Par Eloi Laurent
Auteur
Eloi Laurent est économiste à l’OFCE et enseignant à Sciences-po, Stanford University et au Collège des Hautes Etudes européennes.
Non, la crise n'est pas bonne pour le climat
Par Eloi Laurent
jeudi 23 avril 2009
On dit ici ou là que la récession, en faisant reculer la croissance, réduit les émissions de gaz à effet de serre et est donc bonne pour le climat. Pas sûr !
La crise globale a d’innombrables inconvénients apparents mais elle est censée présenter un avantage caché : en paralysant l’activité économique, elle réduirait les émissions de gaz à effet de serre et contribuerait ainsi à reculer la crise climatique. Cette thèse, entendue ici ou là, mérite d’être prise au sérieux et examinée de près.
Premier argument : la crise globale a réduit en 2008 et réduira encore en 2009 les émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce point paraît incontestable, et on peut l’illustrer par l’affirmation suivante : la récession planétaire va permettre d’atteindre dès 2008 l’objectif fixé en 1997 par le Protocole de Kyoto, soit, pour les pays développés, une diminution de 5,2% entre 2008 et 2012 des émissions de GES par rapport à leur niveau de 1990. Le dernier relevé des Nations Unies porte à 4,7% la réduction des émissions entre 1990 et 2006, et la comparaison des taux de croissance mondiaux des émissions et du PIB depuis 1990 ne laisse guère de doute sur la force de la corrélation entre ces deux paramètres (le coefficient de corrélation linéaire atteignant 0,52). Le phénomène vaut d’ailleurs pour la France (même si dans son cas la corrélation sur l’ensemble de la période est très faible) : en 1993, le PIB a baissé de 0,9% et les émissions françaises ont reculé de 4,4%. Mais qu’en est-il de l’impact durable de la décroissance économique sur le climat ?
En réalité, la réduction de la croissance du PIB mondial ne diminue que faiblement le niveau total des émissions de GES, qui détermine leur concentration atmosphérique. Surtout, la dernière reprise économique mondiale, après 2001, s’est traduite par une explosion des émissions, qui ont bondi de 20% en cinq ans entre 2001 et 2006. Autrement dit, si le flux mondial de gaz à effet de serre va à coup sûr fortement baisser en 2008 et 2009, avec une intensité en carbone de la croissance inchangée, ce progrès apparent pour le climat sera effacé en quelques années à peine.
Or, c’est justement sur la question des incitations économiques nécessaires au développement d’une croissance faiblement intensive en carbone que la récession mondiale est la plus néfaste. L’évolution récente du marché européen des droits à polluer permet par exemple de s’en convaincre. Les données qui viennent d’être rendues publiques par la Commission européenne, sont, là encore de prime abord, plutôt rassurantes : les émissions de GES des quelque 11 000 installations comprises dans le marché du carbone européen (qui représentent environ 40% des émissions totales dans l’UE) sont en baisse sensible en 2008, de 5,5%. Mais, du coup, les allocations de permis à polluer distribuées par les Etats membres et dont le plafond a été fixé par la Commission européenne en 2007, excèdent les émissions constatées. Le résultat est une lourde chute du prix de la tonne de CO2, qui, après avoir atteint 29 euros en juillet 2008, oscille désormais autour de 11 euros (soit, à titre d’illustration, environ un tiers du prix tutélaire du carbone recommandé en 2008 par la Commission Quinet).
Mais le brouillage du signal-prix du carbone par la crise globale va bien au-delà du seul marché des droits à polluer européen, dont l’évolution montre qu’il n’est que temps de sérieusement le réformer. L’effondrement du baril de pétrole, dont le prix a été quasiment divisé par trois depuis l’été 2008, dérègle les incitations financières naissantes vers l’investissement « vert », qui chute de manière importante dans certains secteurs, même si son horizon est plus long que le temps, que l’on espère court, de la crise (1)De même, les nouvelles technologies de l’environnement et de l’énergie, comme la capture et le stockage du carbone (CSC), voient leur seuil de rentabilité s’éloigner dangereusement avec la baisse du prix des énergies fossiles (l’IEA estime que la CSC coûte aujourd’hui entre 40$ et 90$ la tonne de CO2). On pourrait ajouter d’autres régressions en cours, comme la baisse probable de la consommation de produits « verts », pour l’heure plus chers que leurs concurrents conventionnels, sous l’effet de la baisse du pouvoir d’achat des ménages (même si à terme certains de ces produits se révèlent plus économiques).
La décroissance économique apparaît donc, après examen, comme une réponse de courte vue à la crise climatique car ses effets écologiques bénéfiques sont en trompe l’œil : la crise globale ralentira les mutations structurelles économiques nécessaires à l’avènement inévitable d’une croissance faiblement intensive en carbone et respectueuse des écosystèmes, au lieu de les favoriser. En revanche, si la grande récession conduisait à de véritables relances vertes (pour l’instant bien trop timides), à la mise en œuvre de fiscalités environnementales puissantes mais budgétairement neutres et favorables à l’emploi, et finalement à un accord ambitieux à Copenhague en décembre prochain débloquant des incitations aujourd’hui grippées, on pourrait attendre avec moins d’appréhension écologique la future reprise économique.
(*) L’indice WilderHill New Energy Global Innovation, qui regroupe 85 entreprises de 21 pays du monde spécialisées dans les « green tech », a ainsi été divisé par 2,7 depuis juillet 2008, tandis que le Dow Jones était divisé par 1,45 sur cette période.
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