Par Nicolas Goldberg
- Consultant en Energie
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Diplômé de l'Ecole Supérieure d'Electricité (Supélec), Nicolas Goldberg est consultant en Energie. Il est intervenu chez plusieurs acteurs majeurs du domaine de l'énergie,...
L’hypocrite sortie du nucléaire de l’Allemagne
Par Nicolas Goldberg
- Consultant en Energie
mercredi 01 juin 2011
Est-ce vraiment "sortir du nucléaire" que d'acheter chez ses voisins de l'électricité produite grâce à l'atome ? C'est la situation à laquelle l'Allemagne va être confrontée, avec à la clé une augmentation des prix de gros en Europe...
L'Allemagne rejoint l'Italie au rang des "passagers clandestins" du nucléaire
L'Allemagne est souvent érigée en exemple pour montrer qu'il est possible de sortir du nucléaire et de rester exportateur d'électricité. La réalité est tout autre.
L'Allemagne produisait toujours un quart de son électricité grâce au nucléaire. En revanche, en Italie, toute la production nucléaire a été arrêtée. La conséquence est inéluctable : près de 10% de l'électricité Italienne est importée des centrales nucléaires françaises.
C'est également ce qui risque d'arriver à l'Allemagne car les réacteurs nucléaires arrêtés produisaient selon l'IEA 60 TWh alors que les exportations totales de l'Allemagne en électricité s'élevaient à... 61 TWh ! Sachant que le pays importe également 41 TWh par an, le TWh restant (61-60) pourra peut être servir pour les besoins internes mais les 40 autres resteront à trouver et ne pourront venir que de l'électricité nucléaire français, voire belge.
Les conséquences ne se sont d'ailleurs pas fait attendre : selon le site RTE, depuis le 15 mars 2011, date précise du moratoire sur les centrales, l'Allemagne importe inhabituellement son électricité de France.
Ainsi, l'Allemagne ne pourra plus exporter et des mesures spectaculaires, comme des délestages massifs en hiver, devront être prises pour combler la demande en électricité. Pour les mêmes raisons, le recours aux imports induira une forte hausse sur le marché de gros de l'électricité dont les fournisseurs et les industries électro-intensives de toute l'Europe devront payer le prix.
Un fonds allemand pour payer la facture des industries ?
Bien consciente de mener une politique à contre-courant de son industrie, le rapport de sortie de nucléaire de l'Allemagne préconise un fonds financé par l'Etat pour aider les industries électro-intensives à ne pas subir la hausse des prix. Cette mesure fausserait la concurrence et serait contraire à toute politique d'ouverture des marchés en Europe, à moins que toutes les industries étrangères en profitent également. Il serait en effet contradictoire qu'une décision unilatérale de sortie de nucléaire pénalise une politique européenne des marchés de l'énergie à l'heure où la France vote une nouvelle organisation du marché électrique pour la renforcer.
La sortie de nucléaire a bien un coût et il revient aux pays qui en décident d'en payer la facture sans pénaliser ceux qui vont dans le sens d'une politique énergétique européenne.
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Bref 20 TWh quand on en consomme plus de 500 c'est quand même largement transparent vu le développement des EnR et de l'efficacité énergétique : l'année dernière rien qu'avec le biogaz et le solaire ils ont rajouté 10 TWh... et leur consommation électrique baisse régulièrement (par exemple 548 Twh en 2010 contre 558 en 2008...)
Deuxième point, il est quand même curieux qu'un simple communiqué de presse publié par la chancellerie le 15/03 ait eu un quelconque effet sur les importations électriques allemandes... La communication de la décision a eu certes lieu le 15/03, mais le temps que la procédure officielle se mette en place, les réacteurs nucléaires encore en marche n'ont arrêté leur production que plusieurs jours plus tard...
Si un changement aussi faible des conditions de la production électrique d'un pays menace la France de blackout, c'est qu'il est grand temps de changer de politique énergétique...
[Réponse de l'auteur]
Notez qu'avec 60 TWh ou 40 TWh de production en moins, l'Allemagne devra de toutes façons nécessairement importé, au moins à court terme. Je serais preneur de votre source pour les 40 TWh au passage. Ensuite, les réacteurs ont été complètement arrêtés quelques jours plus tard, mais la puissance de production a bien commencé à diminuer avant car on ne peut pas arrêter un réacteur nucléaire du jour au lendemain.
