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Auteur
Claude Mandil, qui fut directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie de 2003 à 2007, est l'un des meilleurs spécialistes européens des questions énergétiques...

Et si la France partageait son électricité nucléaire...


mercredi 02 février 2011

Un marché européen unique de l'énergie? Si on le fait, il faut aller jusqu'au bout et accepter l'idée que l'électricité nucléaire française soit mise dans un pot commun. Cela augmentera le prix de l'électricité mais pourrait être bénéfique pour l'économie française.


Dans le débat sur la politique européenne de l'énergie (voir la contribution d'Hervé Nifenecker et le site "Sauvons le climat"), Claude Mandil, ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie, et un des meilleurs experts des questions énergétiques, s'est prononcé clairement pour un marché unique mais estime qu'il faut en tirer les conséquences.

L'Europe s'est engagée de façon irréversible sur le chemin d'un marché intérieur unique de l'électricité.

Même si cet objectif est encore loin d'être achevé, je suggère d'évaluer ses conséquences ultimes en abordant deux questions :

- le marché unique offre-t-il un avantage pour les opérateurs français et pour l'économie française?
- sa prise en compte influe-t-elle sur certaines décisions de politique énergétique comme le chauffage électrique ou la voiture électrique?

1) Les avantages pour l'économie française

D
ans un marché national, le parc nucléaire d'EDF est surdimensionné par rapport aux consommations en heures creuses. En d'autres termes un certain nombre de centrales nucléaires sont obligées de s'arrêter ou au moins de fonctionner à charge réduite pendant une partie de la journée (ou plus exactement de la nuit), uniquement parce que le nucléaire couvre 75% de la consommation électrique française et que l'essentiel du reste est produit au fil de l'eau ou du vent. C'est un gâchis économique considérable compte tenu de l'intensité capitalistique du nucléaire, et je crains que cela pose même un problème de sûreté, le nucléaire n'aimant guère le fonctionnement en dentelle. On peut en tout cas se demander si cette situation n'explique pas, au moins en partie, le mauvais taux de disponibilité des centrales EDF.

Naturellement tout change si l'on peut considérer que le parc nucléaire d'EDF représente non pas 75% de la consommation française, mais 20 à 30% de la consommation européenne.

Dès lors les centrales françaises peuvent fonctionner en permanence en base, exportant en heures creuses leur électricité vers les voisins. L'avantage pour l'opérateur français est considérable. Il l'est aussi pour la France, qui verrait sa balance commerciale améliorée, et pour la planète, puisque ce nucléaire viendrait remplacer des kWh produits par du charbon ou du gaz, par exemple en Allemagne. Mais cette situation suppose l'achèvement du marché intérieur, donc en particulier l'augmentation de capacité des interconnexions transfrontières et la suppression des obstacles non tarifaires (normes par exemple) aux échanges d'électricité.

O
n objectera qu'il est dommage que l'industrie française perde de ce fait l'un des rares avantages concurrentiels qu'elle possède par rapport à ses concurrents allemands : la fourniture d'électricité bon marché.

Il me semble que cet argument ne tient pas pour deux raisons :

- d'abord, si les prix devaient refléter les coûts de développement à long terme, les prix de l'électricité devraient être significativement plus élevés qu'ils ne le sont en France, car le nucléaire du futur est nettement plus cher que le nucléaire du passé.

- ensuite l'Allemagne est peut-être notre concurrent, mais c'est surtout notre principal partenaire : quand l'économie allemande va bien, l'économie française va mieux et non l'inverse.

E
n réalité, l'objection la plus pertinente est que l'Allemagne semble tellement s'éloigner de la rationalité énergétique et de la recherche des solutions les moins coûteuses qu'on peut se demander si un marché unique peut fonctionner avec un participant ne jouant pas avec les mêmes règles.

2) Quid du chauffage électrique et de la voiture électrique?

Une importante conséquence de l'achèvement complet du marché intérieur et de la possibilité d'exporter la totalité de l'électricité nucléaire excédentaire est que, même en heures creuses françaises, le kWh marginal consommé est toujours fossile, disons gaz ou charbon allemand. En effet ce kWh marginal, même s'il est produit avec du nucléaire français, est un kWh nucléaire que la France ne pourra pas exporter, et qui devra donc être produit à l'étranger à partir de combustible fossile.

