Par Valérie Faudon
- Déléguée générale de la SFEN
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Valérie Faudon a été nommée Déléguée Générale de la Société Française d'Energie Nucléaire (SFEN) au 1er janvier 2013. Elle était depuis décembre 2009 Directrice du Marketing d'AREVA...
Pourquoi ce "nucléaire heureux" des Britanniques ?
Par Valérie Faudon
- Déléguée générale de la SFEN
jeudi 31 octobre 2013
La Grande-Bretagne relance son nucléaire, quand l'Allemagne le quitte et quand la France a une sorte de "nucléaire honteux".... Pourquoi ces approches différentes?
Le Premier ministre David Cameron parlait d'un « très grand jour pour la Grande Bretagne ». Un éditorialiste français faisait alors la remarque que les Britanniques avaient « le nucléaire heureux », par contraste avec les Français qui auraient le « nucléaire honteux ».
On pourrait ajouter : par contraste aussi avec le reste de l'Europe qui a aujourd'hui « le marché de l'électricité malheureux ». Car une semaine avant, dix énergéticiens avaient dénoncé à Bruxelles le bilan inquiétant des politiques énergétiques actuelles : factures d'électricité en hausse, émissions de CO2 en augmentation, et même, avec la fermeture de nombreuses centrales à gaz, un risque de black-out pour cet hiver. Quelle est la recette des Britanniques pour un « nucléaire heureux » ?
Pas d'opposition entre nucléaire et renouvelables
Premier ingrédient, les Britanniques n'opposent pas les renouvelables à au nucléaire, bien au contraire. Comme d'autres, ils sont en pleine transition énergétique. Historiquement marqué par ses mines de charbon, puis par son exploitation du pétrole et du gaz naturel en mer du Nord, le pays est devenu, depuis quelques années, importateur net de gaz. Il s'agit donc pour les Britanniques à la fois de sortir du charbon, de réduire leurs émissions de CO2 (au total, la part actuelle des énergies fossiles dans le mix électrique est de 70 %), et aussi de diminuer leur dépendance au gaz d'importation.
Pour atteindre ces objectifs, ils ont choisi de faire des investissements massifs à la fois dans l'éolien et dans l'énergie nucléaire. Ainsi, le pays est devenu en quelques années le troisième producteur d'électricité éolienne d'Europe, et accueille la moitié de la base installée européenne d'éolien off-shore. En complément de l'éolien, ils ont aussi choisi de favoriser des investissements massifs dans le nucléaire. Les deux réacteurs de Hinkley Point doivent assurer à eux seuls 7 % des besoins en électricité du pays et permettront d'économiser, par rapport à des centrales à charbon, les rejets de 20 millions de tonnes de CO2 chaque année. Quatre autres réacteurs devraient suivre rapidement.
Il est intéressant de comparer ce projet énergétique avec celui de l'Allemagne : celle-ci a aussi décidé d'investir massivement dans les renouvelables, mais en abandonnant le nucléaire Le résultat de cette stratégie commence à se faire sentir, et se traduit par un recours accru au charbon, et une hausse des émissions de CO2.
Visibilité pour les investissements
Second ingrédient : les Britanniques ont mis en place des dispositifs pour attirer les investisseurs, et leur donner une vue à long-terme. Les quatre sociétés vont investir au total 19 milliards d'euros, avec une visibilité sur 35 ans. Cela tranche avec la situation qui prévaut aujourd'hui en Europe, et que résumait ainsi un des énergéticiens présents à Bruxelles: « Il faut retrouver une visibilité à long-terme. Sans cela, il n'y pas d'investissement possible. »
Le Royaume-Uni n'est pas le seul pays à compter sur le nucléaire pour son approvisionnement énergétique, et la réduction de ses émissions de CO2. En Europe, il est le 3e pays, après la France et la Finlande à investir dans le nucléaire de 3ème génération. Dans le monde, 64 nouveaux réacteurs sont actuellement en construction, nombre d'entre eux en Asie. Aux Etats-Unis, malgré la concurrence du gaz de schiste, quatre réacteurs sont en construction. En Europe la Pologne, la République Tchèque, la Suède et de nouveau la Finlande devraient suivre.
