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La société PETROSTRATEGIES a été créée en octobre 1985 à Paris, France. Dirigée par Pierre Terzian, elle a plusieurs types d'activités autour du secteur de l'énergie: publication d'articles et d'une lettre...

Compagnies pétrolières : l’heure de la sélection naturelle a sonné


dimanche 01 février 2009

Ne résisteront que ceux qui sont « les plus aptes » à mener « la lutte pour l’existence », selon les mots de Darwin. Et la sélection naturelle a déjà commencé


Un article de Pétrostratégies, revue hebdomadaire dirigée par Pierre Terzian
C’est le moment de relire Darwin. En effet, l’industrie des hydrocarbures va probablement connaître un processus de « sélection naturelle » à laquelle résisteront ceux qui sont « les plus aptes » à mener « la lutte pour l’existence », selon les mots du célèbre savant britannique.

La sévérité de ce processus de sélection dépendra de deux facteurs principaux : le degré de la contraction du marché des crédits et des capitaux, d’une part, et le niveau autour duquel les prix du pétrole évolueront, de l’autre. Tous les secteurs seront frappés : amont, aval et services, même si l’énergie est moins touchée, pour le moment, que d’autres activités économiques. Les opportunités de consolidations seront sans doute nombreuses. Elles draineront des moyens de financement qui ne seront plus disponibles pour des investissements dans de nouvelles capacités de production. En clair, si la crise financière impacte déjà la demande d’hydrocarbures, à la baisse, elle risque d’impacter également l’offre, à la baisse aussi. Surtout si les investisseurs ne se sentent pas soutenus par un prix plancher du brut qui soit raisonnablement élevé.

Les gros acteurs souffriront moins que les petits, bien sûr. Certes, ils vont se montrer plus sélectifs dans leurs décisions d’investissement, mais ils pourront toujours compter sur leurs cash-flows, sachant que leurs moyens d’autofinancement sont fonctions du prix du pétrole et des coûts. Les acteurs les mieux notés peuvent même être favorisés par la crise, en termes relatifs, car ils continueront d’inspirer confiance dans un monde où les emprunteurs solvables deviendront plus rares. La tentation sera grande d’acquérir des petits acteurs qui se trouveront plongés dans des situations difficiles. L’arbitrage entre les allocations destinées aux acquisitions et celles qui iront aux investissements obéira à des considérations complexes où le prix du pétrole jouera, là aussi, le rôle le plus important. Plus le prix sera bas, plus l’arbitrage favorisera les acquisitions (qui seront aussi plus nombreuses), réduisant d’autant les investissements dans le développement d’une offre nouvelle. Comme, par ailleurs, un prix bas peut encourager la demande, on peut se retrouver face à un scénario susceptible de conduire, dans un deuxième temps, à une insuffisance de l’offre nouvelle à répondre à la demande nouvelle.

Chez les petits acteurs, les plus exposés seront ceux qui auront tablé sur les références de prix les plus élevées lorsqu’ils ont adopté leurs décisions d’investissements. Mais même les autres vont avoir plus de mal qu’auparavant à lever des capitaux sur les marchés secondaires auxquels ils ont recours, car ils n’ont pas la taille qui leur permet d’aller sur les grandes Bourses. Mais les petits producteurs seront avantagés par le fait qu’ils ont souvent des coûts d’exploitation inférieurs à ceux des grands acteurs. Ceux qui ont amorti leurs investissements ne seront touchés que si le prix tombe en dessous de leurs coûts d’exploitation, un scénario qui paraît très improbable à moyen terme.

Les hydrocarbures non conventionnels risquent de pâtir de la crise (bien qu’ils soient généralement portés par de grands acteurs) à cause de leurs besoins en financements et de leurs coûts élevés. Plusieurs promoteurs de sables bitumineux, au Canada, doivent déjà revoir à la baisse leurs projets ou les retarder, en attendant des temps meilleurs. Les projets de développement de gaz non conventionnels, qui ont tellement contribué à changer l’équilibre d’un marché de la taille des Etats-Unis, subiront sans doute un ralentissement. GTL et CTL sont exposés en première ligne et les promoteurs de projets de conversion de gaz de houille en GNL doivent nourrir une anxiété certaine en ce moment.

Dans les industries de services, les fournisseurs de gros équipements, qui ont pris l’habitude, ces dernières années, de lancer des constructions spéculatives, ne pourront plus continuer de le faire. Ils trouveront difficilement des banques pour financer la construction d’équipements lourds, si ceux-ci n’ont pas de contrats d’utilisation. Des slots peuvent ainsi se libérer dans les chantiers de construction, contribuant à une baisse de coûts dont le niveau exorbitant a tellement pénalisé les compagnies pétrolières ces dernières années. Les coûts de production peuvent donc baisser.

 D’ailleurs, la crainte d’une récession économique fait maintenant baisser les prix de matières premières comme l’acier. Dans ces conditions, sur le marché des équipements et des services pétroliers, on imagine la puissance de négociation dont disposera un acteur de la taille d’un Petrobras, qui se lance dans un immense programme de développement de ses ressources ante-salifères. Au surplus, ce groupe jouit du soutien total de l’Etat, son principal actionnaire. Ainsi, le 29 septembre, le Conseil monétaire national du Brésil a autorisé la Banque nationale de développement à prêter de l’argent à Petrobras à hauteur de 25 % de son portefeuille, alors qu’auparavant ce seuil englobait toutes les sociétés d’Etat, y compris Petrobras.

La « sélection naturelle » risque de frapper aussi les pays producteurs. La contraction des capitaux et des investissements peut encourager la concurrence entre Etats hôtes. Pour attirer les sociétés pétrolières, ceux-ci peuvent être obligés de revoir à la baisse leurs conditions fiscales et les termes de leurs contrats de concession. Ce sera surtout le cas des pays les moins attractifs en termes de potentiels ou qui font face à des risques élevés. Le nationalisme de ressources reculera, si la sélection darwinienne se révèle sévère.

Du côté de la demande, tous les signaux sont au rouge dans la zone OCDE : la baisse de la demande s’y est accélérée. Mais les regards sont maintenant tournés vers la Chine. Non seulement les exportations de ce pays vers le reste du monde vont diminuer (entraînant un ralentissement de l’activité économique), mais on se demande si le système bancaire chinois sortira indemne de la crise financière. Les banques chinoises traînent derrière elles de gros portefeuilles de mauvais prêts. Souvent obligées de prêter sur la base d’injonctions politiques, elles sont fragilisées. Le Trésor chinois, qui dispose de liquidités importantes, peut donc se voir obligé de renflouer non seulement des banques aux Etats-Unis, comme on lui en prête l’intention, mais aussi des banques locales. Il serait étonnant que la demande chinoise de pétrole ne subisse pas, à son tour, un ralentissement.

Quel que soit l’angle d’analyse, on constate donc le rôle capital que jouera le prix du pétrole dans l’impact de la crise financière sur l’industrie des hydrocarbures et sur l’équilibre du marché. Il devient urgent que l’OPEP et les grands producteurs de pétrole adressent des signaux clairs en matière de prix plancher du pétrole souhaité pour le moyen terme.


(date de l'article : nov 08)
Photo copyright Total group
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