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Reportage : le nucléaire radieux du russe Rosatom


lundi 06 juin 2011

Loin d’être ébranlé par l’accident de Fukushima, le géant de l’atome affiche une confiance infaillible dans ses centrales. Visite guidée au coeur du site modèle de Volgodonsk.


La salle de contrôle baigne dans une lumière crue. Derrière son pupitre, l'opérateur pose un regard routinier sur ses écrans. Soudain, une sirène rugit. Les diodes et les cadrans qui constellent le mur s'affolent. La pièce se retrouve plongée dans le noir.
 
« Perte d'alimentation », s'exclame un ingénieur. Pendant plusieurs minutes, les hommes s'affairent. Enfin, un téléphone au timbre désuet retentit. « Le groupe électrogène s'est mis en marche », annonce un employé, tandis que les néons se rallument. Les visages se détendent, l'exercice est fini. Couronné de succès.
 
Nous sommes à Volgodonsk, bourgade du sud de la Russie. Il a fallu rouler 15 kilomètres sur une route accidentée pour arriver jusqu'à la centrale nucléaire. Au loin, derrière un monument à la Vierge qui marque l'entrée du site, deux réacteurs, massifs, arborent les couleurs nationales. A côté, des grues s'activent sur des structures métalliques. « Nous construisons une troisième unité, elle sera opérationnelle en 2014, précise Andreï Salnikov, le patron du site. Et en 2016 nous en mettrons une quatrième en production. »
 
Il est rarissime qu'une centrale russe ouvre ses portes à des visiteurs étrangers. Mais l'accident de Fukushima a changé la donne. Il faut rassurer l'opinion publique, dont la confiance dans l'atome a été ébranlée, en Russie comme ailleurs. Opération séduction, donc, dans l'un des sites nucléaires les plus modernes du pays. « Ici, àVolgodonsk, nous avons gagné quatre fois le concours national de la sécurité », s'enorgueillit Andreï Salnikov en contemplant les dômes qui abritent les réacteurs de 1 000 mégawatts.
 
Voilà onze ans que ce solide Russe travaille ici. Il a participé à la construction des deux unités, et rien ne viendra entamer ses certitudes quant à la fiabilité de la technologie maison. L'activité sismique, forte dans la région ? « Tous nos réacteurs sont conçus pour résister à un séisme de niveau 7 », dit-il. Et le risque terroriste ? Hasard funeste, une bombe venait juste d'exploser dans la ville voisine de Volgograd, ce 26 avril...« Secret défense », glisse-t-il, avant de mettre fin à l'entretien : «Dasvidania, et longue vie au nucléaire ! »
 
Un marché potentiel de 300milliards de dollars
 
Moscou, rueBolchaïa-Ordinka, au siège de Rosatom. Véritable géant, le groupe russe couvre toute la chaîne du nucléaire, de l'extraction de l'uranium jusqu'au traitement des déchets en passant par la construction des centrales. Une fusion d'EDF et d'Areva, en quelque sorte. Ici, dans ce massif bâtiment à colonnades, le drame de Fukushima semble déjà loin.
 
« L'accident n'a pas entamé notre confiance dans le développement de l'industrie nucléaire. De toute manière, il n'y a pas d'alternative », déclare Kirill Komarov, directeur exécutif de Rosatom, chargé du développement et des affaires internationales.
 
Et d'annoncer des chiffres vertigineux : « Le marché sur lequel nous comptons intervenir d'ici à 2030, en tant qu'investisseur ou que constructeur, pourrait atteindre les 300 milliards de dollars. Nous comptons construire 28 centrales en Russie et une quarantaine d'autres à l'étranger. »
 
Des chantiers en cours en Bulgarie, en Chine et en Inde...
 
Beloyarsk, Novovoronej, Saint-Pétersbourg, Volgograd...Une dizaine de projets sortent déjà de terre, comme le montre la carte. Et, à l'étranger, Rosatom, qui revendique 25 % du marché mondial, souffre-t-il de la contraction du marché ?
 