Des emplois pour la France
Et la France, est-il vrai qu'elle aurait le « nucléaire honteux » ? En tous cas, la décision britannique va faire incontestablement de nombreux heureux dans le nucléaire français ! Car même si la construction des deux EPR créera de nombreux emplois au Royaume-Uni, une grosse part de l'ingénierie sera faite par les équipes françaises d'EDF, C'est en France qu'AREVA fabriquera les gros composants de l'EPR, principalement dans ses usines de Bourgogne, ainsi que le combustible des nouvelles centrales. Enfin de nombreuses autres entreprises françaises, PME et ETI, participeront au projet. Il est encore trop tôt pour évaluer avec précision le nombre d'emplois créés en France, mais il se montera de toute évidence à plusieurs milliers, selon une étude récente de PWC.
Enfin, deux EPR de plus, c'est excellent pour l'image de l'ensemble de la filière nucléaire française. Pour des lendemains heureux à l'export ?
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[Réponse de l'auteur]
Le prix de rachat peut paraître élevé par rapport au prix moyen actuel du kwh nucléaire en France. Il y a trois raisons : - La première est que c’est un prix de rachat valable dans dix ans, dans un horizon sur lequel on anticipe une hausse des prix partout en Europe. - Ce prix sera compétitif dans le mix britannique, qui sera à base de gaz et d’éolien, dont de l’éolien offshore, dont les côuts »systèmes » de raccordement au réseau sont très importants - Enfin, les deux premiers réacteurs seront les premières unités qui seront construites en Grande-Bretagne, toujours plus chères à construire que les suivantes, qui bénéficient des effets d’apprentissage Il parait naturel, pour un investissement de 19 milliards d’euros, et concernant une infrastructure qui durera au moins 60 ans voire 80 ans, que l’investisseur ait une visibilité de ses revenus à 35 ans.
[Réponse de l'auteur]
Je ne suis pas sûre que l'Allemagne sortent du gaz et du charbon: voir les derniers développements: http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/energie-environnement/actu/0203099263433-consensus-en-allemagne-pour-freiner-les-renouvelables-624205.php
[Réponse de l'auteur]
Bonjour, en Allemagne, les centrales à gaz ferment en effet, aux bénéfices des centrales à charbon (qui ne ferment pas, bien au contraire): ceci est à déplorer tant pour le climat (le charbon émet plus de CO2 que le gaz) et en termes de santé publique (maladies respiratoires, liées entre autres à l'émission de particules fines). L'éolien terrestre est compétitif en Europe, en côut de production (sans compter les back ups, voir plus bas). Le solaire est déjà compétitif dans les pays qui bénéficient d'un fort ensoleillement, qui utilisent beaucoup l'air conditionné (pic de consommation à midi) et où les alternatives sont chères (ex: la Californie, les îles tropicales). Pour l'éolien offshore, on doit rajouter le côut de raccordement au réseau qui peut être extrèmement élevé. Pour toutes ces énergies, il faut rajouter le côut des infrastructures de "back-up", c'est à dire des installations qui se mettent en marche quand il n'y a pas de vent ou pas de soleil. En général, c'est du gaz. Bref, les britanniques, prenant en compte tout cela, ont jugé que l'EPR est compétitif. Sur les côuts de gestion des déchets, du démantèlement, du stockage, je vous invite à lire le rapport de la Cour des Comptes de 2012 qui explique comment ils sont pris en compte aujourd'hui. Les centres de stockage sont conçus pour ne pas imposer de côuts aux générations futures: c'est l'objectif recherché justement.
[Réponse de l'auteur]
Je pense en effet que les allemands sont sortis du nucléaire car l'opinion a eu peur d'un accident, même si leurs centrales ont passé tous les stress tests après Fukushima, avec une autorité de sûreté qui a la réputation d'être, avec la française, une des plus exigentes du monde. Deux ans après, les parts du charbon et du lignite, qui était au delà de 40% ont cru encore trois points dans leur mix électrique. Le charbon et la lignite, ce n'est pas un risque hypothètique: c'est d'après un institut allemand, et d'autres études commanditées par Greenpeace, 20,000 décès prématurés par maladies respiratoires en Europe. La peur n'est pas certainement pas toujours bonne conseillère en matière de santé publique.
