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Né à Furstenau, en Allemagne, Norbert Holtkamp a étudié la physique à l'université de Berlin et a été fait docteur à l'université technique de Darmstadt. En 2001, il été nommé directeur du projet d'accélérateur...

Norbert Holtkamp : « il serait impardonnable de ne pas faire ITER »


jeudi 21 février 2008

Norbert Holtkamp est le directeur opérationnel du projet ITER. Dans une interview au magazine European Energy Review il estime que le projet démontrera la viabilité économique de la fusion nucléaire, compte tenu des tensions prévisibles sur le marché de l’énergie vers la moitié du XXIe siècle.


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Extraits de l’interview parue dans l’European Energy Review, suivis d’élements de contexte

EER - ITER est la première expérience de “gouvernance” vraiment mondiale (si l’on excepte le CERN de Genève). Il implique des pays développés et des puissances émergentes comme la Chine et l'Inde. Est-ce facile à diriger, et avez-vous une philosophie dans cette sorte de management ?

N. Holtkamp - Est-ce “facile” à diriger ? Je pense que vous pouvez répondre à cette question !... Je dirais qu’on doit pouvoir y arriver, mais bien sûr rien n’est certain tant que nous ne l’aurons pas fait ! Il y a une pression mondiale sur les ressources énergétiques, sur nous, et sur les pays membres. ITER est une expérience unique, la première de ce genre ; si elle échoue, ce sera non seulement un échec pour le projet mais aussi une excuse pour ne pas faire d’autres collaborations internationales dans des secteurs stratégiques. Quelle est ma façon d’aborder ce type de management ? Comme le dit un vieil ami à moi : « il faut répartir équitablement la douleur ! ». Ce n’est pas seulement une plaisanterie : si tout le monde se sent lésé de façon égale, alors vous êtes parvenus à un bon compromis...

Sentez vous les pressions de la part des gouvernements, ou êtes vous dans la situation de diriger des individus ?

Il y a manifestement des mentalités, des cultures, des personnalités qui sont différentes et se heurtent. Les individus autour d’une table sont tous influencés par leurs bagages culturels.

Mais pas de pressions de la part des gouvernements ?

Non, je ne pense pas. Cela ne joue pas sur les relations entre eux, pas de cette façon.

Ceux qui critiquent le projet disent que le succès scientifique est loin d’être acquis. Ils disent par exemple qu’il est très difficile de concevoir un réacteur à fusion qui produise plus d’énergie qu’il n’en consomme. Jusqu’à présent, tous les essais ont eu du mal à établir ce simple équilibre. Pourquoi ITER réussirait ?

Eh bien, parce qu’ITER est une extrapolation directe de JET et que JET a pu atteindre l'équilibre – pendant quelques secondes. Nous pouvons avoir des doutes sur le Q = 10 (note : Q est la quantité d’énergie thermique générée par la fusion, divisée par la quantité d’énergie extérieure apportée. L’équilibre est donc à Q=1 et ITER vise à dégager Q=10), sur la viabilité d’une opération 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 12 mois par an; on peut en discuter, mais on ne peut pas mettre en doute le fait qu’ITER ira au delà de l’ »équilibre ». Ce n’est plus la question.

ITER est supposé être un maillon entre le programme scientifique et une centrale industrielle, et là on peut avoir des questions. Je pense qu’on peut faire une partie du chemin, mais savoir si ce sera un succès complet, c’est davantage en débat. Mais je pense quand même qu’ITER démontrera la viabilité industrielle. C’est le défi d’ITER et c’est pourquoi il est construit.

Confirmez vous que les tests sont prévus pour au moins 20 ans, et que la prochaine étape sera la construction de DEMO, la centrale prototype ?

Oui, c’est cela. Cette période de 20 ans sera nécessaire pour tout mettre en ordre avant le feu vert à la phase opérationnelle. Certains parlent de lancer DEMO avant qu’ITER soit fini. Cela me paraît un peu fou, mais...

Les adversaires du projet affirment d’autre part que la centrale à fusion ne sera pas économiquement viable. Quel pourrait être le coût économique de la future centrale et le coût de l’énergie qu’elle produira ?

C’est une bonne question…. D’abord, voyons le marché mondial de l’énergie. Je ne connais pas précisément les chiffres, mais je crois que le dernier que j’ai entendu était de 3 trillions de dollars par an. Comparé à cette échelle, le coût d’expériences qui ouvrent des perspectives telles qu’ITER n’est vraiment rien du tout. Cela peut être fait, il faut le faire, il serait impardonnable de ne pas le faire. C’est très clair.

Un autre point : si vous regardez la courbe du prix du pétrole, vous voyez un doublement. Je ne sais pas comment elle évoluera dans l’avenir, mais je pense que tout le monde est d’accord : il y aura une hausse. C’est une juste une question de temps avant que le coût de l’énergie nucléaire, de fusion ou de fission, rende celle-ci économiquement viable.

Je ne veux effrayer personne en disant que les lumières vont s’éteindre dans les 25, 50 ou 100 prochaines années, mais on va manquer de pétrole.

La construction d’ITER représente quelque 5 milliards d’euros. Mais, de nouveau, quel peut être le coût d’une future centrale ?

