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 - Professeur à Paris-Dauphine

Auteur
Jean-Marie Chevalier est professeur d'économie à l'université de Paris-Dauphine, membre du CERA (Cambridge Energy Research Associates) et membre du Conseil d’Analyse Economique.

Nucléaire: EDF trop favorisé par rapport à GDF SUEZ et AREVA?


lundi 28 février 2011

L'arbitrage de Nicolas Sarkozy sur le nucléaire prévoit le développement de réacteurs plus légers que l'EPR et précise les rapports entre les grands acteurs de la filière française. Jean-Marie Chevalier répond à "La Chaîne Energie".


La réorganisation de la filière nucléaire française (voir article de L'Expansion), arbitrée par le président de la République, prévoit un accord avec la Chine et accorde une place éminente à EDF. Va-t- elle dans le bon sens ?

J'ai toujours prôné (voir interview) la nécessité d'une certaine souplesse vis-à-vis du rôle de l'Etat. Les entreprises opèrent sur des marchés ; elles discutent avec leurs clients ; elles connaissent la réalité des choses. Prenons l'exemple de la Chine. EDF a sa propre stratégie chinoise, sa propre connaissance de la Chine, sa propre expérience accumulée. AREVA en a une autre.

Dans ces conditions, je ne suis pas sûr que le fait de mettre tout cela sous l'égide d'un accord global franco-chinois soit une bonne chose. Cette nouvelle approche risque de faire perdre la spécificité des contacts privilégiés qui ont été construits dans le passé par chaque entreprise en Chine. En outre, le fait de faire jouer au CEA le rôle de pilote dans la conclusion de l'accord global m'interpelle. Cette nouvelle donne ne va-t-elle pas gommer les projets que pouvaient avoir en Chine AREVA, d'un côté  et EDF de l'autre?

Un feu vert est donné au projet d'un réacteur plus léger que l'EPR, Atméa, qui pourrait être construit dans la vallée du Rhône. Est-ce une bonne idée ?

Dans le cas d'Atméa, GDF SUEZ voulait développer ce réacteur avec AREVA. On fait entrer EDF dans le projet, ce qui est loin d'être une bonne idée. EDF et GDF SUEZ sont concurrents. Qu'ils puissent travailler ensemble dans une centrale existante, oui, peut-être. Mais Atméa était un autre projet, un projet SUEZ/AREVA. Si EDF est partie prenante de l'Atméa, il va se poser un problème immédiat : quel en sera le chef de file ?

Je crains que, dans cette affaire, EDF ne supportera pas que ce soit GDF SUEZ le chef de file et réciproquement. Ce n'est pas un problème d'ego, c'est un vrai problème de stratégie industrielle. Dans tout projet, il y a un chef de file. Quand les pétroliers se mettent ensemble pour développer un grand gisement, ils se mettent d'accord pour un chef de file. Quand celui-ci est absent, un projet peut capoter.
 
EDF est-il réellement le grand gagnant de la réorganisation ?

Pas tout à fait. Dans le communiqué de l'Elysée, il est précisé que dans certains projets où les pays demandent un électricien architecte-ensemblier, ce sera EDF qui pilotera. Mais le communiqué ajoute que ce ne sera pas le modèle unique et qu'il aura place pour d'autres approches. Ce qui est une bonne chose. La demande nucléaire dans le monde est tellement diversifiée: certains peuvent vouloir un architecte-ensemblier qui soit un électricien reconnu comme EDF ou comme GDF SUEZ, et d'autres peuvent vouloir négocier avec plusieurs compagnies dont un constructeur...

La rivalité concerne surtout la France,  parce que EDF manifeste la volonté que rien ne lui échappe pour ce qui concerne le nucléaire national. Or GDF SUEZ désire y mettre le pied d'une manière indépendante. Devenir opérateur nucléaire sur le sol français apportera à GDF SUEZ un « plus », en particulier dans ses opérations à l'international.

La réorganisation prévoit qu'AREVA filialise l'activité d'extraction du minerai d'uranium. Quels sont
les grands enjeux géopolitiques de cette question?

La question minière est très importante. Il y a d'abord l'enjeu de la sécurisation des approvisionnements d'EDF à long terme. EDF peut de ce fait être tentée d'entrer dans le capital de la filiale minière d'AREVA. Ce qui peut mettre AREVA en porte à faux par rapport à ses autres clients, c'est-à-dire les plus grands électriciens du monde qui sont les concurrents d'EDF. La participation d'EDF au capital de la filiale va susciter la plus grande méfiance et la crainte qu'EDF soit privilégiée.

(Propos recueillis par Meriem Sidhoum-Delahaye)
 
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Jean-Marie Chevalier est professeur d'économie à l'université de Paris-Dauphine, membre du CERA (Cambridge Energy Research Associates) et membre du Conseil d’Analyse Economique.

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