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François Lépine : "la liaison Lyon-Turin va permettre un rééquilibrage rail-route"


samedi 14 avril 2007

M. François Lépine est co-président de la société franco-italienne Lyon-Turin Ferroviaire, formée pour préparer financièrement et techniquement la future liaison par rail entre Lyon et Turin, et notamment le long tunnel creusé sous les Alpes. Il répond aux questions de Newsteam.


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Un dossier complet, avec une vidéo-débat montée de 15 minutes, un papier général, des encadrés, les sites utiles, les infographies, peut être acquis. Voir le dossier sur le site de l'agence Newsteam
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Pourquoi construire ce nouveau passage franco-italien, qui se superpose au passage Fréjus/Mont-Cenis, à mi-chemin entre le tunnel du Mont-Blanc au nord, et Vintimille au sud ?
La ligne entre la France et l'Italie existe depuis Cavour, avec le tunnel ferroviaire du Mont Cenis commencé en 1857 et terminé en 1871. C'est une ligne efficace, mais  plutôt archaïque. La décision des gouvernements français et italien a été de spécialiser ce passage sur le transport des marchandises. Il y a actuellement 9.500 poids lourds par jour sur les passages franco-italiens, du Mont -Blanc à Vintimille, soit 1.800.000 véhicules par an. Si rien n'est fait , ce chiffre passera à 2 millions, deux millions et demi, ce qui est difficilement acceptable tant pour la sécurité que pour l'engorgement des vallées alpines, voire de la vallée du Rhône.
Les travaux ont commencé, ce n'est plus seulement un projet, ce sont de grands chantiers. Pour accéder à l'axe du futur tunnel, nous avons réalisé des "descenderies". Il y en a trois du côté français. Elles représentent 9.000 mètres à creuser, nous en avons déjà réalisé 5.000 mètres et dépensé presque 600 millions d'euros.

La liaison Lyon-Turin va permettre de charger des camions sur des wagons et leur faire passer la montagne. Une ligne de ce type existe déjà, par le tunnel du Mont-Cenis entre Aiton et Orbassano. On appelle cela une "autoroute ferroviaire".  En quoi la nouvelle ligne va-t-elle "booster" l'ancienne ?
La liaison existante est une liaison expérimentale. Sur le plan technique, avec des wagons Modalohr à plateforme pivotante et un chargement des camions différent de ce qui est connu sous le tunnel sous la Manche. Expérimentale aussi car elle n'est pas cadencée, c'est à dire sans navettes fréquentes, toutes les demi-heures ou toutes les 40 minutes, comme devrait l'être une autoroute ferroviaire. Cette liaison du Mont-Cenis emprunte aussi les caractéristiques du tunnel existant, qui est un tunnel de faîte, là où la montagne est moins épaisse,  avec 700 m de dénivelé de part et d'autre. Les locomotives doivent donc être multipliées - trois machines, une qui tire et deux qui poussent - ce qui est assez compliqué. La capacité de ce type de liaison avec ce type de tunnel ne pourra jamais excéder les 200-220 trains par jours. Avec le tunnel ferroviaire nouveau, la capacité montera à 3-400 trains par jour.
Cela permettra un rééquilibrage rail-route. Aujourd'hui, les échanges sont déséquilibrés. Entre la France et l'Italie, 80% se fait par la route, 20% par le rail. La volonté de la France de l'Italie est d'aboutir à un transfert modal permettant d'aller vers un rapport 50-50 dans les années 2020-2030, soit une capacité de 40 millions de tonnes, contre 7 millions de tonnes à l'heure actuelle.

Passons en revue les conséquences écologiques du projet. Moins de poids lourds, donc moins d'émissions de CO2 et de fumées polluantes ?
Oui. Les experts considèrent qu'un million de poids lourds prélevés sur la route, c'est 360 tonnes de CO2 qui ne vont pas dans l'atmosphère. Le fait que ce soit l'énergie électrique qui fasse mouvoir les trains n'est pas négligeable non plus en amont pour ce qui est de l'utilisation des énergies fossiles.

La sécurité, après les dramatiques accidents du Mont-Blanc et du Mont-Cenis, sera-t-elle améliorée ?
Le projet est axé, comme ceux du Lötschberg et du Saint Gothard en Suisse ou du Brenner entre l'Italie et l'Autriche, sur le principe de deux tubes, un par sens, qui peuvent communiquer bien sûr mais qui assurent donc une unicité de parcours. Et tout le monde considère que les accidents ferroviaires sont infiniment moins probables que les accidents routiers.

Le chantier provoque lui-même des nuisances. On a trouvé des roches amiantées. Et les déblais sont considérables.
L'amiante existe, moins qu'on ne l'a dit. La législation est très claire. La législation est draconienne pour que les ouvriers ne soient pas atteints. Et les roches amiantées doivent être stockées dans des dépôts spéciaux, confinés en quelque sorte. Cette question-là fait moins débat aujourd'hui.
Les déblais sont la principale pollution des chantiers, si je puis dire. Ils représentent l'équivalent d'une douzaine de pyramides de Kheops. Dans l'enquête publique, nous avons montré les sites où seront déposés les déblais. Il n'y a pas d'objection, hormis sur un site. En outre, 40% de ces déblais sont réutilisés immédiatement pour fabriquer du béton, le reste étant déposé dans les sites et carrières, acheminés par des moyens non polluants.

Comment le projet s'inscrit-il dans un ensemble européen, qu'il s'agisse des projets alpins, des autoroutes ferroviaires comme celle qui ouvre le 29 mars entre Perpignan et le Luxembourg, ou de la politique européenne des transports en général ?
L'ensemble des pays riverains des Alpes ont décidé, dans une "convention alpine" axée sur le préservation de l'environnement, de ne plus percer aucune voie routière à travers les Alpes. C'est une décision très importante.
D'autre part, le développement des échanges de marchandises, notamment par l'arrivée des nouveaux pays de l'Est, engendre un trafic important à l'est de  l'Europe. Cela justifie que l'Europe se préoccupe du transfert modal, avec différents  moyens, que ce soit les tunnels ferroviaires ou d'autre solutions, comme les autoroutes maritimes.

Les coûts peuvent-il remettre en cause la décision de finir le projet ou de modifier le calendrier ?
C'est un projet coûteux : 7,5 milliards d'euros, valeur 2006, essentiellement avec des fonds d'origine publique, Europe ou Etats. Le financement privé ne va permettre d'amortir que 15% au maximum. Mais les gouvernements français et italiens -qui ont été de gauche et de droite dans chaque pays- ont manifesté à chaque fois leur volonté. Je ne vois pas de raison majeure pour laquelle le calendrier serait fondamentalement remis en cause : 2010 pour le lancement de l'opération, 2012 pour le début des travaux en 2012 et 2020 pour l'achèvement. C'est une date raisonnable.

Propos recueillis par Jean-Luc Prigent et Yves de Saint Jacob
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