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Bertrand Monthubert ("Sauvons la Recherche") réagit au programme Sarkozy


jeudi 31 mai 2007

Sauvons la Recherche (SLR) est un collectif constitué en mars 2003 pour réagir à une baisse drastique des crédits et des recrutements. Nous avons demandé à son porte-parole Bertrand Monthubert son sentiment sur le programme du président Nicolas Sarkozy en matière de recherche et d’enseignement supérieur.


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La recherche a occupé une place inhabituelle dans cette campagne. Pensez-vous qu’il s’agit d’un tournant pour la recherche ou simplement d’un effet de mode électoral ?

default textEffectivement, il y a aujourd'hui une conviction très largement partagée de l'importance de la recherche pour l'avenir de notre pays. Pour autant, derrière cette prise de conscience il y a des visions extrêmement différentes du rôle de la recherche. Tout le monde s'accorde sur le fait que la recherche aura un rôle dans le développement économique. La question qui sans doute fait une vraie différence, c'est de savoir si la recherche n'est là que pour répondre à cet objectif économique ou bien si elle a aussi une dimension connexe qui est celle du développement de la connaissance.

Nicolas  Sarkozy envisage de réformer les grands  instituts comme le CNRS en agences de moyens, sur le modèle des agences américaines. Pourquoi cela vous inquiète-t-il ?

D'abord, je ne dirais pas que c'est sur le modèle des agences américaines. Le paysage américain est un paysage très éclaté. C’est celui d'un très grand pays, de nature fédérale, ou le nombre d’établissements universitaires est considérable, et qui n'a pas de tradition de centralisation. En France, au contraire, il y a une tradition de centralisation et d’homogénéité. Toutes les universités ont le même statut, ce qui n’est pas du tout le cas aux Etats Unis.

Nous avons un certain nombre d’organismes nationaux de recherche et la difficulté est au contraire plutôt la gestion au niveau local.

Etes-vous opposé au principe lui même d’une agence de moyens, ou simplement au fonctionnement de ce type d’agence, comme l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) mise en place par le dernier gouvernement ?

Il y a les deux. Il y a le problème du fonctionnement mais il y a quelque chose de plus profond.
Les chercheurs, lorsqu’ils en auront besoin, vont devoir répondre à un appel d’offres de l’ANR. Il leur faudra d’abord correspondre aux dates fixées, il faudra ensuite que leur projet soit évalué. Au total il peut se passer un an et demi. En termes d’efficacité, ce n’est pas terrible ! À partir du moment où l’on décide que pour chaque projet il va falloir passer par cette démarche lourde, on a quelque chose qui devient bureaucratique. Nous proposons d’une part d’améliorer l’évaluation, et d’autre part de donner plus de latitude aux laboratoires.

Le programme de Nicolas Sarkozy contient également un investissement supplémentaire de 4 milliards d’euros dans la recherche publique. Avez-vous plus de visibilité sur la façon dont cette enveloppe va être investie ?

La grande question c’est effectivement de savoir  où seront réinjectées les mannes financières. Manifestement, une grande partie serait réinjectée au niveau de l’ANR avec quand même une volonté de concentrer l’argent sur un certain nombre de thématiques censées être prioritaires aujourd’hui. C’est un grand sujet d’inquiétude parce qu’on sait bien que la recherche a besoin de se développer dans l’ensemble des secteurs de la connaissance. On ne peut pas prévoir aujourd’hui quels sont les secteurs qui seront cruciaux demain.

D’autre part, il se peut qu’un projet de loi soit engagé très rapidement, ce qui nous semble très préoccupant. D’abord parce que nous n’avons pas du tout été contactés ni consultés, ce qui n’est pas une grosse surprise. Ensuite parce que modifier de façon importante les universités – c’est d’ailleurs nécessaire – suppose de s’appuyer sur l’expertise de ceux qui en sont les acteurs. Faire les choses dans le secret des cabinets ministériels et essayer par la suite de les imposer a été tenté à de multiples reprises dans le passé. Les réformes ont toujours été arrêtées. C’est le meilleur moyen finalement pour ne rien faire ! Ce que nous demandons au nouveau pouvoir, c’est d’être dans une démarche de concertation avec ceux qui font l’enseignement supérieur et la recherche.   

Aujourd’hui la recherche publique française est assez complexe dans son organisation (avec les instituts comme le CNRS, les universités, les grandes écoles). Quelle est votre position sur la réforme nécessaire de ce système ?