[Réponse de l'auteur]
Les autorités de sûreté délivrent des autorisations d'exploitation pour des durées données, et gardent en plus bien sûr le pouvoir d'ordonner l'arrêt d'un réacteur à tout moment, si elles jugent qu'il y a un risque pour la sûreté. Aux Etats-Unis, près de 70 réacteurs ont reçu, de la part de l'Autorité de Sûreté américaine, l'autorisation de fonctionner jusqu'à 60 ans. l'EPR incorpore le nec plus ultra en matière d'équipements de sûreté: il y a tout lieu de penser qu'il recevra l'autorisation d'exploitation, après bien sûr des revues et des modernisations régulières, pour une durée supérieure à 60 ans. Concernant la part des ENR dans le mix en 2050: aujourd'hui, elles représentent (solaire et éolien) environ 3% aujourd'hui. Le charbon représente 40% du mix électrique, et est en très forte croissance, en particulier en Chine, où on ouvre une centrale à charbon de 100MW par semaine. Il faut espérer une croissance des renouvelables, puisqu'elles n'émettent pas de CO2 (comme le nucléaire). Elles ont des limites techniques: intermittence, absence de solutions de stockage, emprise au sol. Elles seront donc une partie de la solution, pas toute la solution.
[Réponse de l'auteur]
Je vous invite à aller sur le site du débat CIGEO où vous trouverez tous les détails sur le projet de stockage géologique des déchets ultimes à haute- activité, vie longue, lequel fait l'objet actuellement d'un débat public. Le projet n'inclut certainement pas de reconditionnement périodique, bien au contraire. Je vous laisse le regarder.
[Réponse de l'auteur]
Les allemands font des choses très bien, en particulier dans le bâtiment. Augmenter la part du charbon et du lignite dans leur mix électrique, comme ils l'ont fait depuis deux ans, c'est mauvais pour le climat et pour la santé des personnes (maladies respiratoires). http://energies.sfen.org/le-debat-sur-la-transition-energetique/allemagne-augmentation-du-charbon-et-aggravation-de-la-pollution
[Réponse de l'auteur]
Le point de mon article n'est pas d'opposer le nucléaire aux renouvelables, bien au contraire: il est de dire que les britanniques ont choisi de faire les deux, pour faire reculer la part d'énergies fossiles dans leur mix. Je suis convaincue qu'opposer les renouvelables au nucléaire, c'est faire progresser les énergies fossiles, c'est d'ailleurs ce qui se passe en Allemagne.
[Réponse de l'auteur]
Oui, les émissions en Allemagne sont reparties à la hausse depuis la fermeture précipitées des 8 réacteurs après Fukushima. Je ne suis pas sûre du tout que cela est temporaire, comme le montrent les articles récents sur les décisions à venir en Allemagne. http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/energie-environnement/actu/0203099263433-consensus-en-allemagne-pour-freiner-les-renouvelables-624205.php
[Réponse de l'auteur]
Je représente la SFEN, pas AREVA. L'estimation du risque nucléaire, dans chaque pays, est sous la responsabilité de l'autorité de sûreté du pays. Au Japon, l'autorité de sûreté japonaise avait l'autorité et les moyens associés: elle a sous estimé la taille du tsunami millénaire, avec pour conséquence l'accident de Fukushima. Les conséquences de cet accident sont bien entendu désastreuses au plan économique et humain. Heureusement il n'a pas fait de victimes à ce jour (le tsunami, lui, a fait 19,000 morts dans les villes avoisinantes). Depuis, les japonais ont mis en place une nouvelle autorité de sûreté nucléaire, la NRA, en s'inspirant d'ailleurs du fonctionnement de l'autorité de sûreté française.
[Réponse de l'auteur]
Il me semble avoir donné des éléments, même si j'avoue ne pas arriver toujours à vous suivre. Mon impression est que vos questions n'en sont pas: vous avez déjà conçu/imaginé des réponses, que vous nous donnez, et auxquelles vous semblez tenir. Puisque vous connaissez l'IRSN, vous devez parfaitement être au courant des règles de transparence qui sont en place en matière nucléaire en France. Par contre je dirais que çà vaudrait le coup de mieux vous renseigner sur le MOX: le MOX n'a été ni à l'origine de l'accident au Japon, ni un facteur aggravant, et n'est pas exporté ni en Inde ni en Turquie. Je vous souhaite une excellente soirée.
[Réponse de l'auteur]
Je ne sais pas à qui vous vous adressez exactement. Pour ma part, relisez mon article: je n'ai jamais attaqué les ENRs. Un des messages clefs de ma tribune est que je salue justement le choix des britanniques de développer les deux conjointement pour réduire leurs émissions de CO2 et renforcer leur indépendance énergétique. Je ne vois pas l'intérêt que le nucléaire et les renouvelables auraient à se cannibaliser, alors qu'elles sont toutes les deux vertueuses, à la fois en matière de CO2, et en impact sanitaire. Je voudrais vous rappeler la situation du mix énergétique mondial bien décrite récemment par l'AIE (l'Agence Internationale de l'Energie) sco.lt/6IsFiD c'est bien le charbon, fort émetteur en CO2, et responsable de nombreux décès du à des maladies respiratoires, qui sera en très forte croissance, et deviendra la première source d'énergie au monde en 2020, devant le pétrole.
