Par Eric Fromant
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De formation scientifique (docteur es-chimie-biochimie) et de gestion (Executive-MBA HEC), Eric Fromant a travaillé dix ans au sein du CEN (Comité européen de normalisation) et a été dirigeant de plusieurs...
La révolution verte : vers une économie de fonctionnalité
Par Eric Fromant
lundi 28 septembre 2009
La chaîne Energie vous invite à poursuivre le débat sur les perspectives d'une nouvelle société "post-pétrole" : le progrès technologique sera-t-il le moteur ? faut-il une nouvelle idée de la propriété, une mutualisation des services ?
La chute de compétitivité des économies développées constatée durant les années 1990 – 2000 a été fondée sur un modèle économique qui touche à sa fin.
La reconversion de l’économie initiée par diverses mesures gouvernementales doit être accélérée pour que notre pays entre parmi les premiers dans la nouvelle période qui inverse les priorités des décennies précédentes et remet en cause une croyance fausse : la relation de proportionnalité entre profit et chiffre d’affaires dans un secteur donné.
Durant la deuxième moitié du XXème siècle s’est développée la production de masse standardisée. Elle permettait, via la courbe d’expérience, de réduire les coûts par un recours de moins en moins important à la main d’œuvre, d’abord en quantité, puis en qualité, via des machines de plus en plus performantes. Puis, pour accentuer encore la baisse des coûts, on a diminué la qualité, ce qui entraînait des volumes de production supérieurs, eux-mêmes générateurs de baisse de coûts unitaires. Le manque d’innovation dans certains secteurs imposait une guerre des prix renforçant la pression sur les coûts.
Le modèle des années 1990 – 2000 était donc fondé sur la perception d’une main d’œuvre chère qu’il fallait réduire et de ressources matérielles, énergie et matières premières, disponibles et bon marché. Cela explique le passage d’un modèle d’entreprise solidaire dans lequel la part de valeur ajoutée pouvant être attribuée au personnel ne lui était pas entièrement distribuée dans les bonnes années, mais où ce personnel était conservé dans les mauvaises, à celui dans lequel les « frais de personnel » sont considérés comme une variable d’ajustement.
La baisse de qualité de la main d’œuvre requise a permis de délocaliser pour bénéficier de bas coûts salariaux et sociaux. Une première contrepartie est apparue et dont tout le monde est conscient aujourd’hui : un recours considérable aux transports, lesquels correspondent à une surconsommation d’énergie et de matières premières[1].
Or, justement, c’est le terminus du modèle. Dans le ‘’modèle ancien’’, le ratio main d’oeuvre/énergie + matières premières était grand parce que la main d’oeuvre coûtait cher et que les ressources matérielles étaient bon marché. Mais le développement de ce modèle économique, magnifié par son adoption par les pays émergents[2] a provoqué un enchérissement des ressources. La pause due à la crise nous laisse un peu (pas beaucoup) de temps pour reconvertir notre économie. Si la croissance mondiale repart, ce sera l’envolée des prix de l’énergie et des matières premières parce qu’il n’y en a pas pour tout le monde dans ce modèle désormais ancien. Dès lors, la logique doit être inversée : la baisse des coûts devra concerner l’énergie et les matières premières, donc leur réduction en quantité.
Peut-on maintenir une main d’œuvre à bas prix dans le modèle moderne ? Non, parce que la réduction du coût ‘’énergie + MP’’ passe par une plus grosse valeur ajoutée. Est-ce grave pour les entreprises ? Pas du tout ! En développant une politique de réutilisation des composants des machines en fin de vie, et de réparation éventuelle de ces composants, Xerox a doublé le coût de sa main d’œuvre, mais ce surcoût a été plus que compensé par les économies d’énergie et de matières premières : 200 millions de dollars de profits supplémentaires en 1999 grâce à cette politique !
