Par Frédéric Livet
Auteur
Polytechnicien, Docteur en Sciences Physiques, membre de la Société Française de Physique, Frédéric Livet est Directeur de Recherches au CNRS. Il travaille au laboratoire Simap-Phelma (Université de Grenoble)...
Prix de l'électricité: la responsabilité du solaire
Par Frédéric Livet
mardi 02 novembre 2010
Va-t-on assister à l'éclatement de la bulle photovoltaïque? Un tarif d'achat très élevé, une prolifération de petites entreprises et d'installateurs qui poussent les particuliers à investir, la faiblesse de la filière industrielle française face aux importateurs allemands ou chinois... Tout contribue à cette bulle.
Dans la ligne du Grenelle de l'Environnement, trois mesures emblématiques pour développer le photovotaïque (PV) ont été mises en place:
1) Instauration de tarifs d'achat de l'électricité PV très avantageux, avec trois catégories:
- les toits des maisons individuelles (sous réserve d'une bonne « intégration au bâti »),
- les toits des hangars à vocation industrielle, agricole, ou commerciale,
- les installations au sol.
EDF doit racheter toute l'électricité ainsi produite à ces tarifs. Ce rachat doit être remboursé à EDF par la facture d'électricité faite aux usagers. Cette surfacturation, appelée CSPE (Contribution au Service Public d'Electricité), était initialement destinée à compenser les surcoûts entrainés pour EDF par la desserte des zones non interconnectées (Corse, DOM) et à le solidarité avec les plus démunis...
2) Création d'un crédit d'impôts, initialement fixé à 50% de l'installation, visant à favoriser les installations sur les toits de maisons individuelles.
3) Décision de mettre en oeuvre une puissance minimale PV dans chaque région, afin de favoriser l'installation de centrales solaires de grandes dimensions.
Des tarifs d'achat plus élevés qu'en Allemagne et en Espagne
En 2009, le tarif garanti était de 60,18 centimes le kilowattheure (kWh), soit 600 Euros/MWh, plus de 10 fois le prix de production de l'électricité industrielle que cette production photovoltaïque était censée remplacer. Un grand nombre de bâtiments agricoles, de parkings... ont été construits dans l'unique but de produire de l'électricité vendue à ce prix. L'engouement pour ce système a été très important, et les seules nouvelles demandes fin 2009 totalisaient une capacité de production de 5,4 gigawatts-crête, l'équivalent sur une année de la production d'une petite centrale nucléaire! Pour tenter bien timidement d'endiguer cette vague verte, de nouveaux arrêtés ont abaissé à 58 centimes d'euro ce tarif, qui reste le plus élevé du monde.
Dans le même temps, confrontée au même problème avec un peu d'avance, l'Allemagne réduisait ses tarifs: les experts estiment qu'avec leurs tarifs passés, garantis sur 20 ans, et 3000 MW installés en 2009, ils devraient déjà débourser 53 milliards d'euros pour le PV, et 16,7 milliards en 2011 pour l'ensemble des renouvelables. Quant à l'Espagne, noyée par la montée du coût des renouvelables (2,5 milliards d'€ pour le PV - pour seulement 2% de la production électrique - et 6 milliards d'€ de PV à prévoir en 2010), elle a diminué considérablement son tarif. Ces tarifs sont actuellement :
Les Etats se sont engagés en général sur 20 à 25 ans à tenir les tarifs signés par contrat au moment où les installations sont programmées (même si leur installation effective tarde), et ils ont été rapidement confrontés à une ruée spéculative.
Une "économie de l'installateur" très vulnérable
Celle-ci a entraîné un très rapide développement des projets, avec une prolifération de petites entreprises qui entendaient tirer profit de cette aubaine. Les cellules et une bonne partie des panneaux sont importées, la Chine se montrant très compétitive, en concurrence avec les compagnies allemandes.. Photowatt, entreprise française ayant du mal à aligner ses prix a donc une contribution mineure2. Tous les propriétaires de maison ont été l'objet de nombreux démarchages, coups de fil, e-mails... proposant de prendre en charge toutes les démarches et de minimiser les tracas pour ... partager le pactole.
C'est donc une économie de l'installateur que nous avons vu se mettre en place. Cela est confirmé par les chiffres du SER (Syndicat des Energies Renouvelables) qui fait état de 24 000 emplois dans cette filière, dont 16 000 dans l'installation.