Les américains cherchent à en sortir:
http://www.electron-economy.org/article-usa-le-nucleaire-est-grille-selon-le-pdg-d-energy-group-75312841.html
Pour les allemands l'objectif est de 50% en 2020 ...
http://www.electron-economy.org/article-le-gouvernement-merkel-fixe-comme-objectif-de-passer-de-17-de-renouvelables-en-2010-a-35-en-2020-75279083.html
Les chinois développent l'énergie éolienne au gallop:
http://cleantechnica.com/2011/06/01/china-wind-power-blowing-up-in-2011-as-expected/
Soit 19 GW de plus en 2010.
A cette vitesse qui s'accélère les objectifs 2020 sont déjà dépassés.
La France prend un retard incroyable et va se trouver avec des frais impossibles à payer:
Les déchets à long terme, le démantèlement, les dispositions de sécurité plus sévères, le coût des assurances à des taux crédibles (175 milliards€ pour le Japon alors que nos provisions en sont très loin ...) le renouvellement à des coûts qui explosent et enfin le coût de la recherche que l'Etat ne pourra plus payer.
Le tout en même temps. Notre pain noir est pour très bientôt et nos coûts seront insupportables.
Qui est aveugle?
Source RTE ici, page 18 :
http://www.rte-france.com/uploads/media/pdf_zip/presse/dp-2011/2011_01_20_DP_Bilan_electrique_francais_2010.pdf
Pour 2010, on voit que la France a exporté 9,4 TWh vers l'Allemagne, mais a importé en retour pas moins de 16,1 TWh. En clair, en 2010, la France a importé 6,7 TWh d'électricité depuis l'Allemagne, soit l'équivalent de la production annuelle d'un réacteur nucléaire.
Il faut savoir que, depuis 2004, la France est continuellement importatrice d'électricité depuis l'Allemagne.
[Réponse de l'auteur]
"D'ordinaire exportatrice d'électricité, l'Allemagne a déjà un recours massif aux importations" L'Allemagne est effectivement d'ordinaire exportatrice. Ce n'est plus le cas depuis que les réacteurs sont arrêtés. Nul doute que pour l'année 2011 la tendance sera inversée : une première depuis 2004 ! L'Allemagne rejoint ainsi l'Italie dans le clan des importateurs d'électricité nucléaire.
Le paradoxe:
il y a trop d'énergie (le réchauffement climatique en est la preuve!).
Mais cette pauvre humanité se fait des noeuds au cerveau avec le nucléaire,le pétrole et la farce du renouvelable.
Cordialement Gaz et chaleur
[Réponse de l'auteur]
On peut voir ça comme ça, ou alors voir que la génération IV du nucléaire permettra de recycler les déchets, en plus de pouvoir être utilisée pour d'autres usages (dessalement des eaux de mer, production d'hydrogène...). Rester leader sur le sujet est capital sur l'avenir : je vous invite pour cela à lire l'article de Charles Emmanuel Hacquet publié aujourd'hui sur ce blog. Sur le long terme, c'est également la garantie d'un kWh peu cher pour diminuer les coûts fixes des industries et aller dans le sens de leur compétitivité, contrairement à l'Allemagne qui tente de faire illusion en prétendant qu'elle financera l'électricité de son industrie en compensation.
http://www.iaea.org/programmes/a2/
C'est justement parce qu'un réacteur nucléaire ne s'éteint pas à la demande qu'il est douteux que les opérateurs aient décidé de diminuer leur production le 15 alors que la demande officielle ne leur a été notifié qu'au 16-17 (auparavant certains réacteurs ne savaient même pas s'ils devaient être arrêté ou simplement voir leur production réduite)...
Sur les exportation : ça me désole de devoir vous apprendre ça mais l'Allemagne n'est pas une dictature soviétique avec une économie planifiée... Certes les gouvernements fédéraux ont leur mots à dire sur la sécurité énergétique, c'est à dire la capacité du pays à fonctionner s'il y avait un problème technique chez un voisin, mais en matière d'exportation c'est le marché qui décide, c'est à dire les compagnies privés d'électricité... En l’occurrence comme l'argent public des français a servi à payer des centrales nucléaires qui surproduisent tellement que le réseau s'écroulerait sans un moyen d'écouler ces surproductions à certain moment de l'année, il serait idiot de la part des compagnies d'électricité allemandes de ne pas profiter de la dette nucléaire française pour enrichir leurs actionnaires avec de l'électricité qui doit être mise sur le marché à des prix en dessous des couts de production en été !