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Auteur
Olga Gerasimchuk est doctorante au Centre de Recherche Europe-Eurasie, à l'INALCO (Institut national des Langues et Civilisations orientales).

Gaz : la Russie regarde vers la Chine


mercredi 10 septembre 2014

L'accord russo-chinois sur le gaz est passé un peu inaperçu. Il s'agit pourtant d'une stratégie à long terme de Vladimir Poutine, qui dépasse la seule crise ukrainienne.


Attendu depuis plus d'une décennie par Moscou,  le contrat sino-russe finalisé le 21 mai 2014 prévoit la fourniture de 38 milliards de m3 par an vers la Chine à partir de 2018, dans le meilleur des cas.

Ce délai est le temps nécessaire pour la construction du gazoduc « Force de la Sibérie », ainsi que pour l'exploitation de nouveaux gisements, qui alimenteront le marché chinois.
    
Une première étape

Si une redirection massive de fournitures gazières russes vers l'Asie n'est pas à l'ordre du jour, l'Europe doit cependant rester vigilante quant à la demande croissante en hydrocarbures des pays asiatiques, qui pourrait à terme entrer en concurrence directe avec ses propres besoins énergétiques.  Selon le rapport d'information Moody's Investors Service, ce projet ne constitue qu'une première étape vers la conquête du marché énergétique chinois. La dernière déclaration du président russe Vladimir Poutine sur l'éventualité d'une participation des investisseurs chinois dans le projet d'exploitation du gisement Vankorskoye confirment encore plus la volonté de Moscou de réorienter ses relations économiques vers l'Asie.

Au premier coup d'oeil, il semble que ce rapprochement avec la Chine fortement souhaité par Moscou résulte de l'actuelle confrontation avec l'Occident dans le contexte du conflit en Ukraine et des trois vagues successives de sanctions économiques imposées par l'Union européenne. Celles-ci ont touché le secteur pétrolier aussi bien que gazier. La Russie a une forte dépendance vis-à-vis des investissements occidentaux, mais aussi et surtout des nouvelles technologies, indispensables pour la mise en valeur des gisements dits « difficilement exploitables ». Ainsi la viabilité de nouveaux projets russes sur la presqu'île de Yamal et l'île de Sakhaline pourrait être mise en question.

Un projet qui vient de loin

Cependant, la crise politique ukrainienne n'est pas vraiment à l'origine de ce rapprochement économique, et n'a servi que de catalyseur d'un futur tandem énergétique Moscou-Pékin. Ce rapprochement a commencé bien avant et a logiquement résulté d'un ensemble d'obstacles rencontrés par Gazprom sur le marché européen de l'énergie :

- tout d'abord l'apparition de nouveaux acteurs énergétiques sur le marché gazier d'Europe tels le Qatar, qui par ses fournitures de GNL, concurrence déjà le gaz naturel russe acheminé par pipeline. Même si une bonne partie de son gaz est transporté vers l'Asie-Pacifique, le Qatar a réussi à augmenter son volume d'exportation gazière vers l'Europe de 10 milliards de m3 à 22 milliards de m3. Les flux du GNL qatariote vendus sur les marchés « spot » ont également remis en question les fournitures gazières russes vers l'Europe, importées jusqu'alors dans le cadre de contrats de long-terme, si chers à Gazprom. En conséquence, en 2012 le monopole russe a vu ses clients européens exiger que les prix prévus par ces contrats soient renégociés, et demander des concessions tarifaires importantes.

- d'autre part, la stratégie gazière de Gazprom d' »encerclement » de l'Europe par la toile de ses gazoducs, va à l'encontre de la politique européenne de diversification de ses sources d'approvisionnement. L'Europe, qui importe aujourd'hui environ 30 % de son gaz de la Russie, cherche à desserrer l'étau russe. Elle souhaite ressusciter le projet Nabucco, qui prévoit le transport direct du gaz d'Azerbaïdjan et du Turkménistan vers l'Europe, en contournant le territoire russe. Le blocage par l'UE du projet alternatif russe South Stream procède de la même logique.
 
Les avantages du marché européen

Comme le confirment les analystes de Moody's, les accords commerciaux sino-russes qui ont suivi la conclusion du contrat permettront à la Russie de « réduire sa dépendance vis-à-vis du marché européen de l'énergie, où le pays est menacé par de nombreuses sanctions économiques et les risques concurrentiels ».

Toutefois,  le marché européen du gaz naturel est encore essentiel pour la Russie. C'est un marché traditionnellement stable et solvable, qui absorbe plus de 75 % de ses exportations gazières. En outre, c'est un marché géographiquement proche, qui ne demande pas aujourd'hui de gros investissements dans la construction d'infrastructure. Le système de gazoducs, construit à l'époque soviétique, fonctionne, même si il se trouve dans un état vétuste. Alors que la Russie est un acteur modeste sur le marché du GNL, mode de transport du gaz plus souple, elle reste donc dépendante du marché européen du point de vue logistique.

Il s'agit en outre d'une dépendance réciproque. Alors que l'Europe se voit dans une situation fragile d'importateur majeur du gaz et du pétrole russe, la Russie n'est pas pour autant dans une position dominante. L'économie russe est fortement dépendante de la vente des hydrocarbures, qui lui assure 52 % des recettes du budget d'État. Par ailleurs, Moscou bénéficie d'investissements occidentaux, qui lui permettent de développer son complexe énergétique, ce mécanisme géant qui demande à être modernisé. La mise en valeur de nouveaux champs gaziers en Sibérie orientale ou en zone arctique nécessite le recours à des technologies pointues, que ne possède pas encore la Russie.

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Olga Gerasimchuk est doctorante au Centre de Recherche Europe-Eurasie, à l'INALCO (Institut national des Langues et Civilisations orientales).

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