Après Fukushima, plusieurs pays ont en effet annoncé qu'ils renonçaient à leurs projets nucléaires. Les impacts sont limités, assure Kirill Komarov : « Nos principaux clients ont conforté leur intention de construire de nouvelles centrales. » Et d'énumérer les chantiers en cours - Bulgarie, Chine, Ukraine et Inde - et ceux qui vont commencer prochainement : «Nous avons signé un accord avec la Biélorussie portant sur la construction de deux unités. Et nous finançons la construction d'une centrale en Turquie, que nous exploiterons en direct. »
 
Les fréquents tremblements de terre qui dévastent la région d'Akkuyu, où cette centrale sera implantée, ne l'inquiètent-ils pas? «Nous avons soixante cinq ans d'expérience dans l'atome, nos centrales sont sûres. Les équipements de sécurité représentent 40 % de leur coût global, répond Kirill Komarov. Regardez ce qui s'est passé il y a vingt ans, lors du tremblement de terre arménien, de magnitude 6,9. La centrale a parfaitement résisté au séisme. Dès le lendemain, le réacteur a pu redémarrer.»
 
Vérification faite, la centrale de Metsamor a tout de même été fermée cinq ans et n'a été « rallumée » qu'en 1995.Elle reste aujourd'hui considérée comme l'une des moins sûres du monde.
 
Les représentants de l'atome à bas prix montrés du doigt
 
Ce qui frappe, chez les responsables russes, c'est la grande assurance des propos. On aurait pu penser qu'après Fukushima les grands acteurs du nucléaire feraient le dos rond. Ce n'est pas le cas de Rosatom, ni d'ailleurs de son principal concurrent, le français Areva. « S'il y avait eu des EPR à Fukushima, il n'y aurait pas eu de fuites », a déclaré sa patronne, Anne Lauvergeon, lors de son audition à l'Assemblée nationale, en mars dernier.
 
De fait, les deux groupes ont la même démarche : pour se relever de Fukushima, il faut remettre la sûreté au premier plan. « Nous sommes d'accord avec Anne Lauvergeon quand elle déclare que le nucléaire à bas prix a vécu », commente ainsi SergueïNovikov, le porte-parole de Rosatom. En ligne de mire, les « challengers » de l'atome, à l'approche commerciale très agressive : «Les nouveaux acteurs, telles la Chine et la Corée du Sud, vont devoir modifier leur approche et, surtout, remonter leurs prix», abonde Kirill Komarov, qui prône par ailleurs la création d'une instance internationale jouant un rôle de « gendarme ».
 
Un discours responsable, qui compte toutefois une vraie faille : que vont devenir les onze réacteurs RBMK, de type Tchernobyl, qui sont encore en exploitation en Russie et qui suscitent des inquiétudes, notamment à l'étranger ? Sont-ils suffisamment fiables pour continuer à produire de l'électricité ? La question irrite Leonid Bolchov, directeur de l'Institut de la sécurité nucléaire, à Moscou : «Après Tchernobyl, nous avons subi une forte pression de la communauté internationale pour fermer ces réacteurs. Nous les avons modernisés, et les audits de sûreté que nous y avons menés par la suite ont montré qu'ils étaient aussi fiables que les autres », soutient-il. Précision de Mikhaïl Nikolaïevitch Mikhaïlov, directeur général adjoint de Nikiet, filiale de Rosatom dédiée à la recherche et à l'ingénierie : « En fait, nous avons amélioré la sûreté de neuf réacteurs, dit-il. Les deux derniers, ceux de Smolensk, seront modernisés en 2012 et en 2013. »
 
Pas question, donc, de les fermer. Au contraire, laisse-t-il entendre, leur durée de vie sera très certainement prolongée au-delà de quarante ans.
 
 Charles Haquet, à Volgodonsk 

 
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