[Réponse de l'auteur]
c'est bien pour une energie d'etre basée sur des couts fixes car ses couts sont predictibles et non soumis aux aleas des marches. Compte tenu de la place du charbon dans le monde (plus de 40%) et sur le reseau europeen, il y a un tres gros potentiel de croissance pour les ENRs et le nucleaire ensembles en energie de base. Il y a aussi un grand potentiel de croissance pour les ENRs sur la chaleur et l'habitat notamment (importance du fioul). Oui pour la pointe et pour compenser l'intermittence il faut ajuster par de l'hydro (nous en avons pas mal en france) du gaz, des STEPs aussi (il faudrait en construire plus).
[Réponse de l'auteur]
Les anglais n'ont aucune raison de faire des cadeaux. Dans votre calcul, il faut prendre en compte les frais financiers: plusieurs années de cash flows négatifs au début, et puis il faut prendre un taux d'actualisation pour discounter les revenus des années suivantes. Pour rappel, ce taux est fixé par l'actionnaire d'EDF, soit, principalement, l'Etat français. Bon week end.
[Réponse de l'auteur]
le nucléaire en France n'est plus subventionné depuis le début des années 80, Vous pouvez vous référer aux comptes d'EDF qui sont publics et audités, ainsi qu'au rapport de la Cour des Comptes de 2012. La conférence gouvernementale du mois de Septembre a d'ailleurs conclu que le nucléaire serait mis à contribution pour financer la transition énergétique, ce qui est bien la preuve qu'il gagne de l'argent et que ses finances sont saines.
[Réponse de l'auteur]
La réparation des dommages nucléaires est soumise en France à un régime spécifique, dit de « responsabilité civile nucléaire », et issu d’une convention internationale signée à Paris en 1960 entre les principaux pays d’Europe occidentale. Ce régime pose notamment comme principes la responsabilité exclusive et sans faute de l’exploitant d’installation nucléaire: ceci est extrêmement protecteur pour les potentiels victimes car ils sont remboursés tout de suite (cf rappel des procès interminables sur les marées noires notamment, où le propriétaire du bateau essaye pendant plusieurs années de dire qu'en fait ce n'est pas sa faute à lui mais celle de quelqu'un d'autre, et où les victimes attendent). En contrepartie l'exploitant nucléaire a une responsabilité limitée, associée à une obligation de garantie financière. Actuellement, les grands exploitants nucléaires français font tous appel en tout ou en partie au marché de l’assurance. Compte tenu des caractéristiques particulières du risque nucléaire, faible occurrence mais accident potentiellement de grande ampleur, le marché de l’assurance s’est organisé sur les plan national et international, sous la forme de pools nationaux liés par des accords de réassurance.
[Réponse de l'auteur]
Les travaux rendus publics en février 2013 par l’IRSN sont préliminaires et font l’objet actuellement de discussions contradictoires chez les experts, comme pour toute étude. La part des coûts liés à la contamination n’est qu’une faible partie du montant chiffré par l’étude IRSN : les auteurs des travaux ont cherché à évaluer l’impact sur l’image de la France et en termes d’importations d’énergie (scénario d’arrêt immédiat de toutes les centrales, ce qui n’a pas été le cas au Japon). Sur la contamination des territoires, elle ne prend pas en compte l’équipement des centrales françaises qui, à la différence de Fukushima, sont équipées à la fois de recombineurs d’hydrogène et de filtres qui empêcheraient les rejets de Césium. Si on se place par hypothèse en scénario d’accident grave, on aurait au pire un rejet d’Iode radioactif, soit une contamination locale d’une semaine au plus. Si les coûts vont au-delà de la garantie disponible, qui sera bientôt de 1,5Md d’euros au total, oui c’est l’Etat qui prendrait le relais, comme il le fait toujours pour de grosses catastrophes : cas du 11 Septembre à New York dans un cas de risque terroriste par exemple, cas aussi des ruptures de grands barrages dans le domaine de l’énergie, des grandes tempêtes ou des tremblements de terre.