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 - Fondateur du cabinet Carbone 4

Auteur
Alain Grandjean est fondateur du cabinet Carbone 4 et membre du comité scientifique de la fondation Nicolas Hulot.

Science et vérité : Popper et le climat


mardi 27 avril 2010

La température augmente sur la Chaîne Energie. Dans cette tribune, Alain Grandjean profite de la polémique "Claude Allègre" pour faire le point sur Galilée et Karl Popper...


Voir la tribune d'Alain Grandjean "Changement climatique en finir avec la confusion délibérée"


Le débat sur le climat a réveillé des réflexions de fond sur le statut d'un énoncé scientifique. Même si la mauvaise foi la plus évidente est à l'origine de ce débat il n'est pas inutile d' en profiter pour éclairer la question.

La démarche scientifique est née avec Galilée, le premier à avoir mis en lumière que la vérité ne pouvait pas être issue d'un principe d'autorité (c'est vrai parce que celui qui le dit est ...le pape, un puissant, une autorité reconnue, une personnalité « autorisée ») mais de la confrontation avec la réalité par le biais d'une expérience reproductible. Cette révolution ne s'est pas fait sans mal. Les détenteurs de la Vérité qui en tiraient une position dominante et des avantages se sont retrouvés progressivement en Occident dans la peau de « croyants » sans influence. On comprend qu'ils n'aient pas accepté cette perte facilement1.

L'efficacité de cette démarche expérimentale n'est plus à prouver; elle a valu la domination militaire et intellectuelle de l'Europe pendant 3 siècles, une profusion de découvertes conceptuelles et technologiques dans tous les domaines. A l'inverse dans les domaines où l'expérience est difficile ou impossible (la majorité des sciences dites humaines) la pêche est moins miraculeuse.

Karl Popper (2) s 'est intéressé à ce qui distinguait la psychanalyse et la physique. On lui doit le concept de « réfutabilité » qui, selon lui, permet de distinguer science et idéologie. Un énoncé est scientifique s'il est réfutable, c'est-à-dire s'il est possible de construire une expérience qui permettrait de montrer qu'il est faux. C'est toute la démarche qui consiste à formuler des hypothèses qu'il est possible de vérifier  ou d'infirmer. Popper était très sensible à la notion de contre-exemple et à la faiblesse logique du raisonnement par induction, faiblesse remise en valeur par Taleb dans son cygne noir (3) : ce n'est pas parce que je n'ai vu à ce jour que des cygnes blancs que tous les cygnes sont blancs. Il suffit que j'en voie un noir pour m'en rendre compte. Un contre-exemple suffit à démolir une thèse, mille exemples ne permettent pas de l'établir scientifiquement.

Le recours à l'expérience reproductible et ce souci de n'affirmer que des choses «testables » est à l'origine de la notion de doute scientifique, très voisine de celle de réfutabilité. L'esprit scientifique est celui de la critique et du doute. En quantité, peu d'Einstein et de grandes inspirations dans le travail scientifique ; beaucoup de travail de critiques de vérifications (avant de remettre en cause la mécanique quantique disait Richard Feynman vérifiez que les plombs n'ont pas sauté).

A l'inverse la démarche idéologique est un empilement d'arguments visant à étayer la thèse défendue. Et elle a une capacité à intégrer par des artifices ad hoc les contre-arguments et les contre-exemples. Exemple dans le domaine de la psychanalyse : si vous niez l'existence de l'inconscient c'est que vous en êtes l'esclave (le raisonnement était le même avec le diable...). L'histoire de la pensée montre que cette démarche, au fond celle de l'argumentation raisonnée, se retrouve dans des biens des domaines : la théologie, le droit, l'économie, la politique...la vie des affaires. Elle n'est pas réservée aux grandes idéologies comme le marxisme ou la psychanalyse.

Ce concept de réfutabilité a sans doute fait trop bonne fortune. On pourrait en déduire en effet que la science ne peut pas, par définition, énoncer des vérités. La vérité serait en dehors du champ de la science ; elle serait cantonnée dans celui de l'idéologie et de la religion. Ce serait une affaire de croyance ou de foi.

