- Professeur à Paris-Dauphine
Auteur
Jean-Marie Chevalier est professeur d'économie à l'université de Paris-Dauphine, membre du CERA (Cambridge Energy Research Associates) et membre du Conseil d’Analyse Economique.
Nucléaire: non au leadership d’EDF!
- Professeur à Paris-Dauphine
jeudi 04 novembre 2010
Le Professeur Jean-Marie Chevalier estime que l’idée de désigner un "capitaine" à une "équipe de France" du nucléaire est une mauvaise idée. La concurrence nucléaire dans le monde n'est pas un match de football...
EER - Faut-il revenir à un centralisme nucléaire (cf papier Lexpansion) et EDF doit- il être le chef de file de l'industrie nucléaire française ?
Jean-Marie Chevalier - Cette idée vient au départ de l'échec d'Abu Dhabi qui a vu les sud-Coréens imposer leurs centrales moins chères et plus légères. Le Président Nicolas Sarkozy s'est dit : « il faut mettre de l'ordre dans la filière » et il a commandé un rapport à l'ancien président d'EDF François Roussely dont un résumé en 23 pages est sorti en juin.
Dans ce résumé, il y a de bonnes idées mais il utilise une image qui est déplacée : celle de l' »équipe de France » comme si on pouvait comparer la concurrence nucléaire à un match de football. En gros : il faut un capitaine à l'équipe, et il n'y en a qu'un, c'est EDF. Donc EDF doit prendre le leadership du nucléaire en France et à l'étranger.
C'est une mauvaise position. Pour plusieurs raisons:
1) Chaque entreprise a ses métiers. Le métier d'AREVA est de concevoir et construire des centrales nucléaire, de maîtriser le cycle du combustible de la mine d'uranium jusqu'au retraitement. Le métier d'EDF est d'opérer les centrales. Qu' EDF participe comme à Flamanville, où est construit le premier EPR français, à la conception et à l'ingeniering d'un réacteur qui lui appartiendra, oui. Mais qu'EDF se mêle de la conception de réacteurs construits pour des concurrents, c'est choquant et malsain. C'est un peu comme si British Airways passait par Air France pour acheter des Airbus.
2) Le marché du nucléaire est très complexe : entre une demande par la Hongrie et une demande du Brésil ou de la Chine, il faut des réponses « tailor-made », sur mesure, et le pays intéressé a intérêt à avoir un large choix d'intervenants potentiels. Avoir devant soi un seul interlocuteur qui parle pour la France c'est une très mauvaise idée. Il faut des consortia spécialement conçus, des partenariats avec des étrangers, comme l'a fait AREVA avec Mitsubishi.
3) Et puis, soyons modeste : EDF est peut-être l'entreprise qui a le plus grand parc nucléaire du monde mais le degré de disponibilité des centrales est mauvais pour des raisons technologiques, de structure du parc et de gestion des ressources humaines. Ce n'est pas une référence.
Bref, on revient vers une monopolisation EDF, on ne veut pas faire de place à GDF-Suez, ce n'est pas une bonne orientation.
GDF-Suez n'a pas obtenu le droit de participer à la gestion du deuxième EPR français prévu à Penly, pas plus que le feu vert à un 3eme EPR où elle aurait eu une position dominante. Du coup, GDF-Suez milite pour construire un réacteur plus petit, tel qu'il est prévu par AREVA avec son partenaire japonais Mitsubishi. Est-ce une bonne idée ?
Jean-Marie Chevalier - Aller dans un EPR à Flamanville et Penly en ayant la portion congrue, ce n'est pas une bonne affaire pour une grande société comme GDF Suez. Le groupe a bien fait de se retirer de Penly.
En revanche, oui, construire une centrale ATMEA dans la vallée du Rhône est une très bonne idée. ATMEA, qui serait développé par AREVA-Mitsubishi, est une centrale plus simple, plus petite, moins chère qu'EPR, plus adaptée à certains besoins. Cela fait partie de la nécessité de diversifier la palette d'offres françaises, même avec les Japonais. Westinghouse est avec Toshiba, General Electric avec Hitachi.
Donc faire un partenariat avec les Japonais n'est pas une mauvaise idée. Que GDF teste ce modèle dans la vallée du Rhône serait positif.
A quoi servirait ce réacteur ? La France n'a pas franchement besoin de plus d'électricité nucléaire. Mais certains analystes (voir Nicolas Goldberg sur "la chaîne Energie) ont noté avec intérêt la décision du gouvernement allemand de prolonger la vie des centrales nucléaires mais en taxant leur électricité pour financer le développement des énergies renouvelables. Selon eux, les industriels allemands seront tentés d'acheter davantage de kWh français moins chers. Pensez-vous qu'il y a là une perspective intéressante pour GDF-Suez ?
Jean-Marie Chevalier - On est à un moment particulièrement complexe dans la construction du marché électrique européen. On a un prix indicateur plutôt donné par le marché allemand sur lequel s'alignent les prix français.
Mais les industriels ont effectivement envie d'avoir accès à une électricité bon marché. On pourrait imaginer des schémas où des contrats lient des consommateurs industriels avec des constructeurs et opérateurs de centrales. C'est ce qui a été fait en Finlande : l'EPR finlandais est fondé sur des contrats de vente à des papetiers qui s'engagent sur le long terme à un prix fixe.
En France, on a eu une expérience semblable -Excelsium- où un consortium d'entreprises s'était monté pour acheter de l'électricité en gros.
Pourrait on avoir ce type de montage derrière ATMEA, avec un signal de prix relativement fixe puisque lié au coût? Cela irait dans la bonne direction, avec un partage des risques entre demandeurs, offreurs, financiers.
Est-ce tout à fait conforme aux règles de concurrence européenne, je n'en suis pas absolument sûr ? C'est à la frontière de ce que Bruxelles peut accepter.
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je ne travaille pas chez EDF...
Je voudrais signaler quelques erreurs grossières :
- AREVA n'est pas constructeur de centrales nucléaires, il est chaudiériste (fournisseur de l'ilôt nucléaire). La conception en est également surveillée par son client (EDF par exemple) et l'ASN.
- EDF par contre est bien constructeur (architecte ensemblier) et exploitant de centrales nucléaires. AREVA a simplement tenté de s'essayer au même métier en Finlande pour concurencer EDF à l'international...
- Le parc EDF n'a pas du tout la même disponibilité que le parc américain par exemple mais pas pour les raisons invoquées : le parc nucléaire américain est utilisé en production de base et pas en modulation comme le parc Français.
J'espère que ces explications sont suffisamment claires pour ce Professeur qui est sûrement compétent dans son domaine mais pas dans celui du nucléaire manifestement.