Quel est donc ce « modèle moderne » ? L’économie de fonctionnalité que le Grenelle de l’environnement a validé en lui attribuant un groupe de travail[3].
Dans la logique du développement durable qui consiste, notamment, à découpler la croissance de la consommation d’énergie et de matières premières, l’économie de fonctionnalité apporte le remplacement de la vente de bien par celle de l’usage du bien. C’est Michelin qui facture les kilomètres parcourus par les camions équipés de ses pneus au lieu de les vendre, c’est Xerox ou Lexmark qui facture les photocopies à l’unité, au lieu de vendre ou de louer les machines, c’est JC Decaux et la mairie de Paris qui louent des Vélib’ au lieu de vendre des vélos.
Une autre formule peut contribuer à cadrer le sujet : ‘’Passer de l’économie du chiffre d’affaires à celle de la valeur ajoutée.’’ En effet, la deuxième moitié du 20ème siècle nous a laissé penser qu’il fallait immanquablement augmenter son chiffre d’affaires pour augmenter ses profits. Or cela est faux. Le coût des communications téléphoniques a considérablement baissé et pourtant, les opérateurs n’ont jamais été aussi riches, leur marge s’étant accrue bien au-delà de leur chiffre d’affaires !
Objection classique : pour économiser énergie et matières premières, il faut accroître la durée de vie des produits, et cela va tuer l’innovation. Cela vient d’une conception restreinte de l’innovation. D’une part l’expérience montre que ce n’est pas le cas : les bateaux en métal ont remplacé les bateaux en bois parce qu’ils étaient plus durables ; le succès des bas en nylon apportés par les Américains après 1945 vient du fait qu’ils ne « filaient pas » (le bas nylon ne peut être remmaillé, mais sa durabilité était telle qu’il a balayé son prédécesseur); la fiabilité, et donc la durabilité des avions ne fait pas débat, or l’industrie aéronautique va très bien pendant que GM est en faillite ! D’autre part, l’exemple d’IBM qui a privilégié la baisse des coûts a conduit à la vente de la division PC à son sous-traitant chinois pendant que Apple, misant sur l’innovation, créait des emplois et était une des stars de la bourse.
En vérité, l’économie de fonctionnalité suscite une réorientation de l’innovation. Les exemples étudiés montrent que les entreprises n’ont pas renoncé à innover, bien au contraire, car la concurrence les y pousse et le changement de modèle économique auquel elles adhèrent suppose une mise à jour de l’ensemble de leur fonctionnement. L’innovation touche toutes les fonctions de l’entreprise et ne se limite pas au produit, d’autant qu’il n’y a pas d’économie de fonctionnalité sans ensemble intégré « produit + service ». Le Velib’ est une innovation alors que le vélo date de deux siècles. Même remarque pour la voiture en libre service que la Mairie de Paris veut lancer prochainement.
Durabilité des biens signifie fiabilité mais aussi maintenabilité. Or, c’est aussi sa maintenabilité qui ouvre la voie de l’innovation : elle permet de faire évoluer les composants pour une fonction donnée, elle permet d’ajouter des fonctions. Si la maintenabilité a été intégrée lors de la conception, le produit est évolutif alors que dans le modèle ancien, il n’y a pas de progrès sans renouvellement du produit (d’où la prolifération des déchets et une dilapidation de l’énergie et des matières premières).
C’est aussi en découplant la création de richesse de la consommation de matière qu’il est possible pour l’entreprise de concilier augmentation du profit et diminution de la pollution. Or, l’extension de la responsabilité juridique du producteur sur l’ensemble du cycle de vie ne peut que contribuer au passage à l’économie de fonctionnalité. Cette évolution est très visible dans la réglementation européenne et le devient de plus en plus au niveau mondial, via la mondialisation des normes et la pression « environnementale ».