C’est difficile à calculer, mais pour être dans un environnement compétitif, il devra être comparable à l’investissement nécessaire à une grande centrale à fission. Regardez le coût des centrales d’aujourd’hui : il est de quelques milliards d’euros ou de dollars. Je pense qu’ITER a une bonne chance de conduire à des usines dans cette gamme de prix. Mais il sera équitable de comparer le coût de la première centrale à fusion à celui de la première grande centrale à fission.

Si le coût n’est pas le même, personne ne marchera. C’est l’économie, c’est très simple.

Si l’énergie de fusion est un succès, pensez vous qu’elle remplacera à terme l'énergie de fission ou qu'elle lui sera complémentaire ?

Si j’avais une boule de cristal, je vous répondrais…. Vers la moitié du XXIe siècle, chaque source d’énergie (le vent, l’eau, le charbon, la fission –la fusion ne sera pas prête) devra être utilisée. La fusion, j’en suis sûr, viendra ensuite jouer un grand rôle parmi toutes ces sources. Un de ses avantages réels est que le carburant est disponible pour tous. Ce n’est pas absolument vrai pour le nucléaire, sauf si on parvient aux surgénérateurs. Mais cette technologie de fission a ses propres difficultés avec la fabrication de déchets à long cycle de vie.

Eléments de contexte (agence d'informations Newsteam)

L’année 2008 marquera le début effectif des travaux pour le plus long et le plus ambitieux projet scientifique du monde, depuis la conquête de l’espace : le projet ITER destiné à maîtriser la fusion et donc à créer une source d’énergie inépuisable et très peu polluante.

C’est sur le centre de Cadarache, près de Marseille, qu’une bonne partie de la recherche sera conduite par 34 nations, dont les Etats-Unis, le Japon, l’Union européenne, la Russie, la Chine, la Corée et l’Inde. Un exemple sans précédent de gouvernance mondiale.

Plus de 300 personnes d’une dizaine de nationalités sont déjà engagés dans le travail préparatoire et s’installent avec leurs familles. A terme, plus de 3.000 personnes, de plus de 30 nationalités, seront là. Une classe internationale a déjà été mise en place et une école internationale spécifique accueillera à Manosque un millier d’élèves à la rentrée 2009.

Ce sera un projet long, tellement long, disent ses critiques, qu’il n’aboutira jamais.

Après la signature en novembre dernier par Valérie Pecresse, ministre de la recherche, de « l'accord de siège » qui lie la France à l'organisation internationale ITER, les travaux de préparation du site et de ses voies d’accès vont commencer au cours de l’année. Ce n’est pas avant 2016 que les premières expériences débuteront, avec la fabrication du premier plasma à haute température. Puis il faudra, estime-t-on, vingt ans d’expérience pour que l’on puisse envisager le premier prototype de centrale, DEMO, donc vers 2035.

C’est que la maîtrise à acquérir est considérable. Selon l’expression lyrique de Valérie Pecresse, il s’agit de « faire briller sur terre un peu de ce feu qui brûle dans les étoiles ». Une autre façon de le dire : maîtriser à des fins civiles ce que l’homme a su déchaîner de façon incontrôlée dans les bombes thermonucléaires (bombes H) … Donc des défis scientifiques et technologiques considérables (voir le texte de Gilles Prigent).

Iter, qui est loin du terme, a déjà une longue histoire. Le projet est né en 1985 d’une idée de Mikhael Gorbatchev, qui convainc Mitterrand, Reagan et Tanaka. Puis il a fallu de longues discussions pour déterminer le lieu de l’emplacement du laboratoire et le choix de Cadarache a été arrêté en 2005 après une forte rivalité entre la France et le Japon.

De tels délais et de telles ambitions accroissent inévitablement les incertitudes. Et la question, même tranchée, plane encore : fallait-il faire Iter ?

La première difficulté est, on l’a vu, celle de la faisabilité scientifique et technologique.

Le deuxième risque est la question du financement sur une aussi longue période. En janvier dernier, les Américains ont annoncé la suspension de leur participation financière –pour un montant de 160 millions de dollars- en raison de la baisse du budget global de la recherche. Comme il ne s’agit pas d’une contribution « cash » mais d’équipements qui devaient être construits par les Américains , cette perspectuive ne devrait pas entraîner un surcoût pour les autres participants mais un retard dans les livraisons.

Le coût est déjà estimé à 5 milliards d’euros (valeur 2000) pour la construction, plus 5 milliards pour la phase opérationnelle. En cas de dérapage, que se passera-t-il : arrêtera-t-on les recherches au nom de la rigueur –en admettant donc un échec- ou « remettra-t-on au pot » avec le risque de siphonner tous les crédits de recherche ?

Enfin, la centrale à fusion aura-t-elle une viabilité économique , face aux surgénérateurs à fission de quatrième génération ?. Le prix de la centrale sera exorbitant, disent les critiques, de même, par voie de conséquence, que le prix du kwh. Le débat ne peut guère être étayé par les chiffres puisqu’il ne se posera pas avant au mieux 2035. L’exercice relève donc encore de la boule de cristal.

(Photo Droits réservés Iter)

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