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Claire Tutenuit (EPE) : « ne pas se priver des ressources de l’expertise privée»


mardi 31 juillet 2007

En santé environnementale, l’ »expertise privée » conduite par les entreprises et les cabinets spécialisés n’a pas bonne presse : on la soupçonne de rouler pour l’industrie plutôt que de vouloir protéger le citoyen. Ses avis ne sont guère pris en compte. Mais on se prive ainsi d’études de qualité, estime Claire Tutenuit (Entreprises pour l’Environnement - EPE). Audio disponible


 default textMme Claire Tutenuit, vous êtes déléguée générale d’EPE. M. Severin  Fischer, vous êtes chargé de mission au sein de ce même organisme qui rassemble des grandes  entreprises françaises mettant en commun leur expérience sur les questions du développement durable. Vous préparez pour octobre une Charte sur l’ »expertise privée » qui visera à donner aux entreprises ou cabinets spécialisés un certain nombre de règles déontologiques communes pour améliorer leur fiabilité et donc, au delà, la reconnaissance de leur pertinence. Quel est le sens de votre démarche ?

Claire Tutenuit – D’abord, regardons la situation. Il y a, sur un certain  nombre de sujets relatifs aux impacts de l’environnement sur la santé des citoyens, des débat entre la société civile, les pouvoirs publics et les entreprises.  Ces débats sont en nombre croissant et sont souvent aigus. Comment peut-on les trancher, comment peut-on trouver la vérité ? 
   Dans cette étude des situations, l’expertise privée, celle générée au sein des entreprises, qui font des études avant de mettre des produits sur le marché, est systématiquement mise de côté car considérée comme non légitime. Le chercheur payé par une entreprise est immédiatement suspecté d’avoir travaillé pour montrer qu’il n’y a pas de risque et non pas pour établir si ce risque existe ou non.
   Or ceux qui concourent à l’expertise privée sont des gens qui sont tout à fait experts sur un problème donné. Ce sont ceux qui ont le plus travaillé sur le sujet, que ce soit au sein des entreprises ou des laboratoires qui ont travaillé avec elles. Ils ont développé une bonne compréhension des problèmes et de leurs enjeux.

La puissance publique, qui ne prend pas en compte ces expertises, est souvent représente par l’AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail)). Quelles règles a-t-elle fixé ?

Séverin FischerPar le passé, l’ Afsset a été soumise à des critiques assez vives de la part de plusieurs parties prenantes qui ont notamment stigmatisé une étude sur la téléphonie mobile dont certains auteurs avaient des liens, de près ou de loin, avec l’industrie. L’ agence s’est aujourd’hui dotée d’une norme (NFX50-110) qui organise l’expertise collective ; et chaque chercheur qui participe doit déclarer de façon publique quels sont ses liens avec tel ou tel secteur d’activité. Mais ceci peut conduire l’agence à écarter de ses comités spécialisés certains chercheurs financés de près ou de loin par l’industrie privée ; ou tout au moins à les consulter dans le process mais sans les associer à la rédaction finale des avis.

C’est-à-dire les chercheurs qui sont soit intégrés dans une entreprise, soit membre d’un cabinet d’études privé …
 
Claire Tutenuit - Voire même de laboratoires publics co-financés. Car une grande partie des recherche publiques sont co-financées par l’industrie et leurs études deviennent alors sujettes à soupçons et critiques.

default textVous préparez donc une charte qui fixe des règles déontologiques reconnues et aurait ainsi pour objectif d’accroître la fiabilité et la reconnaissance de cette expertise privée ?

Claire Tutenuit - Il ne s’agit pas de dire que l’expertise privée est toujours légitime. Mais nous pensons qu’il y a, dans un certain nombre de situations, des expertises faites selon des principes très précis, des règles très rigoureuses, qui sont d’une qualité et d’une crédibilité suffisantes pour être des contributions à un débat de santé-environnement.

Ce sont ces principes et ces règles de méthode que nous avons essayé d’incorporer dans la charte et que les entreprises pourraient s’engager à respecter afin que leurs expertises puissent être versées à un dossier public. Il s’agit d’une approche volontaire, non contraignante.

La charte va-t-elle comporter des principes généraux ou des règles détaillées secteur par secteur ?
 
Claire Tutenuit - Des principes généraux applicables à toute expertise,  mais qui seront néanmoins très précis en termes de méthodes.

Séverin Fischer - Aujourd’hui, on cherche à s'appuyer sur de lexpertise "indépendante". Le programme du « Grenelle de l’environnement », prévu en octobre, mentionne d’ailleurs ce point.
Mais l'"expertise indépendante" est difficile et même improbable : chacun est tenu par des liens, économiques parfois, mais aussi moraux, culturels, religieux, etc.... Il faudrait plutôt rechercher une expertise "plurielle", avec des gens qui peuvent ne pas être d’accord mais qui se le disent, et en discutent de façon organisée. L’expertise privée y trouverait toute sa place, ce qui ne la dispenserait pas de répondre à des règles déontologiques.

Au niveau européen, se met en place un règlement important, Reach, qui fait aux entreprises obligation de prouver par avance l’innocuité de leurs produits. Est-ce que cela peut changer la donne de l’expertise ?

Claire Tutenuit - Cela va vraisemblablement conduire, au sein des entreprises de la chimie et de leurs sociétés clientes à des études plus approfondies. On peut penser donc que l’expertise privée sur l’impact des produits chimiques –car Reach concerne spécifiquement ce secteur- va être très accrue dans années qui viennent et qu’il y aura une constitution d’expertise au niveau européen. Et là aussi il est important qu’il puisse y avoir des conditions d’utilisation et de recours crédibles.
Mais il ne faut pas confondre les deux problèmes. L’application de Reach va développer les études d’entreprise. Elle ne concerne pas directement les décisions de l’autorité publique sur l’interdiction ou non  de tel ou tel produit.


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