De ce point de vue, une politique de taxation du contenu carbone (l’énergie bien sûr, mais n’oublions pas les matières premières qui en contiennent nécessairement), loin d’être un surcoût supplémentaire et économiquement négatif, contribuerait à accélérer la reconversion de notre économie. Compte tenu de l’avenir décrit plus haut, les entreprises encore craintives parce que percevant encore mal le changement d’époque, donc des facteurs clés de succès, seront les premières bénéficiaires des mesures « contraignantes » que pourraient prendre le gouvernement pour les pousser à leur reconversion. Loin d’être une immixtion dans une économie de marché où l’initiative doit principalement venir des entreprises, il s’agit au contraire, pour l’Etat, de jouer son rôle en installant les infrastructures qui assureront aux entreprises un environnement porteur à long terme.
Conclusion
L’économie de fonctionnalité a déjà suffisamment d’exemples d’application pour n’être plus seulement un concept théorique. Elle participe à la dématérialisation de l’économie (décroissance de la notion de bien, remplacé par celle de l’usage, réduction des composants matériels, accroissement de la part des services), déjà constatée dans divers secteurs.
Lorsque Carlos Ghosn déclare en 2005[4] « Le véhicule hybride est une belle histoire mais ce n’est pas celle du profit », il pense que responsabilité écologique et réussite économique sont incompatibles. En 2009, lorsqu’il annonce un véhicule électrique qu’il vendra sans batterie pour le placer au niveau de son équivalent Diesel, les batteries étant louées, il entre empiriquement dans la logique de l’économie de fonctionnalité, mais il lui manque une étape car il s’arrête à la location au lieu d’aller directement à la vent de l’usage. Demain, un gestionnaire de parc jugera que louer au forfait des batteries qui n’auront pas exactement la même capacité de recharge n’est pas la meilleure option et passera à un concurrent qui fournira des batteries compatibles avec paiement à la recharge. Renault s’adaptera, mais paiera le coût de deux étapes au lieu d’une pour « entrer dans le monde d’après » selon la formule du MEDDM.
Il reste à diffuser cette information mature et à obtenir des pouvoirs publics et des autres parties prenantes (patronat et syndicats) qu’ils prennent en compte la nécessité d’une mutation indispensable au retour de la croissance dont notre pays a un besoin urgent pour créer des emplois et se désendetter.
[1] Avec émissions de gaz à effet de serre
[2] Aujourd’hui clairement ‘’émergés’’ en termes de consommation des ressources de la planète
[3] Chantier 31 ; groupe d’études sur l’économie de fonctionnalité co-dirigé par JM Folz et D. Bourg
[4] http://energie.lexpansion.com/articles/actu-energie/2009/08/Comment-le-vehicule-electrique-s-est-impose-a-Renault/
Idée à promouvoir absolument.
L'innovation pour durer doit avoir l'appui des medias sur le long terme et non sur celui du seul "scoop" ; merci donc de mettre vos colonnes au service de l'économie de fonctionnalité sur les années à venir de façon constante, récurrente et d'accompagner la réflexion sur le développement humain depuis la lorgnette du profit et du progrès par, non plus celui du seul chiffre d'affaires, mais plutôt par celui de la valeur ajoutée, terme plus précis, compréhensible et quantifiable que le bonheur façon Stiglitz.
D'avance merci pour l'écononomie de fonctionnalité.
Bien à vous.
Il ressort de cette visite que la compétitivité vient du fait que si l'énergie est un peu plus chère il y a relocalisation des richesses et réduction des externalités.
Il y a aussi une forte réduction du chômage et de nombreuses pathologies qui grève tant nos budgets de santé.
Au total la compétitivité de l'ensemble est élevée.
On retrouve le même phénomène sur l'île de Samso, toujours au Danemark.
Il n'y a rien à craindre à développer les énergies nouvelles.
[Réponse de l'auteur]
Merci pour vos deux ocmmentaires positifs. Je les apprécie. Auriez-vous un lien ou plusieurs, me permettant d'avoir des détails sur ces écovillages et leurs avantages ? Cordialement EF