Récemment, le gouvernement, confronté à de graves difficultés budgétaires a décidé de réduire cette niche fiscale et de ramener le crédit d'impôt à 25% dans le futur budget. Le résultat immédiat a été une nouvelle vague de sollicitations des heureux propriétaires de maisons individuelles et le nombre de demandes mensuelles d'interconnexions a bondi à 800MW en août. Cela porte donc le total des demandes en cours d'étude et en travaux à 3800MW. Solaire qu'il faudra payer au prix fort, sur 20 ans, et même avec une petite indexation sur l'inflation.
La Commission de Régulation de l'Electricité (CRE) vient de tirer la sonnette d'alarme. Elle estime que la CSPE, destinée à facturer ce supplément aux utilisateurs finaux doit être portée en 2011 à 4,8 milliards d'Euros (éolien inclus), compte tenu des retards précédents (c'est EDF qui a avancé l'argent...), ce qui représente un surcoût de près de 8 €/MWh, une augmentation du prix de l'électricité de plus de 7% pour les particuliers! Evidemment, dans le contexte actuel, le gouvernement ne pourra pas répercuter cette augmentation. EDF devra donc supporter ce déficit, et sa capacité d'investissement en sera diminuée d'autant.
La France "mange" son investissement dans EDF
En développant une politique irresponsable et irréfléchie de subvention du PV, la France est en train de «manger» son investissement passé (EDF) et se met dans l'incapacité d'investir efficacement pour l'avenir des jeunes générations. De plus, du fait de son coût élevé mobilisant des capitaux énormes, et parce que notre électricité est déjà produite avec peu d'émissions de CO2, ce développement irraisonné du PV a pour effet concret de freiner la lutte contre les émissions de CO2.
Clairement, le PV ne devrait se développer dans un premier temps que dans des pays très ensoleillés, et prioritairement dans des régions dépourvues de réseau électrique. Le lourd subventionnement des emplois dans cette filière va aboutir évidemment à des problèmes sociaux. Ainsi, en Espagne, 75 000 emplois (82% des travailleurs de la filière) ont été perdus en 2010 après que le gouvernement ait mis un coup de frein à l'explosion du coût de l'éolien, et il est évident que l'économie de l'installateur mise en place est particulièrement vulnérable.
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Votre article est très bien fait et complet! (Quelquefois, pas très juste mais ne chipotons pas!!! Pour une des rares fois que sur ce site, on expose un problème complètement...)
J'ajouterai ceci:
le PV est une source ENR qui en France, se justifie du simple fait de notre energie nucléaire.
Pourquoi ?
Il y a encore une quinzaine d'années, lorsqu'on regardait la consommation annuelle, les mois de juin, juillet et août étaient les mois les moins consommateurs! Ce qui faisait qu'EDF en profitait pour arrêter ses grosses centrales pour maintenance et rechargement.
Depuis peu, notre mode de vie fait que nous sommes de plus en plus équipés de climatisations (on aurait aimé qu'en 2003, ce fût largement le cas pour nos anciens... 15 000 décès!).
Or toutes ces climatisations consomment de l'énergie. Sans PV, quelles autres sources aurait-on à notre disposition puisque les grands barrages sont à sec ou en cours de remplissage. Et les centrales nuc en arrêt mécanique. Il ne resterait plus que les THF avec les conséquences que l'on connaît sur les émissions de GES!
On peut dire que pour une fois, il y a corrélation entre le fait qu'il y ait du soleil, le fait qu'en conséquence, il fasse chaud et, que le PV produise de l'énergie...et seulement à ce moment-là!
Donc, techniquement, et je dis bien techniquement, la mise en place de centrales PV en France est une bonne chose!
Malheureusement, deux problèmes surviennent:
1) Doit-on recouvrir des terres arables pour produire de l'énergie alors qu'il y a une carence alimentaire dans le monde ? Et pour faire moins grandiloquents, sur les marchés français, les fruits et les légumes sont hors de prix, souvent sans goût, presque toujours trop ou pas assez mûrs? Nos maraîchers sont ils Chinois ?
Et puis sur l'aspect visuel, certain ne vont pas hésiter à couvrir de PV, les versants sud des montagnes... On se bat contre l'éolien entre autres, pour des raisons visuelles...
2) Doit-on accepter que certains puissent bénéficier de l'installation de centrales PV alors que d'autres, n'y auront jamais accès, mais que tous les français payent cet investissement? (très bien décrit par l'auteur).
Est-il normal qu'une installation PV de 3 KWC rapporte environ 2500€/an, ce qui revient à un temps de retour sur investissement, entre 6 et 8 ans selon que l'on emprunte ou pas? N'est-ce pas exagéré ?