La complexité était épouvantable et elle est devenue insupportable. Depuis trois ans, on a créé une multitude de structures (l’ANR, les cancéropôles, les pôles de compétitivité, les RTRA...). Ce qu’on demande, c’est que les laboratoires retrouvent une capacité de financement pour ne pas être obligés d’aller chercher en permanence de l’argent auprès de la région, des différentes agences, des différents pôles et au niveau européen.

Nicolas Sarkozy souhaite donner plus d’autonomie aux universités (autonomie budgétaire et capacité de recrutement). Y êtes-vous favorable ? 

Qu’est-ce que la capacité de recrutement ?  Il y en a de deux sortes. Celle de créer des emplois et celle de choisir ensuite qui on emploie sur un poste donné.
Si on parle de la capacité de créer des emplois, effectivement, elle n’existe pas et je ne sais pas si on pourra véritablement le faire demain. C’est avant tout un problème budgétaire, ce n’est pas un problème d’autonomie.

Sur la capacité de décider qui on recrute, c’est quand même aujourd’hui dans les universités que la décision est prise. Evidemment, ce n’est pas le président d’université lui-même. Franchement, dans quelle université au monde verrait-on cela ? Il est clair que ce sont des comités de spécialistes qui doivent le faire. La question de l’autonomie, c’est de savoir avec quels moyens une université va fonctionner, puisque tout le monde est d’accord pour dire aujourd’hui que les universités sont dans une situation de sous-financement catastrophique.


Les classements internationaux d’universités (notamment celui de Shanghaï) sont très défavorables aux universités françaises.  Que suggérez-vous pour que l’on voit émerger de grandes universités qui rayonnent sur le plan international ?

C’est une question très compliquée. Effectivement, la question de la lisibilité est une question réelle. Nous venons de proposer la mise en place des PRES (Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur) qui avaient justement comme objectif de rassembler sur une échelle territoriale des universités et des grandes écoles pour mieux définir les répartitions des rôles et favoriser surtout l’utilisation du potentiel de recherche existant à l’échelle d’un territoire. Aujourd’hui, on a une multitude d’établissements universitaires dans lesquels il y a des gens qui ont une capacité à faire de la recherche mais qui n’en ont pas les moyens. C’est du gâchis.

Cependant, il faut faire attention à ce que les objectifs assignés à l’enseignement supérieur ne soient pas uniquement d’apparaître à une bonne place dans les classements internationaux. C’est aussi tout simplement de répondre aux besoins de formation du pays. Il faut faire attention à ne pas tomber dans une logique où, au nom de la lisibilité, on sacrifierait l’autre mission.

Les jeunes chercheurs sont soit recrutés par les grands organismes (CNRS, INRA, …) et ne font que de la recherche, soit par les universités et ont une charge d’enseignement qui est très importante et parfois les empêche de faire de la recherche.

D’une part, ils ont cette charge d’enseignement qui est plus importante que celle des jeunes chercheurs à l’étranger. D’autre part, de nombreux jeunes sont nommés dans de petits établissements où ils n’ont pas d’endroits pour travailler. On paye des gens pour exercer une activité de recherche et finalement on ne leur en donne pas les moyens. Ce que nous avions proposé, c’est de mieux mettre en réseau les différentes personnes pour qu’elles puissent trouver un lieu où travailler. Et à partir du moment où des regroupements se font, une partie de la question de lisibilité est prise en charge.

Pour terminer, comment envisagez-vous le rôle de « Sauvons la recherche » pour les cinq années à venir ?

Je l’envisage comme il l’a été au départ. Notre rôle est d’essayer d’expliquer à l’ensemble du pays - on ne s’adresse pas seulement à des chercheurs mais à l’ensemble des gens - quels sont les problèmes qui se posent dans la recherche et quelles peuvent être les solutions.

Nous avons le sentiment que domine une vision de court terme vis à vis de la recherche. Or nous savons que de grands défis sont devant nous qui vont nécessiter un effort de recherche dans des secteurs que l’on n’imagine pas déterminants à ce jour. Nous allons continuer à faire ce travail pédagogique vis à vis du grand public et des politiques. Si l’on engage une réforme de la recherche fondée sur une vision à court terme, je suis persuadé que l’on va casser la recherche de demain.   

Bertrand Monthubert est le président de Sauvons La Recherche et par ailleurs maître de conférence à l’Université Paul Sabatier de Toulouse III.
Interview réalisée par le portail d'informations scientifiques Scitizen.com