Manifestement les choses ne sont pas si simples : la démarche scientifique permet en effet de construire des faits qui deviennent des vérités de fait exprimables par « il est vrai que », de la même valeur (de vérité) que la vérité de fait élémentaire, comme celle par exemple selon laquelle en ce moment « il est vrai que je rédige un texte ». La loi de la gravitation est non seulement vraie mais vraie d'une manière incroyablement précise, les lois de l'électromagnétisme « marchent » et ainsi de suite. Un exemple intéressant de la construction d'un fait scientifique est celui de la dérive des continents. Avant Wegener la croyance dominante chez les géologues c'était que la surface de la Terre n'avait pas bougé. Sa thèse de la dérive des continents assez bien étayée fut combattue jusqu'à sa mort. Il fallut les travaux de Xavier Le Pichon et ses collègues sur la « tectonique des plaques » (publiés en 1968) pour montrer que les continents avaient bien été l'objet d'une dérive et pour expliquer comment cela avait été possible. La dérive des continents est maintenant un fait acquis. C'est ainsi que marche la science dans l'immense majorité des cas, et c'est ce qui fait d'elle une entreprise de capitalisation collective des savoirs.

Appliquée au cas de la dérive climatique et de ses causes, les choses sont du même ordre. Les travaux de milliers de scientifiques montrent l'impact des émissions de gaz à effet de serre. Les conclusions synthétisées par le GIEC ont le même statut que celles de la dérive des continents : non pas une idéologie (ce qui serait en effet contradictoire) mais bien celui de vérité scientifique. Que certains ne le reconnaissent pas n'y changent rien. Il est toujours possible que certaines personnes pensent que la terre est plate, cela ne change rien à sa« rotondité ».


1) Quand on y réfléchit froidement la vraie question c'est plutôt « pourquoi ont-ils accepté de se faire dessaisir de ce qui faisait leur pouvoir ? ». Les principales civilisations concurrentes n'ont pas franchi le pas. Les théocraties ou les empires ont toujours tout fait pour empêcher l'émergence de l'esprit scientifique.

2) Voir par exemple « la logique de la découverte scientifique », Payot 1973.

3) Voir Le cygne noir

6 commentaire(s)
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Commentaire par Tim Osman
mardi 27 avril 2010 14:19
le financement des scientifiques est un paramètre réel à prendre en compte si l'ont veut comprendre la "démarche scientifique", savoir ou elle va, avec quels moyens, pour quelles raisons elle emprunte ce chemin, à cet instant...

le rayonnement solaire a son influence, mais la science a aussi plein d'autres domaines (le réchauffement des eaux terrestres) qu'elle pourrait étudier, en apportant des faits intéressants, avec un impact tout aussi discutable et important.
[2]
Commentaire par Olivier - ObjectifTerre
mardi 27 avril 2010 16:40
Voici ma réponse à Monsieur Grandjean :
http://www.electron-economy.org/article-alain-grandjean-la-mauvaise-foi-la-plus-evidente-est-a-l-origine-de-ce-debat-49362835.html
[3]
Commentaire par Pierre Jerome
mercredi 28 avril 2010 12:20
Votre papier méritera d’être cité dans les travaux pratiques du cours d’épistemologie de Sciences Po ou d’universités !
Vous y exposez fort bien le principe de falsifiabilité de Popper, qui constitue les premières leçons de tels cours.
Puis, en un paragraphe à la fin, c’est-à-dire en un coup de cuillère à pot, vous créez la catégorie des « faits acquis », des théories « vraies », du type « la Terre est ronde ».
Vous décidez en une ligne que « les conclusions synthétisées par le GIEC » font partie de cette catégorie et ont accès, sans discussion, au statut de « vérité scientifique ».