Et enfin le rachat par EDF à 370 € le MWh pour les centrales PV au sol... est scandaleux !!! 25 € le MWh, c'est ce que coûte le MWh nucléaire. La CRE dans son dernier rapport, a elle-même défini le coût moyen (prix de revient EDF) à 60€ le MWh.
Il semble qu'encore une fois, le Grenelle ait voulu faire d'avantage plaisir à certains plutôt qu'a d'autres!!!
L'équité n'est plus dans le langage de nos hommes politiques...
Espérons que ce ne soit pas la violence qui la retablisse !
En ce sens la défaite d'Obama est une bonne nouvelle pour la non application des taxe anti co2 et si l'europe passe outre ,elle se suicidera un peu plus vite
Il est difficile de répondre à tous les commentaires, mais je veux rappeler quelques points:
-En France, les pics de consommation sont en hiver, et nettement, contrairement à l'Espagne
-Le réchauffement climatique anthropique est confirmé de toutes les sources sérieuses.
-La critique ici portait sur le peu d'efficité du soutien au PV quant aux émissions de CO2
* L’électricité se stocke mal !
**L ’hydraulique, énergie renouvelable (e.r.) de qualité, a fait ses preuves !
*** Du coté « production » : Les autres e.r.( éolien et voltaïque terrestre, en particulier),qui nous intéressent aujourd'hui, sont capricieuses ; étant qq. fois superfétatoires mais se faisant souvent désirées, elles exigent donc des investissements de substitution, de même puissance !
**** Du coté « utilisation » : Le CRE (27-10-2009) indiquait :……..plus la production éolienne(et voltaïque) se substitue à du nucléaire, plus il devient nécessaire de développer des centrales thermiques à flamme, mieux adaptées aux variations de charge !
E n " gros", la France émet 400 millions de tonnes de CO2 – soit 1,4% du total mondial – par an, ou encore 6 t par an et par habitant. Comparativement, l’Allemagne, qu’on nous invite à copier, émet 800 millions de tonnes -- soit 2,8% du total --, ou encore 10 t par an et par habitant (la moyenne européenne étant de 8 t).
Quelle conclusion en tirez-vous ?
Merci
La pensée unique est encore de vigueur chez de nombreux journalistes trés dépendants ou incompétants.
70% des installations sur notre territoire sont fabriquées en france, le reste vient de chine et d'allemagne.
Le PV doit être subventionné tout comme l'a été le nucléaire, par l'état et les clients, l'égalité de traitement est de mise.
Les centrales nucléaires vont arriver en fin de vie, il faut préparer l'avenir énergétique de nos enfants dés maintenant, sinon nous serons dépendants des autres.
L'allemagne produit de l'énergie PV depuis trés longtemps (à cette époque les français ne connaissaient même pas son éxistance !), la baisse des prix a été progressive pour ne pas fragiliser la filière, elle fait partie des leaders mondiaux maintenant.
L'allemagne est un des pays les moins ensoleillés et pourtant l'investissement PV ne faiblit pas.
Le Danemark va dans les décennies à venir produire la totalité de son électricité par des énergies renouvellables, la Norvège (grand producteur de pétrole)de même.
Tout ceci me fait penser au fameux slogan des années 70 que l'on peut réactualiser : "en France on a pas de pétrole mais on a un looby nucléaire" et des penseurs rétrogrades qui préparent ... le passé.
-La Norvège produit depuis longtemps son électricité avec des renouvelables: elle a un très bel équipement hydroélectrique que lui permet son climat et son relief, et je crois que cela lui fournit 90% de son électricité.
-Quant au Danemark, il produit l'essentiel de son électricité avec ..du charbon. Ils sont certes champions dans l'éolien: 20% de leur consommation. Mais savez-vous que près des 2/3 de cet éolien est exporté en Norvège: il suffit à ceux ci d'arrêter les turbinages pour "encaisser" les pointes de vent. Mais je doute qu'une très grosse contribution de l'éolien en Europe puisse être encaissée de cette manière: que va-t-on faire qand sur près de 15 jours, comme en ce moment, il n'y a pas de vent?
Enfin, puis-je rappeler que le Danemark n'est guère en état de nous donner des leçons: vue la manière dont ils produisent leur électricité, ils émettent près de 10t CO2 par habitant par an (tout comme d'ailleurs l'Allemagne) alors que la France ne dépasse guère les 6 tonnes?
Donc je ne vois pas où sont mes données "erronées" et j'espère que vous me croirez si je vous dis que je n'ai pas d'actions à EDF...