Bien entendu, il ne faut pas pousser le raisonnement marginal trop loin ; il ne vaut que pour une consommation supplémentaire à parc de production inchangé. Si on décide un grand programme d'équipement des logements en chauffage électrique et simultanément la construction de centrales nucléaires répondant à ce nouveau besoin, l'effet CO2 est nul. Mais il n'est plus possible de dire, comme on l'entend trop souvent : « je peux pousser mon chauffage électrique comme je veux, c'est du nucléaire ». Le raisonnement marginal interdit le gaspillage, et en particulier le chauffage électrique d'appoint.

Un raisonnement semblable vaudrait pour la voiture électrique. Reste un problème que je n'aborde pas faute de place, mais qui est important : le développement de productions aléatoires (éolien) et de consommations fortement modulées au cours de la journée ou de l'année (chauffage, véhicule électrique, télévision) exige le développement urgent d'interconnexions intelligentes (les « smart grids »), afin de lisser les pointes et les creux de production et de consommation. Rappelons que les équipements de production et de transport doivent être dimensionnés pour la pointe, donc très surdimensionnés par rapport à la charge moyenne. A titre d'exemple, le chauffage électrique représente environ 15% de la consommation annuelle d'électricité en France, mais peut représenter jusqu'à 40% de la charge en pointe.
7 commentaire(s)
[1]
Commentaire par Dom
mercredi 02 février 2011 16:58
J'ignorais que les centrales nucléaires françaises étaient ralenties ou arrêtées chaque nuit ! A votre avis il faut combien de temps pour arrêter un réacteur nucléaire ??
[2]
Commentaire par Nifenecker
vendredi 04 février 2011 21:11
Première partie


Le débat sur la réalisation d'un vrai marché européen de l'électricité est parfaitement illustratif de celui qui met aux prises, avec plus ou moins de nuances, ceux qui rêvent d'une Europe fédérale et ceux qui continuent à considérer que les nations doivent être les instances principales des choix de politiques. Ceux qui suivent les traces de Jacques Delors et ceux qui préfèrent l'approche de Jean Pierre Chevènement (je recommande la lecture de son dernier livre: "La France est-elle finie?", livre qui montre que son approche est pragmatique et nullement dogmatique sur le sujet de l'Europe). L'idée que le marché devrait permettre d'optimiser l'allocation des ressources est évidemment attirante puisqu'elle permet de restreindre le champ du politique, toujours marqué par la difficulté de trouver un consensus. Les profondes divisions des pays européens, en particulier sur le rôle du nucléaire rendent, pratiquement, impossible l'établissement d'une vraie politique européenne de l'électricité. L'espoir qui sous-tend, actuellement comme dans le passé, la politique "européiste" qui me paraît être celle de Claude Mandil, est que les contraintes structurelles déboucheront obligatoirement sur des politiques communes. Cette approche fut celle qui présida à l'établissement du marché commun, d'une part, de l'euro, d'autre part.
[3]
Commentaire par Nifenecker
vendredi 04 février 2011 23:16
(Suite)
Je fais partie de ceux qui pensent qu'il eut mieux valu définir des politiques européennes dans les domaines économiques, sociales et industrielles avant de faire les paris du marché commun et de l'euro. Tout naturellement je pense donc que la réalisation d'un marché européen de l'électricité devrait être précédée par l'établissement d'une politique de l'électricité. En ce qui concerne l'électricité il faut donc comparer les avantages et inconvénients des approches de type "fédéral" et "confédéral. Claude Mandil a très bien présenté les arguments favorables à l'approche de type "fédéral". Parce qu'elle permet un fonctionnement en base des réacteurs nucléaires, il ne fait pas de doute qu'elle est avantageuse pour EDF, d'autant plus que le prix européen de vente du courant sera largement supérieur aux prix régulés actuels. Les réacteurs nucléaires deviendront une machine à cash extraordinaire (de même, d'ailleurs, que les barrages hydroélectriques). Mais, dans le cadre de marché unique de l'électricité, peut on encore appliquer l'équation EDF=France? L'intérêt d'EDF sera-t-il le même que celui de la France? Pour ce qui concerne les gains à l'export de la vente de l'électricité, seront ils suffisants pour compenser la détérioration de notre compétitivité due à l'augmentation du prix de l'électricité?
[4]
Commentaire par Nifenecker
samedi 05 février 2011 00:18
(suite 2)