Vous donnez ainsi un exemple parfait de ce que reprochait Popper : une théorie qui, à un certain moment de son exposé, suppose d’être acceptée sans droit à la réfutation. Mais il est vrai que vous êtes dans votre logique interne puisque vous considérez que la thèse de Popper « a sans doute fait trop bonne fortune ». Gageons que l’on enseignera bientôt dans les écoles la «thèse de la vérité vraie d’Alain Grandjean ».
[4]
Commentaire par konebien
jeudi 29 avril 2010 23:15
alors là chapeau , le dernier paragraphe vient exactement contredire la démonstration.
on ne sait pas pourquoi le Giec aurait raison..;mais selon mr Grandjean il a raison.
s'il le dit...
[5]
Commentaire par Patrice HERNU
samedi 01 mai 2010 08:57
Alain Grandjean expose fort bien les principes de la science expérimentale face au principe d'autorité tel qu'il prévalait avant son universalisation. Observons malgré tout que le dernier n'a pas forcément empêché les premiers d'émerger : ils en sont, au final, issus. Cela a simplement donné naissance à une casuistique philosophico-religieuse dont l'utilité ou l'inutilité dans le processus de formation de la pensée est également matière à débat.

Or, tel est bien ce qui se passe aujourd'hui. Alain Grandjean se trompe t-il de combat ? Car il ne peut nier être du coté du principe d'autorité, c'est à dire celui du bureau du GIEC, et non du coté du coté des principes de la science expérimentale à laquelle il est totalement étranger pour ce qui concerne le climat. Il est comme moi un statisticien, issu d'ailleurs des mêmes écoles !

Il est avec talent devenu un des grands prêtres des indulgences de la nouvelle église en se posant comme la principale figure du calcul de celles-ci (les indulgences carbone).

Il use ici d'un procédé bien connu de la casuistique religieuse ou des procès marxistes : retourner les arguments des défenseurs de la liberté de conscience en leur faisant la morale sur leur propre terrain. Ce en quoi instrumentaliser Karl Popper à cette fin fait rire.

Suite de cette réaction

Patrice HERNU
Président du réseau France Bleue

[Réponse de l'auteur]
Bonjour Je n’ai malheureusement pas le temps de vous répondre en détail à ce commentaire et en particulier pas à ce qui ressemble à des attaques personnelles, sans fondement sérieux, dignes sans aucun doute de quelqu’un qui semble se mettre dans le camp des « défenseurs de la liberté de conscience ». Je ne réagirai que sur quelques points. 1- Je ne sais pas ce qu’est la thèse simplificatrice du bureau du GIEC. Je ne peux donc en discuter ici. Je sais ce que sont les rapports du GIEC. Et je sais que le travail du GIEC est de synthétiser des travaux scientifiques qui ont tous subi le méticuleux travail de critique scientifique dans les instances faites pour cela, les revues scientifiques à comité de lecture. Contrairement à vous je ne me sens juste pas assez compétent pour les remettre en cause… 2- La présentation que vous faites des « modèles sur lesquels s’appuie le GIEC » fait sourire et montre juste que vous n’avez pas pris le temps de vous documenter. Le GIEC, ne faisant qu’un exercice de synthèse, s’appuie sur les modèles développés dans les laboratoires de recherche reconnus mondialement dans la communauté scientifique et qui progressent régulièrement. Ces modèles font évidemment intervenir le cycle de l’eau et les climatologues savent depuis longtemps que les boucles de rétroaction conduisent à augmenter l’effet direct des émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Qui a dit le contraire ? 3- Qu’il y ait des conflits d’intérêt au moment de la définition et de la mise en place des solutions au problème posé par les émissions de GES est absolument évident. En gros, et en simplifiant très fortement les entreprises qui permettent d’éviter le recours aux énergies fossiles, qui captent et stockent le CO2, qui permettent de réduire notre consommation d’énergie, nos émissions de méthane, etc. sont plutôt du côte des gagnants et les producteurs d’énergie fossile (pays ou entreprises) sont plutôt du côté des perdants. Faites-vous semblant de croire que les scientifiques du climat, qui ont démontré le rôle clef, dans la dérive climatique actuelle, des émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre, sont financés par le lobby pétrolier ? Ce serait plutôt plaisant.
[6]
Commentaire par Olivier - ObjectifTerre
samedi 01 mai 2010 22:21
"Un peu de tenue, monsieur Pachauri"
http://effetsdeterre.fr/2010/02/09/un-peu-de-tenue-monsieur-pachauri/
(Monsieur Pachauri est président du GIEC)
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