques dévastateurs
Gros volumes de déchets agricoles
Gestion de territoires contaminés sur de nombreuses années
Conséquences sur les pays voisins (toute l'Europe de l'ouest)
Coûts "humains = 40% du total, mais pèseront plus dans les décisions politiques...
Coûts d'image > coûts radiologiques (mais grande incertitude)
Coût total = 20% PIB ou plus de 10 années de croissance
Crise sociale et politique à la clé...
Dans les deux cas, les coûts radiologiques proprement dits sont une fraction minoritaire des coûts totaux. Le coût d'un accident majeur, heureusement très peu probable, est du même ordre de grandeur que le coût, certain, de la sortie du nucléaire en Allemagne...
Il est facile de critiquer cette étude : les résultats ont été publiés sans soumission de la méthodologie à une revue par les pairs et des hypothèses importantes ne sont pas explicitées (coût de la vie humaine, taux d'actualisation, valeur des terrains contaminés, etc.). On peut aussi s'interroger sur la compétence de l'IRSN à évaluer les coûts de la perte d'image, poste le plus lourd du bilan. Mais ce rapport a au moins le mérite de faire oublier des chiffres antérieurs beaucoup plus fantaisistes allant jusqu'à plusieurs milliers de milliards d'euros.
Alors quel devrait être le montant des primes d'assurance pour couvrir les risques d'un accident majeur ? Le problème est que l'on ne dispose pas de statistiques sur la fréquence d'un tel accident : il ne s'en est produit que 2 dans le monde (Tchernobyl et Fukushima) depuis que l'on produit de l'électricité nucléaire... On ne fait pas de statistiques sérieuses sur deux occurrences.
Dans le rapport cité plus haut, la Cour des Comptes s'est efforcée d'évaluer le coût du risque pris en charge par l'Etat en cas d'accident nucléaire grave. Sur la base d'un coût de sinistre nucléaire de 70Mds€ (estimation antérieure de l'IRSN), la création « fictive » d'un fonds d'indemnisation doté de 70Mds€ se traduirait par une dotation de 580M€ par an, soit 1,41€/MWh. Un fonds de 430 milliards reviendrait à ajouter 8,7 euros par MWh : ceci reste inférieur au montant actuel de la fameuse CSPE (contribution au service public de l'électricité).
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[Réponse de l'auteur]
J'ose : les statistiques n'ont de validité que pour de grands nombres.