Les Français accepteront-ils de voir le prix de leur électricité augmenter pour permettre à EDF de gonfler ses bénéfices? Alors qu'on leur demandera, en même temps, d'accepter la construction de nouveaux réacteurs pour subvenir aux besoins de leurs voisins refusant, eux, le nucléaire afin de réduire les émissions européennes de gaz carbonique? Je suis convaincu que si l'Europe veut diviser ses émissions par 4 ou 5 à l'horizon 2050 le recours au nucléaire, pour au moins 50% de la production d'électricité, est indispensable. L'objectif de réduction des émissions de CO2 ne sera pas atteint si l'Allemagne, en particulier, ne revient pas sur sa politique de sortie du nucléaire. Or l'instauration d'un marché unique de l'électricité déresponsabilisera les Etats, et ne les encouragera pas à décider de politiques qui peuvent ne pas être populaires. La façon la plus efficace d'atteindre l'objectif du "facteur 4" est que l'Union fixe des objectifs spécifiques aux états membres, tout en les laissant libres de définir les moyens les plus appropriés. Que les responsabilités soient bien définies me paraît indispensable pour que l'objectif "facteur 4" soit atteint.
[5]
Commentaire par Nifenecker
samedi 05 février 2011 00:36
(Suite et Fin...ouf)

La question de la responsabilité est particulièrement critique dans le secteur de l'électricité: qui serait responsable de la fiabilité de la fourniture d'électricité? Même en France, après la dérégulation, sait on que le seul responsable d'un écroulement du système électrique ne serait plus le PDG d'EDF mais le Ministre? En effet, les responsabilités qui étaient celles du PDG d'EDF sont désormais éclatées entre les PDG des producteurs (EDF, Suez-GDF, Direct Energie, etc.), celui de RTE, celui d'ERDF, et la CRE. Seul le Ministre a autorité sur cette basse cour. Que sera-ce dans un cadre européen? Devra-t-on s'adresser au Commissaire à l'Energie? Mais, dans la mesure où n'existerait pas de politique commune de production et distribution de l'électricité, comment pourrait s'exercer sa responsabilité?
Plutôt que d'accepter les projets pharaoniques de transport d'électricité de la Commission il serait beaucoup plus sage de revenir à des collaborations bien définies entre états.
[6]
Commentaire par Dauphin Francois
mardi 08 février 2011 20:39
Concernant l’utilisation des centrales nucléaires pendant la nuit je crois sincèrement que le meilleur usage que nous puissions en faire, à moyen terme, sera de recharger nos voitures. Le développement du parc est certes encore limité mais le passage de l’intégralité des véhicules particuliers sur recharge électrique engendrera un besoin minimum de 30 000 MW largement plus que ce dont nous disposons en surplus aujourd’hui. Vous mentionnez la difficulté de compréhension des choix Allemands en matière énergétique. Il convient de mentionner que cela leur permet de disposer d’une balance commerciale largement excédentaire (PV, éolien) et d’une bonne longueur d’avance sur les technologies d’économie d’énergie (et probablement smart grids dans un proche avenir). En revanche je pense que ce dont les Allemands auront le plus rapidement besoin, avec plus de 130 000 MW d’énergie fatale en ligne dans 10 ans sont les services de réserves primaires … ce que ne fournissent pas vraiment les centrales nucléaires. Ces services vaudront de l’or et il faudra leur vendre comme tels.
[7]
Commentaire par Nifenecker
mardi 08 février 2011 22:01
Je ne comprends pas bien votre évaluation des besoins liés au développement des voitures électriques.
Tout d'abord les besoins doivent être estimés en énergie, non en puissance. Supposons un parc de 1 millions de VE, dotés de moteur d'une puissance de 10 kW fonctionnant une heure par jour en moyenne. On a donc besoin, chaque jour de 10 GWh. En supposant que la recharge ait lieu pendant 5 heures de nuit en heures creuses. On aura donc besoin d'une puissance de 2 GWe chaque nuit pendant les 5 heures. Aujourd'hui, selon les courbes données par RTE la production nucléaire en heures creuses est inférieure de 1,5 GWe à celle obtenue en heures pleines. Par ailleurs, une partie importante de la production nucléaire en heure creuse est exportée puisque (aujourd'hui) le solde exportateur est de 1800 MW en heure pleine et de 4800 MW en heure creuse, soit une variation 3000 MW. En ajoutant les deux termes on voit qu'on pourrait disposer de 4,5 GW en heures creuses, soit suffisamment pour plus de 2 millions de VE, sans avoir à augmenter le parc de réacteurs.
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